Témoignage d’une personne malvoyante sur l’usage des machines à voter

D’après un mail de Patrice RADIGUET (Castanet-Tolosan-31) sur la liste de discussion accessibilité-numérique

Vous avez dit devoir électoral !

Dimanche 22 avril, 1er tour des élections présidentielles en notre beau pays

de France... Ca tombe bien, dans notre Sud-Ouest, le temps est chaud et radieux.

Ayant eu une matinée de dimanche bien chargée en réunions, je décide d’accomplir mon devoir électoral avant de rentrer chez moi pour y prendre mon repas de " midi "... En fait, il est déjà plus de

13 heures.

Habituellement, cette formalité, surtout en cette heure de repas, est rapide et, c’est avec un vif étonnement qu’en arrivant devant mon bureau de vote assigné, je me trouve confronté à une queue qui dépasse très largement les portes de la salle qui sert de bureau de vote ...

Pas de soucis, il fait beau et tout va bien. Il est vrai que notre commune de Castanet-Tolosan (31), fait partie de la centaine de communes "pilotes" qui proposent (qui imposent) à leurs électeurs le vote électronique.

Allons... Ne faisons pas partie des esprits obscurs qui "refusent le progrès" et, dans la mesure où

durant ces dernières semaines tout à été dit (ou presque) à ce sujet sur les médias et sur internet, ne faisons pas preuve d’une obstination obscurantiste... attendons et voyons !

Enfin, en attendant, je "vois" surtout que ce nouveau mode d’expression citoyenne m’a tout l’air de prendre beaucoup plus de temps que l’ancien, avec les traditionnels bulletins-papier. Et puis, une sourde inquiétude m’envahit peu à peu. En effet, je suis ce qu’il convient d’appeler une personne TRES "mal voyante", ce qui signifie que, sans être totalement aveugle, il ne m’est pas possible de lire des informations et caractères écrits normalement... Ma culture, à moi, c’est l’écriture Braille.

Ces derniers jours, des informations fournies par une amie (membre d’associations typhlophiles) m’ont assurées que, même sur ma commune, "tout avait été pris en compte" et que je ne devrais

rencontrer aucun obstacle pour remplir mon devoir électoral. Eh bien, nous verrons bien !...

Au bout d’environ 40 minutes de queue, j’arrive devant le bureau de vote n° 5, rassemblé comme trois autres dans la salle Jacques BREL. Mes oreilles ayant identifiées, sur ma droite, deux préposées chargées de résoudre les problèmes de procurations et de pertes de cartes d’électeur,

j’abandonne un instant la file d’attente pour me signaler en tant que "personne très peu voyante", et il m’est assuré que je n’aurais aucun soucis car TOUT était prévu, même pour des gens comme moi... Me voilà rassuré.

Viens mon tour... Talonnant le couple de personnes âgées qui se trouve devant moi, j’arrive enfin devant le président du bureau n° 5 et ses deux assesseurs. Je tends ma carte nationale d’identité et

ma carte d’électeur, et signale ma différence... Expression embarrassée du Président. "Je

croyais que TOUT était prévu" lui dis-je alors, et les deux personnes, là bas, viennent de me le confirmer... Nouvelle gêne du président : "vous êtes aveugle... Oui, bien sûr, mais ça ne va pas être

facile pour vous"... Il me met à l’écart contre une barrière (non sans avoir tenté de me faire

asseoir), et me demande de patienter. C’est terrible, je me suis toujours demandé pourquoi un grand nombre de mes interlocuteurs, lorsqu’ils ont identifié mon handicap, tentent imanquablement de me

faire asseoir ? Il m’est alors très difficile de leur faire comprendre que ce sont mes yeux qui fonctionnent mal, mais pas mes membres inférieurs... Enfin !... Passons.

Je me mets donc à attendre et, n’ayant rien d’autre à faire, je compte machinalement les silhouettes qui défilent devant moi. Vers la quarante-cinquième, je commence à trouver le temps long et, percevant la silhouette du Président qui s’agite entre ses assesseurs, je lui en fait part. Il me répond alors qu’on est parti chercher la personne compétente, et que je n’ai qu’à poursuivre mon attente, ce à quoi je me résigne, faute de mieux.

Au bout d’un moment (j’ai arrêté de compter les personnes qui passent devant moi), quelqu’un arrive et compulse ce qui me paraît être un manuel, ou une notice, puis il disparaît. Je poursuis mon attente... Vient alors une autre personne qui, après quelques mots avec le Président se tourne vers moi : "c’est vous qui êtes... aveugle... On va s’occuper de vous, mais c’est un peu difficile". J’attends encore. Des gens, des phrases que j’attrappe au vol "où est le boîtier"... "le casque"... "Eh, ça marche ! Non !... toujours pas"...

A un moment, arrive un autre type ; celui-là, je le connais et il me salue. Il arrête carément la file des votants du Bureau n° 5 et se met à trafiquer le système ; ça n’a toujours pas l’air de marcher... Moi, je commence à me sentir (dans mes petits souliers). Si j’avais eu l’intention de passer inaperçu, anonyme dans le flot des votants de ce premier tour, c’est raté... Je ne suis pourtant pas d’un naturel

timide, et j’assume plutôt bien mon handicap visuel, mais là, adossé à ma barrière, ça commence

à être un peu lourd.

Enfin, au bout d’un moment (un de plus), on vient me chercher "ça y est, ça marche"... On me conduit devant LA machine, on me met un casque sur les oreilles et on me dit : "maintenant, à vous,

c’est marqué en braille".

En fait de Braille (j’ai quand-même été enseignant dans cette matière pendant 20 ans), il ne s’agit que de relief. Sous mes doigts, quatre repères et, le temps de me retourner, je suis seul ; personne

pour me donner le mode de fonctionnement de ce "truc-là"... Va falloir apprendre tout seul.

Pourtant rompu à l’utilisation de l’informatique, j’appuie au hasard, et "la machine" consent à me parler : "élections présidentielles, premier tour. Le choix courant est sur (suit le nom du candidat). Pour passer au choix suivant, veuillez appuyer sur la barre horizontale". Ah !, ça a l’air de marcher ! Je repère la barre horizontale. « Pour valider votre choix, appuyez sur la touche ronde", et le "tintoin" recommence : "élections présidentielles premier tour"... Ouais, ça, on a compris !...

Eh bien, le croirez-vous, j’ai dû subir cette ritournelle une dizaine de fois avant d’obtenir ENFIN le candidat de mon choix et de le valider "à l’aide de la touche ronde". Il n’a été prévu, sur ces machines, aucune solutions pour pouvoir réellement circuler dans la liste des candidats proposés ; le défilement est strictement vertical, et de haut en bas. Heureusement que je n’ai pas fait d’erreur et qu’il ne m’a pas fallu dérouler à nouveau les 12 candidats en présence...

Total, au moins cinq minutes entre le moment où j’ai compris le

fonctionnement de la machine et le moment où, au travers de mon casque, j’ai entendu le "a voté" du Président signant ma délivrance.

Notez que, comme me le dit avec un brin d’humour l’un des assesseurs à qui je m’épenchais de ce manque évident d’adaptation : "dans quinze jours, ça ira plus vite, il n’y en aura que deux"...

Mais, qui sont les crétins qui ont élaboré l’adaptation de ces machines à voter ? Ah, si je les tenais, je leur donnerai bien à consulter une liste d’au moins trente candidats en faisant attendre devant eux une file de plus de deux cent personnes... Pour l’anonymat, c’est raté, mes amis, et si je n’avais été, depuis longtemps, identifié comme "miraud" par bon nombre d’habitant de ma commune, ce 22 avril 2007 aurait pu constituer "une première". Je vous incite donc à faire circuler l’information comme quoi, cette adaptation là est complètement ratée. A moins qu’elle n’ait été dictée par les mêmes "usagers des associations" qui conseillent nos transports en commun de l’agglomération toulousaine, alors qu’ils n’empruntent QUE les transports spécialisés ?

Je ne suis pas adepte des critiques à tout va, et de la contestation systématique ; j’essaie toujours de dégager ce qu’il peut y avoir de positif dans les efforts qui sont faits pour nous rendre accessible les diverses phases de notre vie de citoyen. Mais, là, on marche vraiment sur la tête...

Et dire que, sur cette commune " PILOTE ", tout avait été fait, même pour nous, et que nous ne rencontrerions AUCUN problème... Total, j’ai passé autant de temps à attendre qu’on veuille bien

résoudre "MON problème" et que j’arrive à maîtriser le vote électronique, que celui que j’avais mis

pour accéder à mon bureau de vote.

L’un des vôtres, Patrice RADIGUET, citoyen français et résident sur la

commune de CASTANET-TOLOSAN (31 et néanmoins ville pilote) depuis plus de 25 ans.

L’adresse originale de cet article est http://www.creatif-public.net/article723.html

Posté le 23 avril 2007 par Philippe Cazeneuve

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