La préface de Lawrence Lessig
C’est un mouvement sorti de nulle part, mais qui est désormais
présent partout dans le monde. C’est un mouvement qui
vise à modifier dans l’esprit d’un public oublieux une idée familière
et confortable. Cette idée veut que la propriété doit être
protégée, que la culture et la connaissance peuvent être appropriées,
et qu’en conséquence la culture et la connaissance doivent
être protégées de la même façon que nous protégeons
n’importe quelle propriété. Comme l’a résumé l’ex-président de
la Motion Picture Association of America Jack Valenti : « Les titulaires
de droits de propriété intellectuelle doivent se voir accorder
les mêmes droits et la même protection que tous les autres
propriétaires... »
Durant ces dernières décennies, cette vision erronée était inoffensive.
Avec l’émergence des technologies numériques, il est désormais
indispensable de la combattre. Car si ces technologies permettent
un extraordinaire bouillonnement créatif et facilitent la circulation
des savoirs, elles peuvent aussi être utilisées pour restreindre et
contrôler la culture et la connaissance d’une façon qu’aucune société
libre n’a jamais tolérée jusque-là.
L’idée reçue commune à propos de la culture et de la connaissance
n’a en fait rien à voir avec la propriété. Ce mouvement n’est
pas réuni autour de l’idée que la propriété est mauvaise, ou que
« la propriété, c’est le vol ». L’erreur provient plutôt d’une confusion sur la manière dont la culture et la connaissance sont
protégées à travers la propriété. Aucun doute que le copyright (que
l’on distingue du droit moral) puisse être acheté et vendu. Aucun
doute qu’un brevet donne à son titulaire un droit exclusif d’utiliser
l’invention découverte. Mais ces attributs de contrôle ont historiquement
toujours été équilibrés par d’importantes limites.
Nous protégeons l’expression par un droit exclusif avec le copyright,
mais pas les idées. Nous protégeons ce droit pour un temps
limité, mais pas à perpétuité. Nous protégeons ce droit contre certaines
indignités, mais pas contre la critique ou les injures. Nous
protégeons, certes, mais nous maintenons l’équilibre avec une
valeur bien plus fondamentale de nos sociétés, avec la conviction
que la connaissance et la culture doivent se disséminer le plus largement
possible.
C’est cet argument qui doit porter. Il doit partout éclairer les
consciences. Cela ne sera pas fait d’une seule manière et de façon
universelle. Bien que les valeurs de libertés qu’il reflète soient universelles,
les moyens par lesquels ces valeurs seront défendues sont
particulières à chaque peuple et à chaque culture.
Ce livre important de Florent Latrive tout à la fois enseigne et
met en œuvre ces valeurs de liberté. À travers une explication
détaillée des origines et de la nature de ce que l’on appelle désormais
« propriété intellectuelle », Latrive aide à la replacer dans un
contexte social plus large. Et en rendant son texte disponible librement
sous une licence Creative Commons1, il démontre la valeur
des arguments qu’il défend. Il y a dans ce livre certaines idées qui
sont celles de Latrive. Elles sont bâties sur le travail de beaucoup.
Et en rendant son travail librement disponible, il s’assure que
d’autres pourront aussi s’appuyer sur ces idées.
Peu de gens pourraient ne pas être convaincus par les arguments
développés ici, dans un monde où la raison serait la seule force qui
compte. Mais il s’agit d’un combat qui dépasse de beaucoup la seule
raison. Il y a des intérêts très puissants qui sont menacés par les
vérités que ce livre expose. Ils ont répondu à cette menace en poussant les gouvernements partout dans le monde à protéger toujours
plus leurs business models.
Nous devons aider d’autres gens à réaliser que la liberté n’est pas
l’anarchie. Qu’affirmer la liberté intellectuelle et culturelle n’est pas
nier le rôle de la loi dans la protection des artistes et de leur créativité.
Le choix binaire présenté par Hollywood est aussi éloigné de
la réalité que la version du Bossu de Notre-Dame de Disney est éloigné
de Victor Hugo. Laissons la vérité subtile de ce puissant message
trouver d’autres voix encore en France, et partout dans le
monde. Car la vérité n’a jamais eu d’autre force que les voix puissantes
qui la défendent.
Lawrence Lessig [1]
Sommaire
- préface de Lawrence Lessig.................9
- Intro : Tous pirates !...........................13
- Chap 1 : Qu’est ce qu’un pirate ?.................25
- Chap 2 : Idées recues.....................49
- Chap 3 : Savoirs et cultures libres..............73
- Chap 4 : La connaissance, un lien ou un bien ?....97
- Chap 5 : Politique de l’immatériel........117
- Chap 6 : La rareté contre l’abondance.....133
- Epilogue : Vers la gratuité.................159
- Bibliographie.....................................165
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