Avant-propos du dossier, par Frank Beau et Daniel Kaplan
L’élaboration de ce premier numéro des Nouveaux dossiers de l’audiovisuel, sur le thème très à l’affiche du piratage [Le titre originel du dossier, plus fidèle à la diversité qu’il exprime, était "Piratage et partage". Les titreurs ont eu raison de la seconde partie du titre.
]] et des téléchargements sauvages, s’inscrit dans un contexte de crise et de violentes oppositions entre les acteurs de l’internet, les industries technologiques, les ayants droits et le public.
Jamais, sans doute, les industries culturelles n’avaient eu à faire face à de tels défis que ceux posés par la numérisation et par l’émergence de l’internet comme support de création, de distribution, de consommation, de partage des productions culturelles.
Le piratage est-il la cause ou le signe de cette crise ? Le partage est-il un fantasme, un prétexte ou un modèle émergent ? Sommes-nous face à un accident ou une mutation ? Il est difficile, aujourdhui, de construire un dialogue sur ces questions tant les opinions se sont, souvent pour des motifs légitimes, radicalisées.
Nous avons fait le choix dès le départ, de ne pas présenter un énième panorama des positions et des revendications émanant des industries de la musique et du cinéma, des consommateurs, des artistes et sociétés d’auteurs, des fournisseurs d’accès, etc. Nous avons plutôt choisi de laisser des individus, experts, artistes, chercheurs, professionnels, observateurs engagés, éclairer à leur manière les différentes facettes d’un sujet complexe. Nous avons aussi voulu mêler différents plans d’analyse : factuels pour certains, philosophiques pour d’autres et plus spécialisés - techniques, sociologiques, économiques ou juridiques pour les derniers.
Tous les auteurs réunis dans ce dossier tentent, à leur manière, d’aborder ces questions difficiles : entre partage et piratage, quel sens donner à ce qui se déroule sous nos yeux ? Que peut-on attendre de la crise actuelle ? Est-il possible d’en sortir par le haut, de répondre aux nouvelles demandes sociales, tout en défendant les créateurs, en favorisant l’accès à la culture et en préservant l’avenir des acteurs qui le rendent possible ?
De nombreuses voix manquent à l’appel, de nombreux sujets mériteraient d’être davantage développés. Nous espérons toutefois que ce numéro permettra d’éclaircir quelques questions, d’ouvrir des pistes innovantes et enfin, de retrouver l’envie de débattre et de construire ensemble.
Car la question qui compte et qui devrait rassembler, est celle de l’avenir de la création et de son expérience, de la culture et de son partage. C’est celle du désir : pourquoi crée-t-on ? Pourquoi a-t-on besoin de la création d’un autre ? Pourquoi édite-t-on ? Pourquoi partage-t-on ? Pourquoi faut-il un droit pour articuler ces désirs et ces intérêts ? En quoi la technique exprime-t-elle, ou contraint-elle, la transformation du désir ?
Devant des mutations aussi profondes, aussi lourdes de conséquences (mais lesquelles ?), nous n’avons d’autre issue que de reconstruire ensemble des réponses. Puisse ce dossier en susciter l’envie, voire en proposer quelques éléments.
