Définir la médiation numérique, pour quoi faire ?
Ce travail de définition contribue à
construire une identité professionnelle pour les personnes chargées
d’accompagner les usages des technologies, services et médias
numériques.
Ces personnes peuvent être,
-
des professionnels spécialement
affectés à cette mission : animateurs-trices multimédia dans
des lieux d’accès publics à internet ou Espaces publics
numériques, intervenants vacataires d’ateliers d’initiation,
formateurs-trices intervenants auprès de publics en insertion
sociale ou professionnelle, … -
des personnes exerçant
occasionnellement ce rôle dans le cadre de leurs fonctions
professionnelles ou bénévoles : bibliothécaires,
médiateurs-trices culturels, conseillers d’insertion, assistant-e
de vie auprès de personnes âgées, éducateurs-trices auprès de
personnes handicapées, …
La médiation numérique : un enjeu d’équité
Dans une société
dite « de l’information » ou « de la
connaissance », une maîtrise minimum des outils technologiques
(ordinateur, guichets et bornes automatiques, téléphone mobile, et
autres assistants numériques), compétences informationnelles pour
se repérer dans la masse d’informations disponibles, de même qu’un
rudiment de culture générale sur le numérique (principes de
fonctionnement des réseaux, éco-système des médias numériques,
règles éthiques et juridiques, ...), tendent à devenir des
compétences nécessaires pour exercer une citoyenneté de plein
droit.
Il existe une
catégorie de personnes qui ne sont pas familières avec les
technologies numériques, qui ignorent les services et contenus
auxquelles elles permettent d’accéder, qui peinent à s’adapter aux
évolutions rapides des matériels, au point de se trouver
défavorisées, voire handicapées, dans leur vie quotidienne du fait
de leur manque d’autonomie dans l’usage de ces outils.
Accompagner ces
personnes vers l’autonomie dans ce nouvel environnement où la
communication humaine est de plus en plus souvent médiatisée (dans
le sens où elle passe par des « objets et systèmes
communicants » tels que téléphones, ordinateurs, messageries,
réseaux sociaux …) est un véritable enjeu de société : un
enjeu d’équité.
Une première proposition de définition
« La
médiation numérique consiste à accompagner des publics variés
vers l’autonomie, dans les usages quotidiens des technologies,
services et médias numériques ».
Des publics variés … Oui, mais priorité aux publics éloignés
Certains publics sont plutôt autonomes
dans leur appropriation du numérique, soit parce qu’ils font partis
des pionniers et premiers à adopter les nouveautés, soit parce
qu’ils ont pu bénéficier d’une formation ou d’un accompagnement par
des collègues dans le cadre de leur activité professionnelle, soit
parce qu’ils disposent déjà d’un capital culturel et de compétences
de niveau élevé qui facilitent leur adaptation au changement.
Le fossé numérique, qui
caractérise les disparités d’accès et d’utilisation de
l’informatique et de l’internet, prend selon les spécialistes 3
dimensions (voir le Rapport du CAS « Le
fossé numérique en France » - 20 avril 2011) :
-
générationnel : en
fonction de l’âge -
social : selon le
niveau de revenus -
culturel : selon le
niveau d’instruction
On compte parmi les publics
prioritaires des actions de médiation numérique :
-
les personnes âgées de plus de
55 ans, -
personnes à faible revenus
(revenus mensuels du ménage inférieur à 1.500 €) -
femmes au foyer avec pas ou peu
d’expérience professionnelle -
femmes seules avec enfants
(famille monoparentale) -
chômeurs de longue durée
-
professions peu qualifiées,
travailleurs manuels -
personnes ayant un faible niveau
d’instruction (Brevet ou fin de collège et moins) -
personnes en situation
d’illettrisme -
personnes handicapées
-
...
Des études récentes du groupe
e-inclusion du laboratoire M@rsouin
(Voir P. Plantard, Pour en finir
avec la fracture numérique ...", ed FYP, 2011), font
apparaître le rôle important d’un facteur jusque là ignoré,
l’isolement social. L’insertion d’une personne dans des
réseaux de sociabilité, professionnels ou de proximité, constitue
un capital de ressources et de compétences humaines que l’on peut
mobiliser pour se faire aider. Les personnes isolées socialement,
quelque soit leur niveau socio-culturel et leur âge, sont plus
exposées que les autres aux différentes formes d’exclusion
numérique (pas d’équipement, manque de compétences, peu d’intérêt
et de motivation ...).
L’évolution rapide des systèmes
technologiques amène aussi à constater l’obsolescence des premières
compétences numériques, acquises pour certains dans les années 90
ou avant (certains chercheurs parlent à ce propos de « fracture
au second degré », voir P. Brotcorne & G. Valenduc,
Construction
des compétences numériques et réduction des inégalités, FTU
Namur, Juin 2008). On peut ainsi savoir utiliser la bureautique sur
un ordinateur, la messagerie électronique et le web, mais se sentir
perdu avec les nouveaux services web 2.0, les réseaux sociaux, les
smartphones, la musique et la vidéo dématérialisées …
Ainsi, tant que l’industrie du
numérique connaîtra une phase d’expansion et de renouvellement
rapide, on peut penser que les besoins de médiation numérique
resteront élevés et diversifiés, et ce dans toutes les couches de
la population.
Accompagner vers l’autonomie : apprendre à apprendre, plutôt que des procédures
De nombreux programmes d’initiation et
de formation à l’informatique et à l’internet se contentent de
développer des compétences instrumentales, en utilisant qui plus
est une approche procédurale.
Il en résulte que les apprenants sont
démunis au moindre changement d’interface à l’occasion d’une
nouvelle version de logiciel, et éprouvent les plus grandes
difficulté à s’adapter d’un système d’exploitation à un autre.
La médiation numérique doit permettre
aux publics d’exercer un choix et un regard critique sur les systèmes
technologiques qu’ils apprennent à utiliser. Pour cela, il est
indispensable que les savoirs procéduraux soient complétés par la
construction de compétences informationnelles (ex : capacité à
trouver l’information recherchée sur le net ou dans une base de
données) et de compétences stratégiques (ex : capacité à
choix l’outil le mieux adapté pour effectuer une tâche précise ou
obtenir un résultat particulier).
D’autre part, du fait de l’obsolescence
rapide des savoir-faire liés aux technologies de l’information, les
méthodes pédagogiques utilisées doivent privilégier le
développement de compétences transversales et de méta-compétences
cognitives, c’est à dire que l’accent doit être mis sur la capacité
« d’apprendre à apprendre ».
Ce qui ne relève pas de la médiation numérique
-
Les
actions de formation visant à développer des compétences
professionnelles opérationnelles et la maîtrise pratiques de
dispositifs technologiques spécifiquement utilisés dans le monde
du travail. -
Les
démonstrations ou actions de promotion de services uniques ou
technologies spécifiques, sans qu’il soit donné au public la
possibilité de comparer plusieurs systèmes
La posture adaptée pour réussir la médiation numérique
La médiation numérique s’inscrit dans le champs de l’Education informelle
Médiation numérique et médiation
culturelle ont un positionnement commun, comme le suggère cet
extrait d’une définition de la médiation culturelle, et se situent
toutes les deux dans le champs de l’éducation informelle.
Située à
l’intersection du culturel, de l’éducation, de la formation
continue et du loisir, la médiation
culturelle s’inscrit dans le champ ce que l’on appelle
l’éducation informelle. A la différence de l’éducation, au
sens usuel du terme, l’éducation informelle n’est ni
obligatoire, ni contrainte par un programme exhaustif à dispenser,
ni par une validation des acquis à organiser. Ces visées sont tout
à la fois éducatives (sensibilisation, initiation,
approfondissement ...), récréatives (loisir) et citoyennes (être
acteur de la vie de la cité).Jacky
Beillerot, article « Médiation » in Dictionnaire
encyclopédique de l’éducation et de la formation, Nathan, 2000.
Créer ou développer un lien avec la technologie suppose la neutralité
Afin de mieux comprendre la posture du
médiateur numérique, il est intéressant d’interroger le cadre
générique de la médiation, dont le rôle est de faciliter la
relation entre deux parties entretenant des relations distantes voire
conflictuelles.
Les médiateurs
[culturels] s’attachent à favoriser l’émergence de
confrontations et de rencontres efficaces sur le plan artistique et
culturel. Le problème n’est plus seulement de sensibiliser des
populations à la culture mais de soutenir les mutations du champ
culturel (crise des valeurs, conflit des références, coexistence
culturelle, etc.). La fonction des médiateurs revient à relier,
favoriser des passages ou des liaisons, surtout lorsque de heurts
culturels sont prévisibles et qu’il faut renforcer la cohésion du
groupe et lui forger une identité.Christian Ruby
in Emmanuel de Waresquiel, Dictionnaire des politiques culturelles,
Larousse, CNRS, 2001.
Médiation
judiciaire : [mettre en relation deux parties] « sur la
base de règles et de moyens librement acceptés par elles, en vue
soit de la prévention d’un différend ou de sa résolution, soit
de l’établissement ou du rétablissement d’une relation
sociale ».Médiation
sociétale : « Action de mettre en relation deux termes
afin de constituer ou de développer le lien social et de traiter ou
prévenir d’éventuels conflits ».Briant et Y.
Palau, La médiation, Paris, 1999.
Dans ce contexte, l’attitude idéale du
médiateur consiste à ne formuler aucun jugement de valeur,
qu’il soit positif ou négatif,sur
les parties en présence, c’est à dire les publics et les
technologies ou services. Cela suppose donc une neutralité
vis à vis des technologies
présentées.
Dans
le cas de la médiation numérique, il s’agit d’aider les publics
accueillis à créer ou développer un lien plus intime et décomplexé
avecles technologies, produits ou services numériques
susceptibles d’entrer dans leur univers domestique et leur
environnement quotidien.
Ce que le médiateur numérique n’est pas
« Ne formuler aucun jugement de
valeur », cela signifie que :
-
Le médiateur n’est pas un
évangélisateur : il n’est pas là pour promouvoir un
progrès technologique qui serait nécessairement synonyme de
progrès social pour les personnes. -
Le médiateur n’est pas un
vendeur ou un marieur : il propose de mettre en relation,
mais il n’a pas d’objectifs quantitatifs de « contrats
d’adoption » à faire signer. Il a une obligation de moyens,
mais pas une obligation de résultats. -
Le médiateur n’est pas un
préconisateur : son rôle à d’informer et de former la
personne afin qu’elle puisse faire des choix par elle-même et non
pas de lui conseiller ce qui est le mieux pour elle.
Priorité à la relation
Nous reprenons à notre compte les
propositions de Jean Caune à propos de la médiation culturelle
(Voir Les conditions pour penser la notion de médiation
culturelle en France, ces cinquante dernières années, in
Culture
pour tous,
Actes du Colloque international sur la médiation culturelle -
Montréal – Décembre 2008), en les adaptant à la médiation
numérique, ce qui donne les recommandations suivantes aux personnes
chargées d’organiser la médiation :
- Il faut « mettre l’accent sur
la relation plutôt que sur l’objet » technologique.
-
La relation du médiateur avec
le public : il ne s’agit pas de savoir si le médiateur est
« aimable », « gentil »ou « pédagogue »,
mais s’il ou elle a le bon profil. L’idéal est de réduire la
distance entre le médiateur et le public en terme de différentiel
d’âge, de genre, de milieu socio-culturel, d’origine
ethno-linguistique … -
La relation du public avec
l’institution : certains lieux (musée, bibliothèque,
école … ) peuvent être intimidants pour des publics qui n’y ont
jamais mis les pieds ou en ont un mauvais souvenir. -
La relation du public avec la
technologie : ne pas sous-estimer l’importance des peurs,
sentiment d’infériorité, croyance à l’aspect magique de la
technologie, …
- Il faut « s’interroger
sur l’énonciation, plutôt que sur le contenu de l’énoncé ».-
Prenons un exemple pour illustrer
cette formulation un peu complexe. -
Dans l’action d’un Espace public
numérique, « privilégier le contenu » consisterait à
proposer des initiations à Word ou OpenOffice, dont le
contenu serait centré sur l’apprentissage des fonctionnalités des
logiciels. -
Questionner « l’énonciation »,
c’est à dire la façon dont le public va s’approprier et
interpréter les savoirs pratiques ou théoriques proposés, revient
à contextualiser les apprentissages dans le cadre d’usages sociaux,
de projets personnels ou collectifs, en proposant d’accompagner les
personnes à faire un album de photos de famille au format
numérique, de s’initier à la recherche sur internet en préparant
un voyage, etc
-
- Il faut « privilégier la
réception plutôt que la diffusion ».-
L’objectif de réduction de la
fracture numérique qui a prévalu à la création des EPN avec des
objectifs quantitatifs d’amélioration du taux de ménages équipés
et connectés à internet, privilégie clairement la diffusion des
technologies ; cette approche relève du développement
économique ou local, mais pas de la médiation numérique. -
Lorsqu’on se situe dans une
perspective d’insertion sociale par le numérique (ou e-inclusion),
la démarche privilégie nettement la qualité de la réception ;
il s’agit là d’une véritable posture de médiation numérique.
-