Vers une définition de la Médiation numérique

Reprise d’un article publié sur le blog de Philippe Cazeneuve Savoir en actes en creative commons

Voici en avant-première de la conférence introductive des Assises de la médiation numérique qui se dérouleront à Ajaccio du 19 au 21 septembre 2011, quelques éléments de définition afin de proposer les bases d’un cadre de réflexion commun.

« La
médiation numérique consiste à accompagner des publics variés
vers l’autonomie, dans les usages quotidiens des technologies,
services et médias numériques ».

Médiation numérique

Définir la médiation numérique, pour quoi faire ?

Ce travail de définition contribue à
construire une identité professionnelle pour les personnes chargées
d’accompagner les usages des technologies, services et médias
numériques.

Ces personnes peuvent être,

  • des professionnels spécialement
    affectés à cette mission : animateurs-trices multimédia dans
    des lieux d’accès publics à internet ou Espaces publics
    numériques, intervenants vacataires d’ateliers d’initiation,
    formateurs-trices intervenants auprès de publics en insertion
    sociale ou professionnelle, …

  • des personnes exerçant
    occasionnellement ce rôle dans le cadre de leurs fonctions
    professionnelles ou bénévoles : bibliothécaires,
    médiateurs-trices culturels, conseillers d’insertion, assistant-e
    de vie auprès de personnes âgées, éducateurs-trices auprès de
    personnes handicapées, …

La médiation numérique : un enjeu d’équité

Dans une société
dite « de l’information » ou « de la
connaissance », une maîtrise minimum des outils technologiques
(ordinateur, guichets et bornes automatiques, téléphone mobile, et
autres assistants numériques), compétences informationnelles pour
se repérer dans la masse d’informations disponibles, de même qu’un
rudiment de culture générale sur le numérique (principes de
fonctionnement des réseaux, éco-système des médias numériques,
règles éthiques et juridiques, ...), tendent à devenir des
compétences nécessaires pour exercer une citoyenneté de plein
droit.

Il existe une
catégorie de personnes qui ne sont pas familières avec les
technologies numériques, qui ignorent les services et contenus
auxquelles elles permettent d’accéder, qui peinent à s’adapter aux
évolutions rapides des matériels, au point de se trouver
défavorisées, voire handicapées, dans leur vie quotidienne du fait
de leur manque d’autonomie dans l’usage de ces outils.

Accompagner ces
personnes vers l’autonomie dans ce nouvel environnement où la
communication humaine est de plus en plus souvent médiatisée (dans
le sens où elle passe par des « objets et systèmes
communicants » tels que téléphones, ordinateurs, messageries,
réseaux sociaux …) est un véritable enjeu de société : un
enjeu d’équité.

Une première proposition de définition

« La
médiation numérique consiste à accompagner des publics variés
vers l’autonomie, dans les usages quotidiens des technologies,
services et médias numériques ».

Des publics variés … Oui, mais priorité aux publics éloignés

Certains publics sont plutôt autonomes
dans leur appropriation du numérique, soit parce qu’ils font partis
des pionniers et premiers à adopter les nouveautés, soit parce
qu’ils ont pu bénéficier d’une formation ou d’un accompagnement par
des collègues dans le cadre de leur activité professionnelle, soit
parce qu’ils disposent déjà d’un capital culturel et de compétences
de niveau élevé qui facilitent leur adaptation au changement.

Le fossé numérique, qui
caractérise les disparités d’accès et d’utilisation de
l’informatique et de l’internet, prend selon les spécialistes 3
dimensions (voir le Rapport du CAS « Le
fossé numérique en France »
- 20 avril 2011) :

  • générationnel : en
    fonction de l’âge

  • social : selon le
    niveau de revenus

  • culturel : selon le
    niveau d’instruction

On compte parmi les publics
prioritaires des actions de médiation numérique :

  • les personnes âgées de plus de
    55 ans,

  • personnes à faible revenus
    (revenus mensuels du ménage inférieur à 1.500 €)

  • femmes au foyer avec pas ou peu
    d’expérience professionnelle

  • femmes seules avec enfants
    (famille monoparentale)

  • chômeurs de longue durée

  • professions peu qualifiées,
    travailleurs manuels

  • personnes ayant un faible niveau
    d’instruction (Brevet ou fin de collège et moins)

  • personnes en situation
    d’illettrisme

  • personnes handicapées

  • ...

Des études récentes du groupe
e-inclusion du laboratoire M@rsouin
(Voir P. Plantard, Pour en finir
avec la fracture numérique ..."
, ed FYP, 2011), font
apparaître le rôle important d’un facteur jusque là ignoré,
l’isolement social. L’insertion d’une personne dans des
réseaux de sociabilité, professionnels ou de proximité, constitue
un capital de ressources et de compétences humaines que l’on peut
mobiliser pour se faire aider. Les personnes isolées socialement,
quelque soit leur niveau socio-culturel et leur âge, sont plus
exposées que les autres aux différentes formes d’exclusion
numérique (pas d’équipement, manque de compétences, peu d’intérêt
et de motivation ...).

L’évolution rapide des systèmes
technologiques amène aussi à constater l’obsolescence des premières
compétences numériques, acquises pour certains dans les années 90
ou avant (certains chercheurs parlent à ce propos de « fracture
au second degré
 », voir P. Brotcorne & G. Valenduc,
Construction
des compétences numériques et réduction des inégalités
, FTU
Namur, Juin 2008). On peut ainsi savoir utiliser la bureautique sur
un ordinateur, la messagerie électronique et le web, mais se sentir
perdu avec les nouveaux services web 2.0, les réseaux sociaux, les
smartphones, la musique et la vidéo dématérialisées …

Ainsi, tant que l’industrie du
numérique connaîtra une phase d’expansion et de renouvellement
rapide, on peut penser que les besoins de médiation numérique
resteront élevés et diversifiés, et ce dans toutes les couches de
la population.

Accompagner vers l’autonomie : apprendre à apprendre, plutôt que des procédures

De nombreux programmes d’initiation et
de formation à l’informatique et à l’internet se contentent de
développer des compétences instrumentales, en utilisant qui plus
est une approche procédurale.

Il en résulte que les apprenants sont
démunis au moindre changement d’interface à l’occasion d’une
nouvelle version de logiciel, et éprouvent les plus grandes
difficulté à s’adapter d’un système d’exploitation à un autre.

La médiation numérique doit permettre
aux publics d’exercer un choix et un regard critique sur les systèmes
technologiques
qu’ils apprennent à utiliser. Pour cela, il est
indispensable que les savoirs procéduraux soient complétés par la
construction de compétences informationnelles (ex : capacité à
trouver l’information recherchée sur le net ou dans une base de
données) et de compétences stratégiques (ex : capacité à
choix l’outil le mieux adapté pour effectuer une tâche précise ou
obtenir un résultat particulier).

D’autre part, du fait de l’obsolescence
rapide des savoir-faire liés aux technologies de l’information, les
méthodes pédagogiques utilisées doivent privilégier le
développement de compétences transversales et de méta-compétences
cognitives, c’est à dire que l’accent doit être mis sur la capacité
« d’apprendre à apprendre ».

Ce qui ne relève pas de la médiation numérique

  • Les
    actions de formation visant à développer des compétences
    professionnelles opérationnelles et la maîtrise pratiques de
    dispositifs technologiques spécifiquement utilisés dans le monde
    du travail.

  • Les
    démonstrations ou actions de promotion de services uniques ou
    technologies spécifiques, sans qu’il soit donné au public la
    possibilité de comparer plusieurs systèmes

La posture adaptée pour réussir la médiation numérique

La médiation numérique s’inscrit dans le champs de l’Education informelle

Médiation numérique et médiation
culturelle
ont un positionnement commun, comme le suggère cet
extrait d’une définition de la médiation culturelle, et se situent
toutes les deux dans le champs de l’éducation informelle.

Située à
l’intersection du culturel, de l’éducation, de la formation
continue et du loisir, la médiation
culturelle
s’inscrit dans le champ ce que l’on appelle
l’éducation informelle. A la différence de l’éducation, au
sens usuel du terme, l’éducation informelle n’est ni
obligatoire, ni contrainte par un programme exhaustif à dispenser,
ni par une validation des acquis à organiser. Ces visées sont tout
à la fois éducatives (sensibilisation, initiation,
approfondissement ...), récréatives (loisir) et citoyennes (être
acteur de la vie de la cité).

Jacky
Beillerot, article « Médiation » in Dictionnaire
encyclopédique de l’éducation et de la formation, Nathan, 2000.

Créer ou développer un lien avec la technologie suppose la neutralité

Afin de mieux comprendre la posture du
médiateur numérique, il est intéressant d’interroger le cadre
générique de la médiation, dont le rôle est de faciliter la
relation entre deux parties entretenant des relations distantes voire
conflictuelles
.

Les médiateurs
[culturels]
s’attachent à favoriser l’émergence de
confrontations et de rencontres efficaces sur le plan artistique et
culturel. Le problème n’est plus seulement de sensibiliser des
populations à la culture mais de soutenir les mutations du champ
culturel (crise des valeurs, conflit des références, coexistence
culturelle, etc.). La fonction des médiateurs revient à relier,
favoriser des passages ou des liaisons, surtout lorsque de heurts
culturels sont prévisibles et qu’il faut renforcer la cohésion du
groupe et lui forger une identité.

Christian Ruby
in Emmanuel de Waresquiel, Dictionnaire des politiques culturelles,
Larousse, CNRS, 2001.

Médiation
judiciaire :
[mettre en relation deux parties] « sur la
base de règles et de moyens librement acceptés par elles, en vue
soit de la prévention d’un différend ou de sa résolution, soit
de l’établissement ou du rétablissement d’une relation
sociale ».

Médiation
sociétale :
« Action de mettre en relation deux termes
afin de constituer ou de développer le lien social et de traiter ou
prévenir d’éventuels conflits ».

Briant et Y.
Palau, La médiation, Paris, 1999.

Dans ce contexte, l’attitude idéale du
médiateur consiste à ne formuler aucun jugement de valeur,
qu’il soit positif ou négatif,
sur
les parties en présence, c’est à dire les publics et les
technologies ou services. Cela suppose donc une
neutralité
vis à vis des technologies

présentées.

Dans
le cas de la médiation numérique, il s’agit d’aider les publics
accueillis à créer ou développer un lien plus intime et décomplexé
avec
les technologies, produits ou services numériques
susceptibles d’entrer dans leur univers domestique et leur
environnement quotidien.

Ce que le médiateur numérique n’est pas

« Ne formuler aucun jugement de
valeur », cela signifie que :

  • Le médiateur n’est pas un
    évangélisateur
     : il n’est pas là pour promouvoir un
    progrès technologique qui serait nécessairement synonyme de
    progrès social pour les personnes.

  • Le médiateur n’est pas un
    vendeur
    ou un marieur : il propose de mettre en relation,
    mais il n’a pas d’objectifs quantitatifs de « contrats
    d’adoption » à faire signer. Il a une obligation de moyens,
    mais pas une obligation de résultats.

  • Le médiateur n’est pas un
    préconisateur
     : son rôle à d’informer et de former la
    personne afin qu’elle puisse faire des choix par elle-même et non
    pas de lui conseiller ce qui est le mieux pour elle.

Priorité à la relation

Nous reprenons à notre compte les
propositions de Jean Caune à propos de la médiation culturelle
(Voir Les conditions pour penser la notion de médiation
culturelle en France, ces cinquante dernières années,
in
Culture
pour tous
,
Actes du Colloque international sur la médiation culturelle -
Montréal – Décembre 2008
), en les adaptant à la médiation
numérique, ce qui donne les recommandations suivantes aux personnes
chargées d’organiser la médiation :

- Il faut « mettre l’accent sur
la relation plutôt que sur l’objet » technologique.

  • La relation du médiateur avec
    le public
     : il ne s’agit pas de savoir si le médiateur est
    « aimable », « gentil »ou « pédagogue »,
    mais s’il ou elle a le bon profil. L’idéal est de réduire la
    distance entre le médiateur et le public en terme de différentiel
    d’âge, de genre, de milieu socio-culturel, d’origine
    ethno-linguistique …

  • La relation du public avec
    l’institution
     : certains lieux (musée, bibliothèque,
    école … ) peuvent être intimidants pour des publics qui n’y ont
    jamais mis les pieds ou en ont un mauvais souvenir.

  • La relation du public avec la
    technologie
     : ne pas sous-estimer l’importance des peurs,
    sentiment d’infériorité, croyance à l’aspect magique de la
    technologie, …

  • Il faut « s’interroger
    sur l’énonciation, plutôt que sur le contenu
    de l’énoncé ».
    • Prenons un exemple pour illustrer
      cette formulation un peu complexe.

    • Dans l’action d’un Espace public
      numérique, « privilégier le contenu » consisterait à
      proposer des initiations à Word ou OpenOffice, dont le
      contenu serait centré sur l’apprentissage des fonctionnalités des
      logiciels.

    • Questionner « l’énonciation »,
      c’est à dire la façon dont le public va s’approprier et
      interpréter les savoirs pratiques ou théoriques proposés, revient
      à contextualiser les apprentissages dans le cadre d’usages sociaux,
      de projets personnels ou collectifs, en proposant d’accompagner les
      personnes à faire un album de photos de famille au format
      numérique, de s’initier à la recherche sur internet en préparant
      un voyage, etc

  • Il faut « privilégier la
    réception plutôt que la diffusion
     ».
    • L’objectif de réduction de la
      fracture numérique qui a prévalu à la création des EPN avec des
      objectifs quantitatifs d’amélioration du taux de ménages équipés
      et connectés à internet, privilégie clairement la diffusion des
      technologies ; cette approche relève du développement
      économique ou local, mais pas de la médiation numérique.

    • Lorsqu’on se situe dans une
      perspective d’insertion sociale par le numérique (ou e-inclusion),
      la démarche privilégie nettement la qualité de la réception ;
      il s’agit là d’une véritable posture de médiation numérique.

Remarque : Dans l’univers des bibliothèques, le terme de "médiation numérique" a commencé à être utilisé par certains bibliothécaires dans un sens assez différent, qui désigne davantage les nouvelles formes de médiation des collections grâce à l’usage des outils numériques (Voir notamment la définition de Sylvère Mercier sur son blog Bibliobsession ou la présentation de Lionel Dujol sur Slideshare). Médiation de la culture numérique versus Médiation culturelle via le numérique, les deux approches sont complémentaires et peuvent cohabiter, il faut juste préciser d’où on parle et à qui on s’adresse.

Posté le 10 août 2011 par Philippe Cazeneuve

©© a-brest, article sous licence creative common info

Nouveau commentaire
  • Octobre 2011
    16:44

    Educ.pop & médiation numérique

    par Philippe Cazeneuve

    Bonjour Isabelle,

    Merci pour ce commentaire développé qui propose des éléments critiques fort intéressants et pointe des éléments-clés du débat. Désolé de n'avoir pu y répondre avant, la préparation des Assises, le pendant et l'après, ainsi que les chantiers de rentrée ayant aspiré toute mon énergie disponible.

    Je reprends d'abord les points d'accord avec certaines idées dont tu soulignes l'importance et que je n'ai pas sans doute pas développé suffisamment.

    Etant issu de l'Education populaire, je partage tes interrogations sur la médiation culturelle et la critique de certaines formes pratiquées sur le terrain qui n'organisent pas une confrontation entre le créateur (et/ou l'oeuvre) et les publics permettant le débat. Le médiateur culturel se retrouve alors dans la posture de renforcer et justifier les rapports de domination culturelle et sociale existants.

    A propos de l'accompagnement vers l'autonomie, tu insistes très justement sur la nécessité de permettre un choix éclairé, qui passe par une compréhension des enjeux du numérique dans la société, des changements en cours, ainsi que le développement d'un esprit critique face à ces questions.

    Médiateur neutre ou critique ?

    Tu proposes ainsi que le médiateur soit critique et non pas neutre vis à vis des technologies. Cette proposition est intéressante, car pour moi, c'est exactement la conception que j'ai de la neutralité ;-)

    Je n'imaginais pas une neutralité passive, dans laquelle le médiateur se réfugierait, en prétendant adopter un point de vue de Sirius, détaché et au-dessus de la mêlée. Nous savons que ce point de vue idéal n'existe pas.

    Je me représente plutôt la neutralité comme l'attitude d'un enseignant d'histoire que j'ai eu à la fac. Engagé politiquement à la gauche de la gauche, laïc et franc-maçon assumé, il était clairement dans la lignée de l'histoire économique et sociale et de l'école des Annales. Cependant dans ses cours, il mettait un point d'honneur à développer les différentes thèses contradictoires sur une même question, nous indiquait son point de vue personnel afin que nous sachions en quoi cela pouvait influencer éventuellement sa présentation et terminait invariablement par un « Et vous, vous pensez ce que vous voulez ... ». Propos assez décapants pour des étudiants frais émoulus du Lycée !

    Donc il faudrait insister sur ce point dans la définition. Pourquoi ne pas parler de neutralité critique ? A creuser ...

    Educ. Pop. & Médiation numérique

    C'est là qu'on rentre dans le coeur du débat, et où j'ai un positionnement sans doute différent et des interrogations sur certaines de tes affirmations, ce qui ne m'empêche pas par ailleurs de respecter tes convictions.

    Si je suis d'accord avec l'idée de donner à la médiation numérique une dimension transversale, je ne suis pas favorable à inscrire la Médiation numérique dans le champ de l'Education populaire.

    De la même façon que je défend l'idée que la posture du médiateur numérique doit éviter d'adopter les rôles de l'évangélisateur, du vendeur ou préconisateur, je me méfie de la casquette de « l'émancipateur des peuples ».

    J'ai conclu mon intervention à Ajaccio en faisant la différence entre les mots-valises et les mots-outils. Pour moi l'Education populaire est un mot-valise : sa construction sémantique est celle d'un slogan, c'est une bannière pour réunir des personnes, mais une fois réunis sous les drapeaux cela ne nous dit pas vraiment comment on va s'y prendre pour atteindre l'objectif. Lorsque beaucoup de monde y croit, la mobilisation générée donne de l'énergie à défaut de fournir de la méthode. Ces slogans perdent tout leur intérêt quand ils réunissent de moins en moins de monde...

    Dans mon travail de formateur, je suis en recherche de mots-outils et je pense que la notion de médiation numérique est un bon candidat pour devenir un mot-outil structurant pour le champ qui nous intéresse. La posture du médiateur, qui reste à affiner, me semble un positionnement plus adapté à la problématique de l'appropriation des usages, enjeu que j'aime résumer par la formule « apprivoiser les technologies ». Je vais développer cela dans un autre article en cours de rédaction …

    Au carrefour de la médiation culturelle et de la médiation scientifique & technique ?

    Enfin, il y a aussi un positionnement stratégique pour le futur. L'Education populaire n'a plus la côte auprès des décideurs et gestionnaires d'argent public, qu'ils soient de droite ou de gauche. Trop d'abus, d'approximations, d'argent gaspillé et de discours lyriques masquant des pratiques inexistantes. Il faut que l'Educ. Pop. balaye devant sa porte si elle veut être crédible sur ses fondamentaux et outille davantage ses pratiques. Derrière des finalités généreuses (ex. développer le lien social), on ne trouve pas toujours d'objectifs précis évaluables.

    Ces pratiques approximatives deviennent de moins en moins tolérables dans le contexte actuel de la raréfaction des deniers publics et complètement incompatibles avec le développement d'une culture d'évaluation des politiques publiques.

    Le champs de la médiation numérique hérite de l'histoire riche de l'Education populaire, mais il lui appartient (selon moi, et je peux me tromper), de dessiner son propre avenir, au carrefour de la médiation culturelle et de la médiation scientifique & technique. Affaire à suivre ...

  • Septembre 2011
    16:19

    Vers une définition de la Médiation numérique

    par Jean-Luc Poitoux

    Bonjour à toutes et tous,
    je tente d’apporter ma pierre à l’édifice déjà bien construit ici de la médiation numérique, avec de nombreuses références intéressantes.
    Je voudrais surtout tenter de la clarifier et de la compléter, si possible.

    En effet, accompagner, c’est permettre à une personne ou à un groupe d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, librement.

    La médiation, c’est :
    1- aider deux parties à trouver leurs propres solutions à un différend ;
    2- rapprocher des personnes, des organisations, des offres et des demandes, une personne (un groupe) à un/des savoir(s)...

    Le numérique, c’est toute technologie (outil, système...) qui intègre de l’électronique numérique, par opposition à l’analogique, évolution continue d’un signal.

    La médiation numérique, c’est :
    1- rapprocher l’offre et la demande, la création et l’usage des outils intégrant du numérique, accompagner la résorpsion de la triste fracture numérique, chaque acteur faisant un pas vers l’autre, ce qui peut être conflictuel ou écrasé par un acteur (exemple de windows, google...) ;
    2- aider à solutionner les conflits sociaux, politiques ou économiques qui en découlent.
    3- utiliser les outils numériques, les TIC (technologies de l’information et de la communication)... pour favoriser le travail des médiateurs quel que soit leur domaine d’intervention, à commencer par le numérique, bien sûr !

    De nombreuses questions se posent, notamment :

    • comment concilier le nécessaire libre arbitre du médiateur, avec les objectifs politiques du gestionnaire du lieu, qu’il soit public ou privé ?
    • comment permettre à tous les citoyens d’exercer pleinement leur citoyenneté dans un monde en perpétuelle évolution intégrant de manière parfois chaotique les innovations, voire les mutations, qu’elles soient technologiques, organisationnelles, économiques, sociales... ?

    La médiation numérique dans le cadre d’un accès public peut, et selon moi, doit, intégrer tous ces aspects, ce qui nécessite d’augmenter le niveau des médiateurs, ce que j’ai eu la chance d’expérimenter au Havre pendant plus de 13 ans dans le cadre d’une association humanitaire.

    Référentiel métier et formation sont prêts.

    Enfin, je vous informe que j’ai mis ce sujet à l’ordre du jour des journées du COREM (collectif de recherche en médiation) qui auront lieu à Paris du 8 au 10 septembre prochains.

    Bien cordialement

    JLuc

  • Août 2011
    17:45

    Vers une définition de la Médiation numérique

    par iferracci

    Bonjour. Je serai également présente à Ajaccio. Merci pour votre contribution qui se rapproche des questions qui me préoccupent souvent. Elle appelle de nombreuses réflexions, je commence par les plus saillantes :

    Le terme de « médiation » est parlant, il présente plusieurs avantages que vous avez fort bien argumentés.

    Mais il est aussi « usé », connoté. Prenons la médiation culturelle, au hasard, au sein duquel vous placeriez la médiation numérique. A t-elle pour objectif d’accompagner les publics vers l’oeuvre ou de décoder l’oeuvre pour la rendre intelligible aux publics ? Favoriser cette rencontre entre l’oeuvre et les publics, oui, mais pourquoi ??? la construction des nouvelles identités et de la cohésion du groupe social confronté aux mutations (que la médiation se donnerait comme objectif) ne peut se faire que dans le débat, la confrontation. Sur le terrain, la médiation culturelle ne se traduit que très rarement par l’émergence de débats, mais souvent par un accompagnement très cadré, voire contre-productif du point de vue de l’autonomisation (voir sur ce sujet les passionantes conférences gesticulées de Franck Lepage, Incultures 1 et 2).

    Votre texte m’inspire la même question.

    « Apprendre à utiliser un ordinateur, ce n’est pas si facile que ça, mais vous pouvez y arriver ».

    Oui mais pour quoi faire ?

    Je suis absolument d’accord avec :

    « Adopter une certaine neutralité vis à vis des publics, consisterait à ne pas faire à leur place (Aider=se substituer), à respecter leur rythme d’apprentissage, à accepter qu’une personne choisisse finalement de ne pas utiliser les outils numériques auxquels elle s’est initiée, à accepter qu’on peut vivre très bien et de façon très intégrée à la société sans utiliser quotidiennement les services numériques, …
    "Accompagner vers l’autonomie", c’est respecter le choix des personnes d’utiliser ou non, et de ne pas porter de jugement sur la façon dont elles s’approprient finalement les technologies présentées »

    Mais pour que cela soit acceptable, il faut que ce choix soit un choix eclairé. Il faut que le libre-arbitre de la personne se soit pleinement exprimé.

    Il est donc question de s’approprier les techniques, mais également les enjeux, le sens des évolutions, les opportunités etc …

    Il faudrait donc également (et pas de façon secondaire mais presque au préalable), accompagner les publics à développer leur esprit critique, à analyser le monde numérique qui les entoure.

    Et donc, comme le dit Michel Briand :

    « On retrouve ici des fondamentaux de l’éducation populaire qui invite à la citoyenneté active, l’esprit critique et contribue au lien social par la reconnaissance des personnes »

    La médiation numérique s’inscrit donc dans le champ de l’éducation … populaire !

    Transversale, ni enfermée dans la formation, ni dans les epn, l’éduc pop me semble le cadre de référence adéquat, convenant tout autant aux expérimentations de Hugues qu’aux réalisations de Brest.

    Ce positionnement permet également d’éclairer la question de la neutralité d’une autre façon.

    En effet, l’intervenant (« le médiateur ») se doit d’être non pas neutre mais critique vis à vis des technologies et il invite également les publics à faire des choix. Des choix éclairés donc, mais des choix tout de même.

    Cette approche, du moins dans le champ de l’éducation populaire, se veut profondément émancipatrice et par conséquent extrèmement politique, au sens noble du terme.

    Votre approche n’est pas nécessairement opposée à ce point de vue. Mais il est important à mon sens d’aborder la question « politique » de front. Car les médiations dont nous parlons sont celles qui vont contribuer à construire le citoyen de demain. Il est donc indispensable de penser, d’évoquer, de nommer les grands principes du monde de demain que nous voulons.

    De plus, j’ai toujours la sensation que d’éviter le sujet, en abordant par exemple la problématique par l’outil et non pas par l’objectif (accompagner à maîtriser la technique avant que de s’interroger sur la place et le rôle de chacun dans le « vivre ensemble ») … contribue finalement à creuser le fossé plutôt qu’à le combler.

    J’écoutais ce matin Pierre Rosanvallon sur Inter. Son urgence à repenser le principe d’égalité, la façon dont il affirme que nous avons besoin de cette ligne directrice pour construire la démocratie de demain me parlent beaucoup.

    Une société où l’autre est considéré comme un semblable, où la réciprocité est affirmée comme un principe, où le vivre ensemble est l’activité principale et les singularités respectées … voilà dessinés les contours d’un contrat social minimal que devrait défendre le service public.

    Les médiations, et en particulier les médiations numériques, ont un rôle majeur à jouer dans cet effort... indispensable.

  • Août 2011
    18:27

    Vers une définition de la Médiation numérique

    par Hedwige Cornet

    Pour les Assises, plutôt que de chercher à définir le concept de "médiation numérique" (on peut en débattre sans fin !), ne serait-il pas plus constructif de réfléchir ensemble aux actions à mettre en oeuvre dans les territoires pour accompagner auprès de leurs habitants les changements liés au développement de la société numérique et permettre à tous d’y participer ?

    Hedwige Cornet

  • Août 2011
    13:58

    Réponse 3 à Michel Briand – « Appropriation » plutôt que « Réception »

    par Philippe Cazeneuve

    Complètement d’accord. J’ai laissé les termes de réception/diffusion, car ce sont ceux utilisés par Jean Caune dont je reprends les recommandations pour les acteurs de la médiation culturelle.

    J’ai prévu pour la conférence des Assises de la Médiation numérique à Ajaccio en Septembre, de développer l’approche de Serge Proulx sur l’appropriation sociale des technologies …

    A suivre donc !

  • Août 2011
    13:39

    Réponse 2 à Michel Briand – Empathie et/ou neutralité du médiateur numérique ?

    par Philippe Cazeneuve

    En rédigeant l’article, je me suis posé la même question … et puis j’ai décidé de laisser les choses en l’état, n’ayant pas trouvé la façon de résoudre le dilemme simplement.
    Je trouve intéressant tant qu’à utiliser le terme de « médiation numérique » de pousser jusqu’au bout la filiation avec la notion générique de médiation, afin de voir ce qu’elle peut apporter aux professionnels du secteur, en terme d’heuristique et de méthodologie.
    Or le socle de cette notion, c’est bien le principe que le médiateur n’émet pas de jugement de valeur sur les parties en présence (technologies & publics, dans le cas de la médiation numérique).

    Vis à vis des technologies, l’intérêt d’une neutralité des médiateurs-trices fait son chemin. Ce serait ainsi la continuité d’une attitude préconisée par les spécialistes, en matière d’infrastructures et de développement des réseaux ( Voir « Neutralité du Net » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_du_net)

    Mais vis à vis des publics, en particulier les plus en difficulté avec les technologies numériques, peut-on leur apporter toute l’empathie nécessaire à leur accompagnement, sans émettre de jugement de valeur ?
    Je crois que cela amène à insister sur la différence entre « Aider » et « Accompagner vers l’autonomie ».
    La démarche de médiation numérique, comme toute approche pédagogique, part du postulat que l’individu à la capacité d’apprendre. L’empathie consiste à dire à une personne débutante : « Apprendre à utiliser un ordinateur, ce n’est pas si facile que ça, mais vous pouvez y arriver ».

    Adopter une certaine neutralité vis à vis des publics, consisterait à ne pas faire à leur place (Aider=se substituer), à respecter leur rythme d’apprentissage, à accepter qu’une personne choisisse finalement de ne pas utiliser les outils numériques auxquels elle s’est initiée, à accepter qu’on peut vivre très bien et de façon très intégrée à la société sans utiliser quotidiennement les services numériques, …
    "Accompagner vers l’autonomie", c’est respecter le choix des personnes d’utiliser ou non, et de ne pas porter de jugement sur la façon dont elles s’approprient finalement les technologies présentées.

    A creuser ;-)

  • Août 2011
    12:57

    Réponse 1 à Michel Briand – Médiation numérique & Formation professionnelle

    par Philippe Cazeneuve

    Je suis assez d’accord avec Michel pour souligner la proximité entre la médiation numérique et la formation, et je préconise que les EPN qui le peuvent, ajoutent à leur actions d’initiation, des actions de formation, financées par exemple par le Droit Individuel à la Formation (DIF).

    L’exemple qu’il cite est assez intéressant, car souvent les comportements et attitudes de coopération que l’on cherche à développer dans ce type de formation-action, sont perçues par les employeurs davantage comme des « savoir-être » et des qualités personnelles, que comme des compétences relationnelles qui s’acquièrent et se développent, et elles sont encore rarement identifiées et valorisées dans l’environnement professionnel. Il est assez symptomatiques finalement qu’elles soient perçues comme des « compétences citoyennes », utiles pour le vivre ensemble … mais pas vitales pour le métier d’enseignant au point de l’inclure dans leur formation obligatoire.

    Mais il faut bien séparer la dimension administrative et financière de la formation professionnelle et la dimension pédagogique.
    S’il y a proximité au point d’envisager des parcours d’apprentissage avec des passerelles entre l’initiation réalisée dans un lieu d’accès public à internet et le perfectionnement assuré dans un organisme de formation, il n’y a pas confusion des rôles. Aussi, il est d’autant plus important de s’attacher à préciser la spécificité de la médiation numérique, dans ses buts, ses approches, ses méthodes.

    C’est pourquoi il me semble important d’affirmer que dans ses fondamentaux, la médiation numérique relève davantage de l’Education informelle que de la Formation professionnelle, car c’est un postulat de départ qui permet de créer un espace spécifique pour cette profession.

  • Août 2011
    12:48

    Vers une définition de la Médiation numérique

    par Philippe Cazeneuve

    Je reprends ici 3 remarques critiques émises par Michel Briand lors d’un échange téléphonique que nous avons eu avant la re-publication de cet article sur @-brest. Elles soulignent à juste titre des points faibles de ce premier texte, j’y répond dans les commentaires suivants.

    1- La frontière entre la Médiation numérique et la Formation professionnelle n’est pas si nette que cela. Il me cite l’exemple de la formation des enseignants aux pratiques collaboratives en ligne, compétences développées par leur participation à des projets de médiation numérique tel que cela peut se passer sur Brest, et qui peuvent être réinvesties dans l’exercice de leur profession.

    2- S’il est souhaitable que le médiateur adopte une attitude de neutralité vis à vis des technologies, il doit avoir de l’empathie pour les apprenants, et donc on ne peut dire que la posture idéale du médiateur serait d’être neutre vis à vis des deux parties (technologies & publics).

    3- A la fin de l’article, lorsqu’il est question de privilégier la « réception » par rapport à la diffusion, Michel me fait remarquer que le terme « Appropriation » serait plus adapté, car il insiste davantage sur l’attitude active des publics, préconisée dans les démarches de médiation numérique.

  • Août 2011
    11:56

    Vers une définition de la Médiation numérique

    par Philippe Cazeneuve

    @ Hugues Aubin

    Bonjour Hugues,

    Tu mets le doigt sur un point important en soulignant que le terme de "médiation numérique" a déjà commencé à être utilisé à propos de l’utilisation d’interfaces, d’outils et de services numériques pour présenter, représenter, discuter ... des informations.

    Pour l’exemple que tu cites, je serais tenté d’utiliser le terme d"Interprétation numérique" (Digital interpretation).
    Le terme d’interprétation est dérivé du terme utilisé en muséologie, des sciences en particulier. Il existe des sentiers d’interprétation dans le domaine de la botanique, du paysage, de l’environnement, du patrimoine ... Je pense que la démarche de donner à voir autrement, à comprendre et à débattre les projets urbains est assez proche de cette philosophie et gagnerait à s’inscrire dans ce mouvement.

    Pour l’utilisation du terme "Digital interpretation", voir par exemple les projets (en anglais) :

    ou article scientifique :

    • G. Pasko & Al., Digital Interpretation of Cultural Heritage : 3D Modeling and Materialization of 2D Artworks for Future Museums, International Journal of the Inclusive Museum, Volume 3, Issue 1, pp.63-80.
      http://ijz.cgpublisher.com/product/pub.177/prod.137

    C’est vrai que le terme apparait comme plus spécialisé, moins grand public, mais il a l’avantage, surtout si on le décline aussi en anglais, de donner une meilleure visibilité internationale aux divers projets initiés sur Rennes, qui sont résolument innovants.

    A+

  • Août 2011
    09:20

    Vers une définition de la Médiation numérique

    par Hugues Aubin

    Philippe je comprend et adhère à cette définition pour les professionnels travaillant par exemple dans les EPN, mais comment appeler l’utilisation d’outils numériques in situ pour en tant qu’outils / supports de débat dans la cité ?

    Nous mettons ici en place beaucoup de prototypes permettant de comprendre par exemple les questions urbaines en utilisant un éventail mélangeant dispositifs d’interfaces naturelles pour des publics non familiers des outils numériques et visualisations plastiques de la cité (par exemple dans le domaine de l’urbanisme ou de l’histoire de la ville, etc, comme ici : http://ftpast.posterous.com ).

    J’ai tendance à appeler cela de la médiation numérique en tant que dispositifs physico-numériques de médiation ou de participation utilsant le numérique hors des écrans d’ordinateur notamment pour des publics éloignés des outils. Et cela marche très bien sur le terrain.

    Comment appellerais-tu cela ?

    Hugues Aubin

  • Août 2011
    06:54

    en complément

    par Michel Briand

    Il y a plusieurs enjeux à prendre en compte la notion de médiation numérique.

    • C’est d’abord un élargissement de l’accès public accompagné qui ne s’exerce pas simplement dans les lieux d’accès (papis, EPN ..) mais dans de multiples lieux d’accueils de publics : insertion, maison de retraites, FJT, action sociale avec les personnes déjà en charge de ces publics. C’est tout un apprentissage de ces personnes qui s’approprient les outils du numérique comme média d’e-inclusion et de valorisation des individus en difficultés sociales.

    ainsi dans les 103 "papis" brestois (points d’accès publics à internet), plus de la moitié des lieux sont des lieux ordinaires qui ont intégré le multimédia dans leurs pratiques sociales

    • c’est aussi une modification qualitative des fonctions : les ateliers de découverte s’ouvrent sur la validation de compétences, les lieux portent des projets (cartes ouvertes, création musicale, web reportage ...)
      la médiation devient accompagnement de l’expression, de la création, de l’innovation sociale

    On retrouve ici des fondamentaux de l’éducation populaire qui invite à la citoyenneté active, l’esprit critique et contribue au lien social par la reconnaissance des personnes.

    • et enfin c’est une médiation qui accompagne un mouvement vers des territoires en transition. Cette médiation organisée sur le terretoire local (appel à projets, cantine, co-working , centre de ressources) contribue à faire des animateurs multimédia, des acteurs associatifs et publics de l’insertion de l’action sociale de l’éducation populaire des agents de développement local, ferment de l’innovation sociale et citoyenne.

    Et pour appuyer ce mouvement nous avons mis en place des formations à l’animation collaborative, clé du développement de projet sur internet des formations qui sur brest ont concerné une trentaine de personnes depuis un an.
    (voir http://www.a-brest.net/article8130.html)