Un singe savant et des hommes stupides…

Simius, le singe photographe, était à l’honneur cette semaine, avec un billet chez Korben et un article dans Numerama :

Lorsque dans la jungle indonésienne un singe saisit un appareil photo et se prend en autoportrait, une question inédite de droit d’auteur se pose dans le monde entier…

La célébrité de l’animal ne s’arrête pas là, puisque j’ai pu repérer que Simius passait aussi à la télévision !

Il faut dire que l’affaire a connu quelques rebondissements depuis que je l’ai évoquée dans S.I.Lex, mais le mystère juridique reste pour l’instant toujours entier : à qui appartient le droit d’auteur sur des photos prises par un singe ? Ce qui est certain, c’est que ces clichés attirent bien des convoitises…

Tout en reconnaissant à demi-mots qu’elle n’est pas titulaire des droits, l’agence Cater News demande le retrait des photos du site Techdirt, qui a révélé l’affaire (mais ce dernier refuse d’obtempérer). David Slater, le photographe animalier qui avait laissé l’appareil à proximité du singe, réclame lui aussi à présent des droits sur les photos, clamant qu’il l’avait fait à dessein pour que le singe prenne ces cliché (et la marmotte ? Mais bien sûr…). CopyL©L bien mérité pour Mister Slater !

Cette bataille ubuesque illustre à mes yeux la difficulté qui est la notre de concevoir quelque chose puisse n’appartenir à personne (illusion d’optique provoquée par le fait que nous nous référons à la notion de propriété intellectuelle pour penser les droits liés aux créations immatérielles).

En effet, cette photo n’appartient pas à l’agence, ni au photographe, mais elle n’appartient pas non plus au singe (du moins tant que l’on aura pas reconnu de personnalité juridique au profit des animaux). Mais tout comme nous avons parfois un peu de mal à nous passer d’horloger, il est difficile de concevoir une photo sans auteur et ce besoin d’imputation fait le lit de toutes les théories les plus farfelues.

N’appartenant pourtant à personne, l’autoportrait de Simius fait donc partie du domaine public, au même titre que les informations et les faits bruts, dépourvus d’originalité et ne portant pas l’empreinte de la personnalité d’un humain.

D’ailleurs, suite à cette affaire, Wikimedia Commons s’est enrichie d’un nouveau bandeau (PD-Monkey), indiquant qu’un fichier appartient au domaine public quand il a été produit par… un singe ! (merci @Jastrow75 de me l’avoir signalé). C’est d’ailleurs ce qui pourrait arriver de mieux à ces photos de terminer à l’abri de la rapacité des humains sur Commons.

This file is in the public domain, because as the work of an ape or other non-human animal, it has no human author in whom copyright is vested.

Il n’en reste pas moins que le buzz autour de la prouesse de cette Cindy Sherman parmi les singes (car Simius est une femelle) a provoqué une dissémination accélérée de ces photos sur la Toile qui va rendre leur diffusion incontrôlable et encore plus dérisoires toutes les prétentions des soi-disant « titulaires de droits ».

Quitte à baigner dans le CopyrightMadness, autant aller jusqu’au bout et je voudrais attirer l’attention sur une des conséquences possibles de cette histoire.

Dans la théorie des probabilités, il existe un Paradoxe du singe savant, qui indique que si on laisse un chimpanzé taper au hasard sur un clavier de machine à écrire pendant suffisamment longtemps, il existe une chance qu’il produise une copie parfaite de la pièce Hamlet de Shapespeare.

Visiblement, il n’existe qu’une chance sur 19 928 148 895 209 409 152 340 197 376 pour qu’un tel miracle advienne, mais imaginons qu’un auteur aussi machiavélique que David Slater laisse traîner près d’un macaque aussi talentueux que Simius une machine à écrire… et nous avons là potentiellement le scénario de la plus formidable affaire de plagiat de tous les temps !

Pour autant que Shakespeare soit bien l’auteur d’Hamlet, ce qui n’est… pas si certain !  ;-)

PS : Irène Delse a repéré un autre cas particulièrement intéressant impliquant cette fois… des éléphants ! Il s’agit d’un « refuge pour éléphants en Thaïlande, où les animaux, à qui on fournit des pinceaux et des toiles, « peignent » pour les touristes des toiles minute. La vente de ces toiles alimente les caisses de la fondation, qui œuvre pour la sauvegarde des éléphants d’Asie. Le site (Elephant Art) propose de nombreuses toiles à la vente, réalisées par des pachydermes, toutes estampillées d’un bon vieux copyright. Dans ce cas-là, qui est véritablement titulaire des droits… Attention à ne pas devenir chèvre quand même !

Une peinture, réalisée par Naram l'éléphant ! A propos de qui on nous dit ceci : Having just begun painting, Naram is still honing her technique and style but clearly favors larger format papers and canvas. She seems also to favor broad vertical strokes but has an uncanny knack for creating interesting compositions with the incongruous mark here and there.

Rem : j’ai bien aimé ce tweet de @clarinette02 et je l’ai adopté comme titre de ce billet. Merci à elle.

Filed under : CopyrightMadness : les délires du copyright Tagged : animaux, copyright, Domaine public, droit d’auteur, photographies, wikimedia commons

L’adresse originale de cet article est http://www.revue-reseau-tic.net/Un-...

Via un article de calimaq, publié le 31 juillet 2011

©© a-brest, article sous licence creative common info