RATP, j’écris ton nom…

Internet bruisse de grognements de protestation depuis que la RATP a demandé à Apple de supprimer l’application ChekMyMetro, au motif que cette dernière réutiliserait sans autorisation la carte du métro, ainsi que les horaires de trafic sur lesquels le Groupe RATP revendique des droits de propriété intellectuelle.

Pour l’analyse détaillée des questions juridiques sous-jacentes à cette affaire, je vous renvoie à cet excellent article publié sur Slate cet après-midi, mais je voudrais rajouter un petit grain de sel.

Une carte du métro de paris… libre ! Par Rigil. CC-BY. Source : Wikimedia Commons

#EPICFAIL pour l’Open Data !

Sur le fond, l’attitude de la RATP soulève un tollé, car elle paraît heurter de front la tendance à l’Open Data et à l’ouverture des données qui se fait jour actuellement en France, et qui recèle pourtant des perspectives particulièrement intéressantes pour les usagers des réseaux de transports urbains

Notons toutefois, comme le fait l’article de Slate, que les informations de la RATP ne sont pas des données publiques au sens de la loi du 17 juillet 1978, car celle-ci exclut de son champ « les informations dans des documents [...] ou produits ou reçues par les administrations [...] dans l’exercice d’une mission de service public industriel ou commercial » (Art. 10). Or la RATP est bien un EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial), et à ce titre, ses données échappent au droit à la réutilisation instaurée par la loi de 1978 au profit des citoyens.

Une vraie question politique se pose ici, qui consisterait à se demander pourquoi les services publics industriels et commerciaux (ex : INA, SNCF, ONF, RMN, etc) ne seraient pas soumis comme les autres à l’obligation de rendre leurs données réutilisables.

Une bonne question à poser à Etalab, par exemple, si l’on veut éviter un EPIC FAIL pour l’Open Data en France ! (Ok, je sors…)
Quand la RATP déraille… 

Pour contrôler la réutilisation des informations qu’elle produit la RATP utilise un autre terrain juridique, celui de la propriété intellectuelle, en revendiquant un droit d’auteur sur la carte du métro et un droit de producteur de bases de données sur les informations de trafic (je vous renvoie encore à l’article de Slate sur ces points).

Mais en creusant un peu la question, je me suis rendu compte que la volonté d’appropriation de la RATP va en fait beaucoup plus loin et qu’un véritable gouffre sépare cet établissement de l’esprit de l’Open Data.

Désireux de voir sous quel régime juridique étaient placés les horaires du métro, je suis allé mettre mon nez dans les mentions légales du site de la RATP, et là j’ai découvert un véritable petit musée des horreurs !

Le site est copyrighté à mort, mais on apprend aussi que la RATP interdit… de reproduire le mot « RATP » lui-même (ce qui rend cette phrase deux fois illégale, et je ne préfère même pas penser à ce billet dans son ensemble !) :

De même, il est strictement interdit d’utiliser ou de reproduire le nom « RATP » et/ou son logo, seuls ou associés, à quelque titre que ce soit et sur quelque support que ce soit sans l’accord préalable et écrit de la RATP.

J’aimerais bien savoir quel est le juriste qui a pondu cette interdiction, car il faut avoir beaucoup d’imagination pour trouver un fondement légal à cette tentative d’appropriation des mots du langage. Le droit des marques permet en effet d’interdire la reproduction d’une marque, mais seulement « s’il peut en résulter une confusion dans l’esprit du public » et « pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement« . Peut-être la RATP est-elle en train d’essayer de faire émerger un droit à l’image des lettres de l’alphabet ? Quelle audace !

N'écris pas le mot RATP, tu risques de te faire pincer très fort ! Par Antonia Hayes. CC-BY-NC-ND

Mais ce n’est pas tout… Plus loin, on apprend également que la RATP interdit de faire des liens hypertexte vers son site sans autorisation préalable :

Les utilisateurs du site de la RATP ne peuvent mettre en place de liens hypertextes en direction du site susvisé sans l’autorisation expresse et préalable de la RATP.

Aussi, pour toute demande de création de liens hypertextes en direction du site de la RATP, merci de nous adresser un message.

En cela, elle est moins originale, puisque plus d’une quarantaine de grands sites ont été épinglés pour faire ainsi obstacle à l’un des fondements de l’internet : la liberté de lier. Il pèse cependant des doutes sérieux sur la validité juridique d’interdictions aussi générales des liens hypertexte.

Sans doute, cette accumulation d’interdictions donne-t-elle à la RATP le sentiment illusoire de pouvoir contrôler la manière dont on parle en ligne de ses activités, ce qui fleurte dangereusement avec la censure (elle en avait donné un exemple en s’attaquant en février au projet collaboratif Incidents-RATP).

Mais le plus fascinant, ce sont les incohérences logiques qui se produisent lorsque l’on combine l’impossibilité de nommer la RATP et l’interdiction de lier. Tenez-vous bien à la barre !
Kafka dans le métro !

Tout à l’heure je signalais par deux tweets les trouvailles macabres que j’avais faites sur le site de la RATP :

Ces deux tweets seraient donc en fait doublement illégaux, car ils comportent à la fois le mot « RATP » et un lien vers le site de l’établissement… c’est dangereux de tweeter…

Notons d’ailleurs qu’il est complètement absurde pour la RATP d’avoir ouvert un compte sur Twitter (@GroupeRATP), puisque toutes personnes qui retweetent ses messages ou s’adressent à elle se mettent en infraction vis-à-vis des interdictions posées par les mentions du site !

Je vous mets d’ailleurs au défi de réussir à envoyer un courriel de demande d’autorisation à leurs services pour pouvoir les citer sans écrire le mot RATP (ne serait-ce que dans l’adresse mail !). Énorme, vous dis-je !

J’ai adoré les réactions des gens sur Twitter suite à mes deux messages. Voyez plutôt !

Consternation :

Petit filou :

Rebel :

Frondeur :

(existe aussi en version billet de blog)

Pas d’accord, mais prudent :

Oulipien :

Excellentes suggestions pour se mettre à l’abri de l’interdiction de nommer, mais quel dommage d’avoir craqué dans le hashtag final !

Alors si toi aussi, tu veux participer à une grande cause en 2011, écris le mot RATP !
Premier CopyLOL pour la RATP 

Au delà de l’affaire CheckMyMetro, on voit donc que nous sommes en présence d’un problème beaucoup plus grave, avec ce service « public » qui tente d’accaparer des données, mais aussi le temps qui passe sous les horaires, le territoire sous la carte, les mots du langage sous sa marque et la liberté d’expression sous les liens.

Le chemin vers l’Open Data sera assurément long et semé d’embûches…

Une affaire qui va directement rejoindre le panthéon du CopyrightMadness, mais pour récompenser cet exemple unique de delirium tremens juridique, nous avons décidé avec @AdrienneAlix et @Jordi78 de décerner en prime à la RATP le premier CopyLOL de l’histoire !
RATP L©L

Please RT…

Filed under : CopyrightMadness : les délires du copyright Tagged : censure, copyfraud, droit d’auteur, droit des bases de données, liberté d’expression, liens hypertexte, métro, open data, ratp

L’adresse originale de cet article est http://www.revue-reseau-tic.net/RAT...

Via un article de calimaq, publié le 28 juin 2011

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