Petit rappel : la fête de la musique n’est qu’une tolérance et pas une liberté…

Vous allez me traiter d’indécrottable juriste, mais comme tous les 21 juin, en marchant dans les rues le jour de la fête de la musique et écoutant tous ces groupes de trottoir écorcher avec enthousiasme les airs à la mode, je ne peux m’empêcher de penser à une chose qui doit échapper à beaucoup de monde…

Quel est le fondement juridique de la fête de la musique ?

L’enfer du musicien. Jérôme Bosch. Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Et bien, il s’agit d’une simple tolérance de la part de la SACEM, qui depuis 1982, accepte à titre purement gracieux que des hordes d’amateurs puissent donner cours à leur passion pour la musique en public, sans bourse délier.

Voyez ici cette FAQ sur le site de cette magnanime société de gestion collective, à propos des autorisations gratuites :

Le jour de la Fête de la musique, exceptionnellement, la Sacem accorde une autorisation gratuite aux organisateurs de concerts gratuits, au cours desquels les artistes, interprètes et musiciens se produisent sans être rémunérés.

Et oui, car en effet, vous avez le droit de pousser la chansonnette chez vous sous la douche (mais tout juste… c’est seulement en vertu de l’exception de représentation dans le cadre du cercle de famille), mais vous ne pouvez pas légalement fredonner le même refrain dans la rue, du moment que votre entourage peut profiter de vos vocalises.

Vous pensez que j’élucubre ? Pas le moins du monde ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous devez théoriquement payer des droits d’auteur si vous utilisez une oeuvre protégée comme sonnerie de téléphone portable : les quelques notes que vous infligez à votre entourage sont considérées comme une exécution publique de la musique ouvrant droit à rémunération !

Il existe en effet en France une licence légale pour la diffusion publique de musique enregistrée, mais si elle s’applique à la sonorisation des espaces publics ou à la radiodiffusion, ce n’est pas le cas des spectacles. Dès lors, les représentations de rue de la fête de la musique devraient donner lieu à des demandes d’autorisation d’utilisation publique des oeuvres auprès de la SACEM et au paiement d’une redevance, y compris quand les représentations se font à titre gratuit…

Le jour de la fête de la musique, la SACEM en tant que partenaire de l’évènement a choisi gracieusement de suspendre ce mécanisme et de laisser faire, pour les représentations au cours desquelles les artistes ne sont pas rémunérés. Mais encore cette tolérance est-elle conçue de manière restrictive…

J’en veux pour preuve cette question parlementaire assez surréaliste posée au Sénat une première fois en 2000 par Jean-Marc Pastor, représentant du Tarn, et une seconde fois en 2005. Le membre de la chambre haute faisait remarquer que pour le 14 juillet, la SACEM accordait pendant 10 jours durant une autorisation gratuite pour pouvoir célébrer la fête nationale à grands renforts de flonflons. Et il se plaignait que pour la fête de la musique, la libéralité de la société de gestion collective se limite à une journée seulement, car cela empêche par exemple les petites villes de programmer des spectacles un jour avant ou après, de manière à éviter la « concurrence » des grandes métropoles avoisinantes.

La réponse du Ministère de la Culture, deux fois réitérée, est croustillante :

La légalisation d’une extension à trois jours de cette autorisation gratuite serait contraire à l’esprit de cette manifestation qui se veut éphémère, spontanée, désintéressée, de type amateur. Sa prolongation risquerait d’entraîner des revendications de la part d’autres manifestations festives qui seraient contraires au cadre dérogatoire au droit d’auteur d’interprétation restrictive, dans lequel s’inscrit la fête de la musique et serait dommageable aux auteurs dont les droits constituent la seule rémunération.

Une exception est une exception et il ne s’agirait quand même pas de trop écorner les principes. Non mais, quand même… un jour entier pour les amateurs, c’est bien assez…

Aussi vous saurez désormais que, tout comme nous célébrons la fête du travail le 1er mai en ne travaillant pas, nous fêtons dans les rues la musique tous les 21 juin en dérogeant au principe que celle-ci reste serve tous les autres jours de l’année, même quand les usages restent gratuits.

Et ce malgré le fait que l’article 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme consacre comme une liberté publique le droit de participer à la vie culturelle…. mais je m’égare sans doute.

J’espère que vous profitez bien de la fête ce soir, mais surtout, n’allez pas la confondre avec une liberté…

PS : si vous voulez fêter la musique tous les jours et en public, c’est vers la musique libre qu’il faut vous tourner.

Mise à jour : Smeablog me fait remarquer sur Twitter que des questions ont également été posées au Sénat en 1998 et 1999 sur l’extension de la durée de la tolérance SACEM. La société a visiblement déjà accepté d’appliquer l’exemption la veille du 21 juin, lorsque la fête tombait un week-end. On remarquera néanmoins qu’en 2005, la réponse ministérielle s’est étrangement durcie…

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Via un article de calimaq, publié le 28 juin 2011

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