Jean-Marie Gilliot, enseignant-chercheur : « L’apprentissage passe par la réutilisation »

Une interview de Jean Marie Gilliot, Enseignant chercheur à Telecom Bretagne publiée par le magazine Thotet republié avec l’autorisation de la revue sous licence CC by

Alors que la question du respect du droit d’auteur touche désormais tous les internautes, on est aujourd’hui en droit de se demander quelle est la place prise par les ressources libres dans l’enseignement. Le « libre » apporte-t-il une nouvelle façon d’envisager l’enseignement ? Le débat est-il ouvert ? Eclairage avec Jean-Marie Gilliot, enseignant chercheur au département informatique de Télécom Bretagne sensibilisé sur la question.

Pour commencer, pouvez-vous nous dire ce que sont les ressources éducatives libres (REL) ?

Ce sont des éléments permettant de construire un cours - des documents, des photographies, des cartes, des vidéos... - qui vont être libres en terme de licence d’utilisation. Ces REL ont en outre un objectif pédagogique.


Ces REL sont utilisées depuis longtemps ?

Toutes les problématiques de droits et de licences n’existaient pas il y a 15 ans. Avec la démocratisation d’Internet et de ces questions, deux choses sont apparues : la notion d’objet d’apprentissage (quel objet peut servir à l’apprentissage ?) et la mise en question des droits de réutilisation de documents, de cours. Il y a eu des déclarations de l’Unesco insistant sur l’importance de la notion de réutilisation pour un accès équitable à l’éducation. Maintenant, il y a des sites spécifiques sous licence Creative Commons (CC) pour l’éducation. Ils sont très moteurs et la licence CC est une option qui paraît saine et propre. Avant l’arrivée des ENT, on publiait nos cours sur nos pages personnelles sans se poser de question. Il y a aussi eu des associations comme Sésamath, qui se sont interrogées sur la notion de droit sur les exercices et les cours faits par les enseignants.

Enfin, un important élément de mouvement a été l’Open Course Ware, porté par le MIT qui a mis à disposition un certain nombre de ses cours en offrant un droit de réutilisation. Il s’agit plus d’une politique de diffusion dans ce cas, qui a permis une avancée sur les notions de ressources libres.

Qui défend les REL et pourquoi ?

C’est intéressant pour la diffusion, la réutilisation et pour pouvoir travailler ensemble. Il y a plusieurs mouvements qui se retrouvent autour de ça et qui vont dans le même sens. L’Unesco prône une volonté d’édition et des associations d’enseignements vont choisir de contourner l’Institution par envie de partage. Par exemple, Sésamath éditent tous ses livres en licence libre, pour que les enseignants et les apprenants puissent travailler, modifier, compléter, échanger... Les documents sont donc téléchargeables, ce qui permet d’ailleurs un passage au numérique plus rapide. Il y a aussi Le livre scolaire, qui a commencé à publier des ouvrages collectif – élaborés par une cinquantaine d’enseignants - l’année dernière.

Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que l’on peut résoudre certains problèmes liés au web grâce aux REL. Vous tombez sur une ressource, s’il n’y a rien écrit concernant ses droits d’utilisation, vous ne savez pas forcément que vous n’avez en fait pas le droit de l’utiliser. Ici, il s’agit de prendre clairement position et de dire « oui, vous pouvez utiliser le document ». C’est un autre mode de travail, plus explicite.


Alors, où en est le débat sur ces ressources aujourd’hui ?

Déjà, du côté de l’Education Nationale, il n’y a pas trop de débat ni de volonté exprimée par rapport à ce sujet. Le débat le plus intéressant semble avoir lieu au niveau de l’enseignement supérieur car il y a deux enjeux essentiels : savoir ce que va devenir un travail de recherche que l’on n’a pas forcément envie de partager d’une part ; la question de l’utilisation des supports pour garantir un bon niveau d’autre part. Il y a également les universités numériques, des environnements de diffusion de documents où les gens essaient de mettre en avant des licences libres d’utilisation ou au moins de consultation. On se pose des questions, et c’est ce qui est intéressant. Au niveau du collège et du lycée, on est plutôt dans une dualité, avec l’Education Nationale d’un côté et les associations d’enseignants défendant le « libre » de l’autre.

Finalement, quels sont les arguments des « pro-libre » ?

Rien n’est prouvé, la littérature est assez peu prolixe là-dessus, on manque d’études sociologiques sérieuses sur les conséquences saines ou non des REL. Mais ce que l’on observe, c’est que cela créé des dynamiques de collaboration, cela permet l’échange entre enseignants. Avec les apprenants, par défaut, cela ne change pas énormément leur vie surtout qu’en général ils ne sont pas bien au fait des problématiques de droit. Par contre, j’ai personnellement eu l’occasion de construire avec mes élèves des documents de cours. En plus de la dynamique de groupe créée, cela met sur le tapis la question d’utilisation et de la mise à disposition des ressources. Donc, oui, il y a des retours positifs d’élèves, de l’enthousiasme des enseignants mais nous sommes encore dans une expérimentation dont on ne mesure par l’impact.

Vous avez récemment écrit sur l’intérêt de la licence CC BY dans l’éducation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je reprenais un article d’Alexis Kauffman, sur Framablog, beaucoup plus engagé sur les notions de libre que je ne peux l’être. Son analyse m’avait bien plue. Quand vous utilisez une licence CC, quels sont les droits que vous autorisez ? Un premier niveau vous oblige au moins à citer l’auteur du document. Je trouve que c’est une bonne pratique, permettant la reconnaissance du travail de chacun.

Le deuxième niveau de licence vous empêche une réutilisation commerciale de la publication. J’avoue moi-même avoir déjà réutilisé des documents dans un cadre commercial, lors de formations continues. On peut assez vite se retrouver dans ce cadre donc pourquoi l’empêcher ?

Le troisième niveau bloque la modification de document. Cela peut s’appliquer dans certains cas, pour certaines images pointues par exemple mais cela me paraît inutile pour la majorité des documents. Personne ne peut avoir la prétention de faire quelque chose de parfait, donc si l’on considère que cela peut être amélioré, il faut permettre aux gens qui le veulent de le faire.

N’y-a-t’il pas un risque de détournement du travail réalisé en amont ?

Je crois qu’il est question d’un point de vue plus général par rapport au web. Est-ce que l’on pense qu’il améliore ou affaiblit globalement les choses ? Je pense que dans les différents niveaux d’éducation, et spécialement dans les niveaux de l’enseignement supérieur, aucun problème ne se posera, les documents ne seront pas repris n’importe comment. Je crois plus à des apports potentiels, avec des accidents possibles bien sûr, mais avec une amélioration globale.

On s’aperçoit que pour s’approprier quelque chose, il faut retravailler sur l’objet d’apprentissage, sur la matière, et que ce retravail est nécessaire pour que la personne puisse comprendre et assimiler. Après, en tant qu’enseignants, nous avons à montrer aux élèves quelles sont les règles en matière de citation de sources, de droit d’auteur. Mais fondamentalement, pour permettre l’apprentissage, il faut permettre la modification et la réutilisation.

Posté le 7 mars 2011

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