L’internet coopératif et l’observation des usages de l’internet : réflexions et propositions

Michel Elie Observatoire des Usages de l’Internet http://oui.net

Voici deux contributions de l’OUI au Forum des
Usages Coopératifs de Brest à laquelle malheureusement je ne peux pas
participer, étant mobilisé par la participation au jury de "villes
internet".

L’une concerne la coopération sur l’internet et plus précisément suggère
une formule coopérative pour les observatoires des usages des TIC.

L’autre décrit les principales orientations et réalisations de l’OUI
depuis sa création en 1998 (à laquelle certains d’entre vous s’étaient
associés) et en particulier aujourd’hui à travers le projet AUSSI.

Si Brest pouvait permettre la constitution d’un
réseau et de coopérations solides sur le très vaste thème des usages des
TIC, nous nous en réjouirions fort et y apporterions volontiers notre
modeste contribution !

Donc, à tous nous souhaitons une réunion constructive

Dès son origine, la référence à un travail coopératif a été sa marque de fabrique : sur le plan technique, l’internet offre un énorme potentiel pour travailler en coopération : asynchronisme, suppression des limites géographiques, archivage systématique des travaux.

Sur le plan humain, le système des RFC (Requests For Comments)
 [1]
, mis en place en mai 1969 par Steve Crocker institutionnalisait pour l’Arpanet puis l’Internet un mode coopératif de spécifications fondé sur la compétence, la reconnaissance mutuelle et le consensus.

Dans un article rétrospectif [2] portant sur cette période, il explique les raisons et les circonstances de ce choix. Les RFC ont défié le temps : fin juin 2004, 3846 RFC, toujours présentés de la même façon, ont été publiés. Disponibles sur l’internet, ils constituent à la fois des spécifications régulièrement actualisées et une extraordinaire "mémoire" du processus de construction collectif et d’évolution du réseau.

Ce mode de "spécification ouverte", en impliquant fortement dans sa définition une large communauté de chercheurs d’universitaires, ou d’utilisateurs du réseau, s’est révélé l’un des principaux facteurs de succès du projet.

Toute l’histoire des logiciels libres est elle aussi une formidable histoire de coopérations multiples qui ont fait plier les plus grands acteurs industriels, et évoluer des conceptions économiques rigides et malthusiennes et n’ont pas fini de peser sur le parcours de la société de l’information, en particulier dans les pays émergeants. Plus récemment certains d’entre nous comme Jean Michel Cornu
 [3] ou Daniel Mathieu [4]] ont décrit pour les faire partager des expériences réussies de coopération qu’ils ont vécu.

Si l’internet facilite coopération et partage, il ne faut pas sombrer dans l’angélisme : internet suscite encore plus largement des attitudes individualistes voire narcissiques, des comportements de consommateurs, voire de prédateurs. Combien d’ étudiants sollicitant des pistes ou conseils pour leur recherche ne prennent même pas la peine de remercier d’une réponse donnée ? Combien se préoccupent de rendre à la mesure de ce qu’ils recoivent, de contribuer par leurs commentaires ou par des informations aux sites sur lesquels ils ont trouvé une réponse à leur question ? Cette culture de l’échange si fondamentale dans le développement de l’internet acte 1 restera-t-elle aussi forte dans celui de l’internet acte 2 ?

L’outil ne met plus d’obstacle matériel à la coopération mais il reste toujours à instaurer une culture de coopération. Or notre société n’est-elle pas de plus en plus assise sur la culture de l’individualisme, tournée vers la consommation individuelle, la satisfaction des besoins individuels, le mérite personnel.

L’observation et l’analyse des usages de l’internet et des TIC pourrait-il constituer l’un de ces projets coopératifs ? Nous le pensions en créant en 1998 l’Observatoire des Usages de l’Internet (OUI) : une fédération d’observateurs, chercheurs et praticiens, d’observatoires spécialisés dans divers champs d’étude, avec différents points de vue, mais partageant des méthodes communes, disposant d’indicateurs établis selon des protocoles publics.

Malgré qualques tentatives, l’aspect coopératif du projet est resté un vœu pieux : l’OUI a fait ce qu’il a pu avec les faibles moyens dont il a disposé et compte tenu de son implantation géographique à Montpellier. A chaque fois que nous avons cherché à influer sur les orientations prises au niveau d’organismes publics tels que le CNIS ou sur le forum des droits de l’internet (groupe de travail sur les forums de discussion et sur la publicité en ligne), nous nous sommes trouvés très isolés face aux représentant omniprésents des intérêts marchands.

Pour mener à bien un travail sur une meilleure connaissance et reconnaissance des véritables usages des TIC, en particulier des usages non-marchands, associatifs, sociaux, et acquérir une véritable légitimité, il faut des moyens et des compétences que nous ne pourrons jamais réunir à nous seuls...
Une fédération d’observatoires ou un observatoire coopératif des usages des TIC et de l’internet, conjuguant les efforts déjà entrepris et de nouveaux moyens, pourrait appuyer les efforts de la société civile pour s’affirmer comme un interlocuteur incontournable et compétent dans tous les « actes » futurs de l’internet et des TIC.

[1Pour une histoire des RFC jusqu’en 1999, voir ftp://ftp.rfc-editor.org/in-notes/rfc2555.txt

[2S. Crocker ; Initiating the ARPANET ; matrix News http://www.mids.org/pay/mn/1003/crocker.html

[3La coopération Nouvelles approches Version 1.1 - document coordonné par Jean-Michel Cornu
avril 2001 ;

[4Les Réseaux Coopératifs - L’expérience de Tela Botanica Analyse après trois années d’activités
Daniel Mathieu, décembre 2002 ainsi que la présentation datant d’avril 2004 sur misesaunet.mediacteurs.net/Reseaux_outils_Lyon.pdf

Posté le 5 juillet 2004 par Michel Elie

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