La contribution créative : le nécessaire, le comment et ce qu’il faut faire d’autre

Révisé le jour de parution pour inclure des commentaires sur la proposition de Participation à la Production de Contenus sur Internet (PPCI) de Philippe Axel dans La révolution musicale, Pearson, 2007, et pour introduire une mention des débats sur les modes de mesure non-intrusive des usages ou accès.

Un article repris du Blog de Philippe Aigrain et publié sous contrat Creative Commons by-sa
L’article et ses commentaires

Cet article tente un bilan provisoire des débats sur la contribution créative et d’autres propositions similaires. Il vise à clarifier les enjeux et propositions, au moment où va débuter un débat plus large dans la perspective desfutures assises Création-Public-Internet. L’article traite de trois aspects :

  • les éléments qui me paraissent nécessaires à tout traitement acceptable des échanges hors marché sur internet et du financement de la création,
  • les différents choix possibles dans ce cadre,
  • la régulation1 de l’économie d’offre commerciale qui peut être nécessaire en complément à un mécanisme de type contribution créative.

1. Les buts partagés des différentes propositions de financement mutualisé associé aux échanges pair à pair

Les premières propositions de financement mutualisé par une redevance pour les échanges pair à pair remontent à 2003 (proposition de Fred Loehmann de l’Electronic Frontier Foundation). Elles se sont rapidement multipliées dans divers pays. Les adversaires de ces propositions les voient comme des façons (qu’ils n’acceptent pas) de résoudre un problème : celui des échanges non-autorisés d’œuvres numériques, qu’ils baptisent « piratage ». À l’origine, les initiateurs de ces propositions les voyaient également comme des solutions à un problème : celui des dégâts de la guerre au partage de fichiers en termes de libertés, de limitation des droits d’usage ou d’atteintes à l’interopérabilité et à la liberté de choix technologique. À travers le débat sur différentes sortes de financements mutualisés pour le pair à pair et grâce à l’émulation entre les auteurs des différentes propositions, une nouvelle vision des buts recherchés s’est progressivement installée. Il ne s’agissait plus seulement de résoudre un problème, mais aussi de construire un projet positif : nouvelle alliance entre créateurs et public, reconnaissance des bénéfices de la mise à disposition non commerciale par les individus en termes de diversité culturelle, construction d’un espace de pratiques culturelles partagées, etc.

Dans son important livre Le futur et ses ennemis : de la confiscation de l’avenir à l’espérance politique (Climats, 2008), le philosophe politique espagnol Daniel Innerarity a décrit les propositions politiques importantes comme étant celles qui ne cherchent pas tant à résoudre qu’à configurer et parmi celles-ci il liste « les accords structurels ». On pourrait ajouter que ce sont souvent ces projets qui visent plus loin que la résolution d’un problème immédiat… qui sont les seuls à y apporter d’authentiques solutions. Ce que des propositions récentes comme le mécénat global de Francis Muguet, les licences collectives étendues proposées en Italie dans la lignée de l’idée du copyright 2.0, les propositions de Lawrence Lessig liées à son idée d’économie hybride de la création, ou ma proposition de contribution créative ont en commun, c’est de viser une nouvelle configuration des rapports entre internet et la création, un nouveau pacte structurel entre créateurs et internautes, deux catégories qui évidemment se recoupent. Phil Axel dans La révolution musicale (2007) a également proposé de mettre en place une Participation à la Production de Contenus sur Internet (PPCI), qui reposerait aussi sur un paiement forfaitaire et une répartition en fonction de l’usage, même s’il ne l’articule pas explicitement avec le partage libre entre individus que par ailleurs il soutient comme une perspective aussi souhaitable qu’inéluctable.

Lorsque nous discuterons les avantages ou les défauts de ces propositions, nous ne devrons jamais oublier cette dimension de projet positif, de configuration d’un développement futur. Ces propositions ont beaucoup en commun, l’essentiel même : elles reposent toute sur une reconnaissance d’un droit des individus à mettre à disposition d’autres individus les œuvres numériques qui ont été publiées (dans certains médias ou dans tous suivant les cas). Cette reconnaissance s’accompagne d’une contribution de ces individus à la rémunération et/ou au financement de la création, prenant la forme d’une redevance dont le montant est généralement forfaitaire (voir plus bas).

Pourrait-on faire autrement ? Peut-on imaginer d’autres approches de configuration d’une synergie entre une sphère d’échanges libres numériques et la création ? Oui et non. Oui dans le sens où bien d’autres types d’actions peuvent contribuer de façon positive à l’écosystème des activités créatives et d’usage d’internet. Non, dans le sens où aucune ne peut y parvenir si elle n’est pas combinée à la reconnaissance du partage pair à pair hors marché (pour les œuvres publiées sous forme numérique) ou si elle suppose de mesurer en détail l’usage de chaque individu pour décider combien il doit contribuer. Si par exemple, on n’autorise que le téléchargement et non la mise à disposition (comme dans certains modèles de licences de catalogues aux fournisseurs d’accès) on devra renoncer à tous les bénéfices issus de la possibilité pour les individus de rééquilibrer l’accès des créations au public. Rappelons que le problème de notre temps est celui de l’accès des créateurs au public au moins autant que celui de l’accès du public aux créations. Si on propose un système « transactionnel » où la contribution de chacun dépend de ses usages détaillés de telle ou telle œuvre, c’est l’ensemble des bénéfices d’un écosystème informationnel hors marché (absence de coûts de transaction notamment de décision, fluidité des choix, éthique, organisation et activités propres au caractère non-marchand des échanges) qui en souffrent.

2. Les choix qu’il est important de débattre

Assiette et montant de la contribution

Presque toutes les propositions de licences collectives associées à la reconnaissance des échanges pair à pair hors marché reposent sur un paiement forfaitaire mensuel des abonnés à internet haut débit. Dans certains pays comme l’Allemagne, cet aspect a déterminé le nom même de la Kulturflatrate, qui est maintenant inscrite au programme européen des Grünen et des sociaux démocrates et dont Ruth Hyeronimi, parlementaire européenne de la CDU, a déclaré2 qu’elle devait être l’une des options discutées dans tout débat sérieux sur les relations entre création et internet.

Certains ont proposé un autre type d’assiette de la contribution : ainsi Denis Ettighoffer propose-t-il (dans un texte qui reste axé sur une notion de consommation de biens numériques) que le montant de la redevance dépende de la quantité de données téléchargées sur internet, indépendamment de la nature de ces données. Il s’agit de rendre possible un service universel de base très bon marché pour ceux qui ne « consomment pas beaucoup de biens culturels numériques ». Cet approche me parait très contestable : le vrai service universel, c’est l’internet équitable, sans discrimination entre les services et les contenus. La proposition de Denis Ettighoffer ouvrirait un boulevard à ceux des opérateurs de télécommunications qui souhaitent en finir avec l’internet généraliste et y substituer un service de base et des services payants à la carte. Gageons que si on les laisse faire, ce n’est pas la liberté des échanges entre individus qui sera leur premier souci, mais au contraire la fourniture des contenus des grands groupes de médias avec qui ils ont auront passé des accords préférentiels.

Les limites de cette proposition ne doivent pas nous empêcher de débattre de la justice sociale de la contribution. Je préfère des contributions égales de chacun à la constitution des biens communs (comme la sphère d’échanges hors marché) et un traitement de la justice des contributions par une progressivité de l’impôt (y compris par l’impôt négatif). Ce point de vue n’est cependant pas partagé par tous, et l’idée d’une contribution progressive ou compensée pour les plus défavorisés mérite d’être débattue.

Au delà, le principal débat porte bien sûr sur le montant de la contribution (forfaitaire ou moyenne). J’ai proposé un modèle pour établir sa base et la faire évoluer dans le temps, mais chacun sait que dès qu’un débat sérieux sera lancé, d’autres approches seront sur la table. Rappelons pour l’instant que le montant initial que j’estime adéquat pour une contribution s’appliquant à l’ensemble des médias est de 5 à 7 € par mois par abonné, soit de 1,2 à 1,7 milliard d’euros par an.

Rémunération et/ou financement de la création et sur quelle base ?

À l’origine les propositions de licences collectives pour les échanges pair à pair visaient essentiellement la rémunération des créateurs des œuvres échangées sur internet. Leur logique se réduisait à une compensation d’un usage non autorisé. Il n’y avait pas de vrai projet d’ensemble sur les rapports création et internet. Tout juste envisageait-on, sur le modèle de la redevance pour copie privée qu’une part des sommes collectées (un quart) puisse être affectée à diverses actions en matière de soutien à la création ou à sa diffusion. La proposition de mécénat global de Francis Muguet rompt radicalement avec cette logique en proposant que l’affectation d’une redevance forfaitaire puisse être effectuée directement par les individus décidant d’en attribuer tel ou tel pourcentage à tel ou tel artiste. Suite à des critiques ou discussions du projet, Francis Muguet a proposé différentes adaptations : limitations du pourcentage maximum attribué par un individu à chaque artiste, possibilité pour les individus de déléguer la décision de financement à d’autres individus ou même à des organisations. Cette dernière option se rapproche du modèle des intermédiaires concurrentiels proposé par Jamie Love et Tim Hubbard dans divers domaines : dans ce modèle, des intermédiaires sont en concurrence sur la base de leurs politiques affichées (par exemple de soutien à la création) pour recevoir une redevance.

La logique du mécénat global (ou celle des intermédiaires concurrentiels) présente un intérêt significatif en matière de soutien à la création, notamment pour le soutien aux intermédiaires à valeur ajoutée dans les nouveaux médias (médias collaboratifs, labels ou autres communautés pour la musique et les nouvelles formes de vidéo), pour lesquels une approche de type « sélection de projets par des comités de pairs ou experts » est peu adaptée. C’est ce qui m’a conduit à retenir une approche de ce type pour la gouvernance d’une partie du volet « soutien à la création » de la contribution créative, le reste du soutien à la création relevant d’approches plus classiques, comme les commissions du CNC pour le soutien à la production audiovisuelle et cinématographique.

Je pense cependant qu’il serait peu adéquat d’adopter la logique du mécénat global comme dispositif d’ensemble ou de renoncer à un volet « financement des créateurs sur la base des usages ». Autant il est absurde de vouloir faire payer les internautes en fonction des usages, autant il parait utile de répartir les sommes auxquelles ils contribuent sur cette base. En effet, faisons une petite expérience : si vous aimez aller au cinéma, tentez de lister les films que vous avez vu en salle dans la dernière année. Il s’agit d’un domaine dans lequel il y a peu d’œuvres (quelques centaines par an) et où chaque visionnement s’accompagne d’une expérience physique (déplacement, souvent activité sociale l’accompagnant). Et pourtant, nous ne parvenons à nous rappeler que d’une partie d’entre eux. Imaginons maintenant qu’il s’agit de domaines comme la musique, la photographie, la vidéo d’expression personnelle ou les blogs où les créateurs et les créations sont considérablement plus nombreux que pour le cinéma. En basant notre contribution sur une décision consciente de contribuer, nous allons tronquer la réalité de nos pratiques et de nos goûts. La reconnaissance de ceux et celles qui contribuent à l’écosystème de créations échangées et appréciées sur internet doit pouvoir se faire par des mécanismes qui relèvent de la logique des échanges numériques eux-mêmes, sans passer par une décision monétaire.

Le mécénat global et plus généralement les contributions à affectation volontaire ont un rôle important à jouer pour tout ce qui relève du soutien à la création à venir ou du soutien à des démarches atypiques ou mises en danger par une doxa prédominante. Mais pour que se matérialisent les promesses de diversité culturelle permises par les échanges libres hors marché sur internet, nous avons besoin qu’une part significative des ressources soient affectées sur la base des usages. J’ai suggéré que cette part soit de 50% de la contribution créative, tout en retenant, pour la façon d’estimer les usages, des mécanismes qui donnent un rôle clé à la mobilisation volontaire des internautes, ce qui constitue bien sûr l’une des motivations du mécénat global.

Affectation et clés de répartition

Qui doit distribuer le produit de la redevance et sur la base de quelles clés de répartition ? Nous avons fait une expérience à grande échelle avec la répartition de la redevance pour copie privée qui nous a appris ce qu’il ne faut pas faire mais qui a aussi démontré que les financements mutualisés peuvent être efficaces quantitativement. La copie privée représente aujourd’hui plus du quart des droits reversés aux créateurs de toute sorte (interprètes inclus) pour des usages relevant de la « consommation privée ». Mais elle est répartie d’une façon extrêmement injuste et inadaptée à son objet, sur des bases (ventes de supports, passages radio et télévision, sondages) qui induisent une concentration extrême de la répartition sur les œuvres « phares » (ou promues comme telles). Par ailleurs, la distribution de la redevance pour copie privée a installé des licences collectives étendues de fait (c’est à dire que les sociétés de gestion collective distribuent au moins en droit à des bénéficiaires qu’ils soient membres ou non de la société de gestion) ce qui représente un précédent précieux.

La solution que j’ai proposée dans « Internet & Création » consiste à s’appuyer sur les sociétés de gestion pour tout ce qui relève de la distribution finale des fonds et de l’enregistrement des bénéficiaires, mais en créant des mécanismes séparés pour deux éléments clés :

  • l’établissement des bases de distribution pour les différentes œuvres et
  • la création d’un mécanisme d’identifiants pour que ceux qui veulent bénéficier de la redevance enregistrent volontairement leurs œuvres de façon simplifiée et adaptée à internet. Il s’agit notamment de permettre de considérer comme une seule œuvre des séries (blog par exemple) ou des ensembles (photographies par exemple).

J’ai proposé que ces éléments soient placés sous la responsabilité d’organismes indépendants sous contrôle de l’État et produisant des informations publiquement accessibles à tous de façon à ce qu’un contrôle sociétal soit également possible.

Lorsqu’on en arrivera à la mise en place de la contribution créative (ou d’une autre mesure similaire portant un autre nom), il est probable que les sociétés de gestion essayeront de récupérer le contrôle de ces éléments clés de façon à en faire bénéficier leurs principaux « clients » actuels. La vigilance démocratique sera nécessaire. Est-ce à dire qu’il vaudrait mieux court-circuiter totalement les sociétés de gestion, comme nous y invitent des critiques de la licence globale (assimilant à tort la contribution créative à celle-ci) comme Dana Hilliot ? Je ne le crois pas. Il faut savoir construire à partir de ce qui existe, à condition que le contrôle stratégique soit modifié. Il y a aussi, dans les sociétés de gestion, des acteurs qui sauront embrasser une nouvelle mission.

Il y a également des propositions différentes (plus que divergentes) sur les modes de mesure des usages ou des accès. La proposition développée et modélisée dans « Internet & Création » utilise un grand panel d’internautes volontaires transmettant au moyen de plug-ins libres aux logiciels de leur choix des données anonymes sur les usages. Elle a à mon sens l’avantage d’être agnostique par rapport à la nature des usages, des échanges et de leurs techniques support, alors que d’autres mesures (proposition de PPCI de Philippe Axel par exemple) privilégient le téléchargement à partir d’un site.

Comment répartir entre médias ? Quel seuil d’usage minimum porteur de rémunération faut-il viser ? Comment répartir les sommes non attribuées (proportionnellement aux revenus attribués ou de façon égale pour chaque bénéficiaire) ? Comment rémunérer en fonction du niveau d’usage mesuré (linéairement ou sous-linéairement) ? Il y a là de quoi alimenter des débats passionnants auxquels j’ai essayé de commencer à contribuer dans « Internet & Création ».

3. La contribution créative et les autres mécanismes visant les mêmes buts ne résolvent pas tout à eux seuls

En reconnaissant une sphère d’activités hors marché et une contribution liée à l’économie d’ensemble de la création, la contribution créative n’épuise pas le champ des politiques publiques nécessaires au financement de la création. L’économie culturelle a toujours été une économie régulée et les mécanismes qui sont en place sur ce plan ont un besoin important d’adaptation. Ils doivent par exemple prendre en compte l’apparition de nouveaux acteurs commerciaux (moteurs de recherche, intermédiaires de distribution à financement publicitaire) et de nouvelles intégrations verticales (par exemple entre opérateurs de télécommunication et grands groupes éditoriaux) qui risquent de renforcer encore la concentration de l’offre culturelle et une mainmise de quelques acteurs sur la valeur ajoutée générale du domaine. Les libertés d’échange des individus contrebalanceront dans une certaine mesure ces pouvoirs, mais chacun sait qu’ils n’y suffiront pas à eux seuls.

Comment éviter un internet où le seul financement publicitaire dominerait l’offre commerciale ? On sait que ce serait une double tragédie − économique et culturelle − tragédie que nous n’avons pas su éviter dans l’histoire de la télévision et des radios. Parmi les défenseurs de la loi HADOPI, on trouvait quelques personnes sincères préoccupées du risque d’un internet culturel publicitaire. Ils ont dû déchanter en entendant Pascal Nègre ou Mme Albanel vanter les mérites des sites de streaming à financement publicitaire, exemple prototypes de cette offre légale supposée devenir un eldorado grâce à la guerre au partage. Comment garantir que nous ferons mieux ? Je propose ci-dessous quelques pistes à explorer dans le débat qui va s’engager :

  • Rendre plus équitable l’accès à la distribution de biens physiques et à la fourniture de services. Le musicien qui fait connaître sa musique sur le net percevra s’il suscite un intérêt du public une rémunération à travers la contribution créative. Mais l’idée est bien qu’il puisse également bénéficier de cet intérêt dans d’autres domaines, à travers les concerts ou les radios, par exemple. L’ouverture de l’accès aux salles de concert, la diversification des contenus diffusés sur les radios sont donc une condition complémentaire importante pour tirer tous les bénéfices de la synergie avec internet. Mais les tendances propres à l’économie actuelle ne garantissent pas cette ouverture. La concentration du contrôle de ces circuits ne cesse de croître. La régulation de la concurrence et de la diversité dans ces domaines a donc un rôle significatif à jouer. La musique n’est pas seule dans ce cas. Un livre connaissant un succès sur internet risque de perdre une part significative des ventes qui auraient pu en résulter si l’état actuel de la distribution en librairie reste ce qu’il est.
  • Garantir une rémunération équitable des créateurs dans les offres commerciales. L’absence de toute proposition en ce sens a choqué même ceux qui consentaient aux autres aspects de la loi HADOPI. Une innovation importante a lieu sur ce plan aussi bien dans les sites de partage volontaire que dans d’autres structures commerciales (certains labels ou intermédiaires de gestion tous azimuts de revenus des créateurs) qui promeuvent un commerce culturel équitable. Ces alternatives peuvent fixer des points de repère sur le niveau de cette rémunération équitable. L’expérience montre que le facteur déterminant de la généralisation de cette équité aux acteurs dominants résidera dans le caractère non-transférable (aux producteurs au sens financier et aux distributeurs) de certains droits à rémunération. En l’absence de cette garantie, la rémunération par les revenus proportionnels de droits d’auteur restera ce qu’elle est : une fiction pour la grande masse des créateurs, dont l’illusion est entretenue par quelques exceptions. Il ne s’agit pas de spolier les producteurs et distributeurs de leurs revenus nécessaires, mais de mettre quelques limites à la spoliation comptable des créateurs.
  • Encourager les modèles de services d’information payants compatibles avec les libertés. Il ne s’agit évidemment pas de répliquer à l’envers la « labellisation de l’offre légale » qui est l’un des sommets d’absurdité de l’HADOPI. Mais de se demander comment établir les règles du jeu de marché de façon à ce que la mauvaise qualité n’y chasse pas la bonne. On peut imaginer de nombreux mécanismes, dont je ne mentionne qu’un exemple, étroitement lié au mécanisme même de la contribution créative. Imaginons un média d’information dont le contenu « frais » n’est accessible que sur abonnement. Le média ou ses auteurs ne sont pas éligibles au bénéfice de la contribution créative pour l’accès effectué sur abonnement, mais doivent l’être pour le partage des archives effectué hors marché. Cela peut représenter un complément important aux revenus d’abonnement, qui rémunèrerait le service qu’un acteur privé effectue aux biens communs d’information.
  • Considérer l’équité et la neutralité de l’accès aux contenus comme un bien public. Cette question se pose à deux niveaux bien différents et redevables de modes d’actions également bien différents. Le premier est celui des services de télécommunication, où se posent les questions de neutralité et d’équité des réseaux. Ce fut le débat caché de l’élaboration du paquet télécom, qui a abouti aujourd’hui à un compromis provisoire insatisfaisant entre le parlement et le conseil européens. Selon ce compromis, les opérateurs de services de communication pourraient développer des offres discriminatoires vis à vis d’applications, services ou contenus à condition d’en informer leurs clients contractuellement. Outre le fait que cette information risque d’être peu visible, elle risque surtout de n’ouvrir aucun choix pour le consommateur, car rien ne garantit l’existence d’offres non-discriminatoires. Seule une qualité minimale de service floue est garantie, alors que les applications innovantes qui ne cessent d’émerger ont besoin tout simplement de la meilleure qualité possible, celle qui est disponible sur un internet non-discriminatoire. Il appartiendra aux autorités de concurrence (l’ARCEP en France) et si nécessaire au législateur de garantir que cette qualité soit accessible à tous. L’autre volet de l’accès aux services et contenus porte sur la recherche d’informations (suivez mon regard). Le fait qu’un acteur dominant, ayant récemment acquis une position dominante sur un domaine connexe également stratégique (la géolocalisation de l’information) soit en même temps un fournisseur de services de contenus soulève les plus graves inquiétudes. À vrai dire, le seul monopole sur l’accès à l’information requiert déjà une politique publique. Elle devrait viser la définition d’une qualité d’accès à l’information (y compris sur les aspects de protection de ces données si personnelles que sont les requêtes) et la promotion d’alternatives ouvertes et distribuées à la domination d’un acteur unique. Pas facile assurément, mais plus que de fabriquer un reflet national ou européen du géant.
  • Maîtriser la pollution publicitaire. Il faut tirer les leçons de ceux des médias qui ont su − au moins un temps − faire coexister qualité d’accès à l’information et financement partiel publicitaire, en particulier la presse. Ce fragile équilibre ne s’est pas généré spontanément. Il est né de réglementations (sur la signalisation), d’éthiques (d’indépendance éditoriale par rapport aux annonceurs), de contre-pouvoir internes aux médias, d’innovations techniques (les ad-blocks sur internet par exemple). Toutes ces facettes de la résistance à la pollution publicitaire de l’espace public informationnel ou culturel sont en crise ou (pour la dernière) menacées. À chaque type d’acteur de jouer son rôle pour les revigorer : le triomphe du pire n’est certain que lorsque nous y consentons.

[1] Il s’agit bien ici de régulation et non de réglementation : les mécanismes concernés pourront être de nature législative, réglementaire, contractuelle ou à base de politiques incitatives.

[2] Déclaration lors de la session sur le futur du droit d’auteur de la conférence « Futur de la propriété intellectuelle » organisée par le Goethe Institut et le Comité des régions, Bruxelles, 23-24 avril 2009.

Posté le 24 mai 2009

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Nouveau commentaire
  • Février 2010
    13:53

    La contribution créative : le nécessaire, le comment et ce qu’il faut faire d’autre

    par Ann

    Thanks for putting the time and effort to give a very clear explanation. I tried to read the paper at first, but your explanation provided adequate explanation for someone who wants to get a first hand understanding that piece of code. Keep up the good work.

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