Les rencontres d’Autrans 2009 : co-production de contenus libres par les enseignants

Repris de l’article publié Par Michèle Drechsler le Vendredi 6 février 2009. sur le site de l’INRP

es acteurs de l’internet se sont réunis le 07, 08 et 09 Janvier à Autrans dans le Vercors pour faire le point sur la façon dont les différents réseaux abordent la coproduction et l’organisation du savoir collectif. Dans le monde de l’éducation, de plus en plus d’enseignants se mettent à participer dans une logique contributive en revendiquant à la fois l’attachement au service public et la mise en biens communs dans la lignée du logiciel libre ou du modèle de wikipedia. L’atelier « co-production de contenus libres par les enseignants » animé par Michel Briand, élu à la ville de Brest, avait comme objectifs :

  • de donner à voir les initiatives existantes

* de comprendre ce qui fait qu’elles agrègent aujourd’hui lecteurs-utilisateurs et contributeurs

* d’interpeller les institutions sur ce nouveau modèle d’une société du numérique tournée vers la coopération

De nombreuses initiatives

L’atelier a été l’occasion de présenter de nombreuses initiatives. Liouba Leroux, professeur de mathématique, a fait le point sur les projets de l’association Sésamath qui met à disposition de la communauté des enseignants, des ressources pédagogiques pour l’enseignement des mathématiques. Inscrite délibérément dans une démarche de service public, l’association est attachée aux valeurs de la gratuité d’utilisation des ressources et du logiciel libre. Elle favorise dans la mesure du possible, des licences libres pour les documents et les logiciels mis en ligne ainsi que des formats ouverts. L’association a produit des manuels libres qui connaissent un réel succès. Liouba Leroux a insisté sur l’internationalisation actuelle des projets. Rémi Thibert (INRP) a présenté l’association Open English Web née en août 2008 et qui vise la production de ressources libres pour les professeurs d’anglais. Le dernier projet de partage de photos pour les cours d’anglais connaît un succès. Michèle Drechsler (INRP) a évoqué l’initiative des amis de Takatrouver qui prévoit la production de ressources libres pour l’accompagnement à la scolarité. Daniel Caillibaud a présenté Edulibre qui propose une structure de forge documentaire, avec une partie privée collaborative pour l’élaboration et la validation des ressources, et une partie publique pour les ressources validées. Thierry Gaudin a décrit l’association Prospective 2100 qui a pour but de contribuer à la promotion de la prospective auprès des décideurs.

De nombreux projets collaboratifs se mettent en place comme Canopédia qui est un projet de répertoire encyclopédique collaboratif sur le thème des pratiques éco-citoyennes. Le but est de répertorier l’ensemble des solutions, conseils et adresses éco-citoyens sous forme de listing afin d’en faciliter la recherche. Wikidébrouillard est une encyclopédie en ligne des sciences expérimentales du quotidien, c’est-à-dire des expériences réalisées avec du matériel utilisé dans la vie de tous les jours. Le Réseau Tela Botanica qui contribue au rapprochement de tous les botanistes de langue française, s’adresse à toutes les personnes, physiques ou morales, intéressées par le monde végétal dans une éthique de respect de la nature, de l’homme et de son environnement. Wikim vise l’amélioration de la cohésion sociale par l’insertion professionnelle des personnes issues de l’immigration dans cinq pays, la France, l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique et la Suisse en adaptant leurs formations linguistiques. Avec Wikim les contenus de formation sont adaptés aux besoins des différentes cultures et aux contextes locaux des régions d’accueil. Le réseau International de correspondants francophones sur les usages des technologies regroupent plus de 100 correspondants et 1000 sympathisants échangent en français sur les usages innovants des technologies et sur les particularités des civilisations francophones. Le libre y a une place. Le projet Médiablog coopératif@-Brest a également été évoqué. Médiablog, qui repose sur un logiciel libre, permet de créer une webradio, un vidéoblog, ou une photothèque.

Des licences “creative commons” adaptées au partage de contenus

Pour partager les ressources, il est important de pouvoir avoir des contrats clairs indiquant les modalités de leur utilisation. Les licences Creative Commons proposent gratuitement des contrats flexibles de droit d’auteur pour diffuser les créations. Simples à utiliser et intégrées dans les standards du web, ces autorisations non exclusives permettent aux titulaires de droits d’autoriser le public à effectuer certaines utilisations, tout en ayant la possibilité de réserver les exploitations commerciales, les oeuvres dérivées ou le degré de liberté (au sens du logiciel libre). Danièle Bourcier, responsable scientifique de Creative commons France, directrice de recherche au CERSA-CNRS, responsable de l’équipe IDL (Informatique, Droit et Linguistique) a présenté le principe de ces licences et les dernières statistiques concernant leur utilisation. Dans le domaine de l’éducation, les licences creative commons peuvent faciliter le partage des ressources éducatives (cf. revue Terminal n° 97-98 « les licences creative commons dans le paysage éducatif de l’édition… rêve ou réalité ? »).

Les OER pour le partage de la connaissance

Les OER (Open Educational resources) reposent sur des licences ouvertes facilitant le partage, l’adaptation des ressources en fonction des besoins des usagers. L’UNESCO se penche sur la question des Ressources éducatives libres (REL) qui sont des matériaux digitalisés offerts librement pour que des éducateurs, des étudiants et des apprenants les réutilisent pour l’enseignement, l’apprentissage et la recherche.

Les REL ont été définies comme :

  • Ressources d’apprentissage - logiciel de cours, modules de contenus, objets d’étude, soutien aux étudiant et outils d’évaluation, et comme communautés d’étude en ligne
  • Ressources de soutien pour les enseignants - outils pour les enseignants et matériels de support pour leur permettre de créer, d’adapter, et d’utiliser les REL, ainsi que comme matériaux de formation et autres outils d’enseignement pour enseignants
  • Ressources pour assurer la qualité de l’éducation et des pratiques éducatives

Les REL furent discutées lors du deuxième forum mondial sur l’Assurance qualité, l’accréditation et la reconnaissance des qualifications (juin 2004, UNESCO, Paris). Un livre OER Handbook for Educators 1.0, édité en 2008 est un guide pratique des OER et il se décompose en plusieurs chapitres : chercher, créer, adapter, utiliser, partager et licencier de telles ressources.

Voir également l’article “Travail collaboratif et ressources éducatives libres” suite à la journée du 24 septembre 2008 organisée à ENS.

Des enseignants engagés

Une des questions posées par l’animateur était : « Qu’est-ce qui pousse les enseignants à co-produire ? » La production d’une ressource est un acte de formation en soi et les enseignants ressentent la nécessité de partager et de mettre en commun des matériaux, des outils, des pratiques. Lors du débat, la possibilité de pouvoir réutiliser une ressource pédagogique, de pouvoir l’adapter, a semblé être une motivation importante pour les enseignants engagés dans ces projets. Le problème de la validité d’une ressource reste posé sur les sites collaboratifs. Wikipédia par exemple est un site qui propose en ligne une encyclopédie collaborative de contenu « libre », alimentée par une association volontaire d’individus et de groupes de travail qui veulent élaborer en commun une ressource complète de la connaissance humaine. La structure même de ce projet permet à toute personne disposant d’une connexion Internet d’en modifier le contenu. Une page de mise en garde est clairement présentée sur le site de Wikipédia. Face à l’émergence de productions numériques co-produites et toujours en évolution, une éducation aux médias s’impose.

Quel est le rôle de l’institution dans le dispositif ?

Les enseignants sont des professionnels de la pédagogie. Les ressources pédagogiques se situent au coeur de leur métier et ont une place stratégique dans les dispositifs de pilotage intégrant la gestion des connaissances. Nous ne pouvons pas nier la richesse de leur production, de leur utilisation et leurs apports en matière de formation et de professionnalisation. La maîtrise de l’information, l’apprentissage en ligne et l’édition numérique sont constamment imbriqués comme le démontre Carmel McNaugt dans son livre, ELearning and Digital Publishing (2006).

Comment l’institution peut-elle s’inscrire dans ce nouveau paysage éditorial et développer une culture réseau ? Le problème du temps de la production d’une ressource a été soulevé lors des débats. Il est en effet important que les enseignants puissent disposer d’un minimum de temps pour co-produire, échanger. Nous pouvons citer, par exemple, le dispositif de mutualisation prévu dans une circonscription qui a inscrit la production de ressources dans son projet de pilotage.

Le mouvement « Open Education » reposant sur le partage ouvert de la connaissance est de plus en plus présent sur internet et nous ne pouvons pas l’ignorer. Il pose de nouvelles questions sur l’économie de l’éducation. Selon les auteurs du livre Opening Up Education -The Collective Advancement of Education through Open Technology, Open Content, and Open Knowledge [1], les enjeux d’une éducation « ouverte », libre, accessible pour tous, posent une question essentielle : comment les outils, les ressources libres, les échanges de pratiques peuvent-ils améliorer la qualité de l’éducation ? Comme le précisait Thélo, [2]« les pratiques enseignantes, entendues comme l’ensemble des activités par lesquelles les enseignants guident et font travailler les élèves qui leur sont confiés pour leur faire acquérir les savoirs, savoir-faire qui constituent les objectifs de l’école sont actuellement très mal connues. Il faut développer et capitaliser les observations des pratiques des enseignants, les études et les recherches permettant d’en apprécier l’efficacité au regard des progrès et des comportements des élèves. Enfin, il faut organiser la diffusion des résultats des recherches sur l’efficacité des pratiques enseignantes et former et inciter les enseignants à s’en emparer, notamment lors de leur évaluation et de leurs formations initiale et continue, pour améliorer l’efficacité du système éducatif ». L’ « Open Education » à travers la production et la diffusion de ressources ne serait-elle pas un passage obligé ?

[1he MIT Press, Tory Liyoshi et MX Vijoy Kumar, 2008

[2dans l’avis du Haut Conseil de l’évaluation de l’école n°7 - Janvier -Février 2003 ↩

Posté le 24 mars 2009

licence de l’article : Contacter l’auteur