TIC, besoins de coordination et d’information et proximité géographique : une analyse sur des données bretonnes.

Une étude poubliée par le laboratoire des usages Marsouin

L’objet de cet article est de déterminer si la nécessité d’une proximité géographique de l’entreprise avec ses partenaires reste un des principaux facteurs explicatifs du phénomène d’agglomération que l’on continue d’observer malgré la diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication.

À partir d’une enquête réalisée par l’INSEE fin 2003 auprès de 850 établissements bretons, nous montrons que les entreprises géographiquement éloignées de leurs partenaires utilisent plus intensivement les TIC. En particulier, ces technologies sont plus utilisées comme outil de coordination lorsque les partenaires amont sont éloignés et comme outil de diffusion et de recueil d’information lorsque les partenaires aval sont distants.

Ainsi, ces technologies ne peuvent être considérées uniquement comme des outils permettant de transférer des connaissances codifiées, mais doivent aussi être vues comme un moyen d’échanger et de se coordonner à distance avec ses partenaires et donc comme un moyen de se soustraire à la contrainte géographique.

Introduction.

La question de l’impact du développement des TIC sur les dynamiques spatiales a longuement été débattue dans la littérature économique, donnant naissance à deux visions clairement divergentes du problème. Une première vision prônait l’abolition des distances grâce à la diffusion de ces technologies, qui devait conduire, à l’extrême, à une décentralisation totale des activités (Thery, 1994 ; Cairncross, 1997). La seconde vision, plus récente, affirme que l’avènement du numérique s’accompagne, à l’inverse, d’un renforcement des effets d’agglomération (Suire, Vicente, 2002).

Un intérêt tout particulier a été porté par les économistes et les gestionnaires à l’impact du développement des TIC comme outil de diffusion ou de transmission de la connaissance. Une partie de ces travaux s’appuie sur l’hypothèse de double dimension de la connaissance, qui peut être tacite et codifiée (Ancori, Bureth, Cohendet, 2000). Le caractère tacite de la connaissance se traduirait par la nécessité d’une proximité géographique, seules les connaissances codifiées pouvant être transférables à distance (Guillain, Huriot, 2000). À l’inverse, nous faisons l’hypothèse que les TIC pourrait être un moyen de faciliter les échanges et ainsi contrebalancer la distinction traditionnelle entre connaissance codifiée/distance et connaissance tacite/proximité. Il nous semble que certains outils, de plus en plus utilisés, tels que les outils de travail collaboratifs ou la visioconférence pourraient permettre de transférer de la connaissance tacite. L’utilisation de ces outils, conjuguée à quelques rencontres en face-à-face, qui, selon nous, restent nécessaires mais peuvent être ponctuelles, devraient donc permettre de se libérer de la contrainte géographique. Sous cette hypothèse, l’éloignement géographique des partenaires d’une entreprise devrait se traduire par une utilisation plus intense de ce type d’outils. La persistance du phénomène d’agglomération des entreprises qui accompagne le développement du numérique ne serait donc pas motivée par la nécessité de communiquer. Comme l’avancent Suire et Vicente (2002), il existe plusieurs types d’externalités qui poussent les entreprises à se localiser à proximité les unes des autres.

La notion de TIC regroupe un grand nombre d’outils, qui diffèrent selon plusieurs critères. Rallet et Brousseau (1997) proposent une typologie des TIC fondée sur des propriétés organisationnelles qui les conduit à distinguer trois types d’outils : les outils de télécommunications, les outils informatiques et les outils télématiques. Dans cet article, nous nous appuierons sur une décomposition en terme de besoin en deux catégories : les outils d’informations, qui permettent de collecter et de diffuser un certain nombre d’informations, en provenance et à destination d’acteurs qui ne sont pas nécessairement clairement définis, et les outils de coordination, qui permettent à des acteurs clairement identifiés d’échanger des informations plus personnalisées. C’est par l’utilisation de ce dernier type d’outils que serait, selon nous, facilité le transfert de connaissance tacite.

Parallèlement à cette littérature, de nombreuses études empiriques ont été menées sur les usages des TIC par les entreprises. Plusieurs d’entre elles font le lien entre l’utilisation de ces technologies par les entreprises et leur localisation (Galliano, Roux, 2005, 2006 ; Galliano, Lethiais, Soulié, 2005 ; Soulié, 2006), s’appuyant sur l’hypothèse que les espaces ruraux sont caractérisés par l’éloignement des partenaires. Aucune, cependant, ne mesure explicitement le lien entre la distance de l’entreprise à ses partenaires et son utilisation des TIC. Ceci constitue l’apport majeur de notre travail.

Le propos de cet article est donc de tester empiriquement l’existence d’un lien entre l’éloignement géographique des différents partenaires d’une entreprise et l’intensité d’usage des TIC par cette entreprise, en prenant soin de distinguer les types d’outils utilisés. De plus, l’utilisation de certains outils pouvant être conditionnée à la nature des partenaires avec lesquels l’entreprise échange (clients, fournisseurs, sous-traitants, etc.), nous introduirons dans nos travaux une distinction en fonction du type de partenaires.

Pour cela, nous avons mené une enquête, en coopération avec l’INSEE, auprès d’un échantillon représentatif d’établissements bretons de plus de 10 salariés. Cette enquête nous a permis de collecter des informations sur 850 établissements, concernant leur utilisation des différents outils TIC, ainsi que la localisation de leurs différents types de partenaires.
La méthodologie est basée sur la construction de trois variables mesurant l’intensité d’usages des TIC, tout d’abord de manière globale, puis en distinguant le type d’outils : d’une part les outils permettant de diffuser ou de recueillir de l’information et d’autre part les outils permettant de se coordonner avec ses partenaires.

L’utilisation de modèles Logit ordonnés nous permet, dans un premier temps, de tester l’impact sur l’intensité d’utilisation des TIC des caractéristiques structurelles et organisationnelles de la firme. L’influence de la taille, du secteur d’activité, de l’appartenance à un groupe, de la localisation de la firme, d’un effet apprentissage et d’une formation à Internet sur l’adoption et l’utilisation des TIC prises dans leur ensemble a déjà été mise en évidence dans plusieurs études (Galliano, Roux, 2005 ; Galliano, Lethiais, Soulié, 2005). Le modèle général nous permet de renforcer ou à l’inverse de nuancer les résultats obtenus sur ces divers échantillons. De plus, le fait d’avoir distingué l’utilisation des TIC en fonction du type d’outils donne des éclairages supplémentaires quant aux objectifs poursuivis par les firmes.

Dans un second temps, l’objectif principal de ces modèles est de déterminer si l’éloignement des différents partenaires de l’entreprise a impliqué une utilisation plus intense des TIC de manière générale et en particulier une utilisation plus intense des TIC en tant qu’outil de diffusion ou de recueil d’informations et/ou en tant qu’outil de coordination. Nous montrons ici que l’éloignement géographique des fournisseurs et des sous-traitants de l’entreprise engendre une utilisation plus intense des TIC et ce pour répondre à un besoin de coordination. L’éloignement des partenaires aval se traduit aussi par une utilisation plus intense des TIC mais dans ce cas, c’est pour diffuser et recueillir des informations que les entreprises ont recours à ces technologies. Ces résultats valident donc en partie notre hypothèse de départ, les TIC apparaissant ici comme un outil permettant aux entreprises de se coordonner à distance et donc, selon nous, d’échanger des connaissances tacites, mais ce uniquement avec leurs fournisseurs et leurs sous-traitants.

Dans la première partie de cet article, nous présentons les travaux existants sur le lien entre l’utilisation des TIC et les relations avec les partenaires et nous construisons le cadre théorique de cette étude. Les données, ainsi que l’analyse descriptive sont présentées dans une deuxième partie. Enfin, le modèle économétrique et les résultats sont regroupés dans une troisième partie.

Posté le 10 février 2007

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