Loi antiterroriste et Accès Public

Marie-Hèlène Feron nous parle des travaux du Forum des Droits de l’Internet

Marie-Hélène Feron travaille à Artesi et est membre de l’association Créatif. C’est à ce titre qu’elle a participé au groupe de travail du forum des droits de l’internet intitulé : "Espaces Publics Numériques et loi antiterroriste".

Elle était également présente le 24 novembre 2006 au débat organisé par la ville de Brest sur ce thème. Voici sa contribution écrite à cet échange de points de vue.

Espaces Publics Numériques et loi antiterroriste

Le groupe de travail du Forum des Droits de l’Internet

S’interrogeant sur l’application de la loi de sécurité quotidienne dite « antiterroriste », dans les lieux d’accès publics, le Forum des Droits de l’Internet a mis en place, en mars 2006, un groupe de travail autour des principales problématiques juridiques qui se posent aux intervenants de ces lieux. Il a aussi pour objectif de faire émerger les bonnes pratiques et surtout de produire des recommandations à destination des espaces publics numériques sous forme de productions immédiatement utilisables par les animateurs et autres intervenants dans les Espaces Publics Numériques (EPN).

Ce groupe réunit à la fois des professionnels de l’accès public à Internet au travers des bibliothèques (la BNF, l’ADBS), des réseaux d’Espaces Publics Numériques tels que les ECM, les Points Cyb, les Cyber-bases, ou des entités œuvrant dans le domaine : ARDESI, ARTESI Ile-de-France, Créatif, DUI, mais aussi l’APRIL, l’Association Ville Internet, l’UNAF, Microsoft et le cabinet d’avocat CAPRIOLI.

Après une période de définition de ce qu’est un « Espace Public Numérique » - qui diffère d’un cyber-café tout particulièrement par l’accompagnement des personnes et la pédagogie qui sont pratiqués dans ces lieux - et d’identification des différentes structures juridiques des EPN, des experts de différents organismes ont été auditionnés. Il s’agit :

  • De la gendarmerie nationale, service de Cybercriminalité ;
  • De la CNIL ;
  • De l’AFA (Association des Fournisseurs d’Accès) ;
  • et, en attente, une personne de l’OCLCTIC (Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication).

Toutefois, à la question : « la loi de sécurité quotidienne s’applique-t-elle aux lieux d’accès publics à Internet que sont les Espaces Publics Numériques ? » la réponse n’est pas tranchée. Sauf à ce que les textes de loi ne le mentionnent clairement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, diverses interprétations sont possibles. D’autant que la notion générique d’EPN recouvre en réalité une grande diversité de lieux et de modes de fonctionnement, de l’anonymat à l’enregistrement nominatif de chaque usager, offrant des activités accompagnées et des temps d’accès libre aux ordinateurs. Par ailleurs, certains peuvent offrir de l’accès libre sur des bornes ou en wifi, encore que cela reste à la marge aujourd’hui mais pourrait être amené à se développer dans l’avenir.

Mais si l’on considère que les EPN pourraient être concernés par cette loi, quelles en seraient les implications ?

Deux points majeurs de la loi

A la lecture de cette loi, nous retenons deux idées principales qui auront des conséquences pour les EPN :

  • l’obligation de conservation des données pendant une année ;
  • le fait de fournir des « informations permettant d’identifier l’utilisateur ».

Sur un plan technique cela supposerait donc que les animateurs puissent conserver les logs de connexion (et seulement la connexion, et non les contenus) sur une durée de un an. En effet, les fournisseurs d’accès ne pouvant identifier que leur abonné, à savoir l’EPN, ils ne seront pas en mesure d’identifier le poste à partir duquel la connexion litigieuse aurait été réalisée. Cette conservation des données suppose des équipements matériels que beaucoup d’EPN ne possèdent pas et ne seront pas en mesure de financer !

Quant à la question des informations permettant d’identifier les utilisateurs, face à la diversité des situations des EPN, cela supposerait des procédures différentes. Toutefois, il ne s’agit pas tant d’obtenir une identité nominative que de permettre l’identification par recoupements d’informations.

Certains EPN pratiquent l’anonymat complet comme c’est le cas dans les « Points Cyb » du Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative, dont la charte repose sur ce principe. Demander l’identité des personnes remettrait en cause cette charte et pourrait avoir un impact sur ces espaces.

Si l’on part du principe qu’il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultats, l’espace ne pourra donc que fournir les informations en sa possession et le travail des enquêteurs continuera par recoupements des informations et indices.

Peu d’espaces pratiquent une réservation nominative systématique et vérifiable. S’ils n’auront aucun problème à fournir des informations, il est probable que ce type de structure, a priori, serait rédhibitoire pour une personne mal intentionnée.

Cependant la plupart des EPN fonctionnent à mi-chemin de ces deux approches : avec ou sans réservation, par système d’adhésion générale pour lesquelles le nom de la personne est demandé mais sans vérification de la véracité des informations, toutefois, accueillant des groupes accompagnés ou non et des personnes qui viennent ponctuellement, connues ou non par l’animateur. Les informations connues peuvent être fournies aux enquêteurs sans qu’elles soient systématiques … avec le risque que des personnes « innocentes » puissent être suspectées dans un premier temps.

Quelles recommandations du Forum des Droits de l’Internet ?

Actuellement, le groupe de travail du Forum des Droits de l’Internet est en attente d’une réponse claire concernant l’implication ou non des EPN dans cette loi. En effet, si les EPN n’étaient pas concernés, la problématique ne se poserait plus.

Toutefois, en l’absence de réponse et face au flou laissé par les textes, des recommandations devront être proposées par le Forum des Droits de l’Internet afin d’éviter que les EPN ne se retrouvent dans une situation difficile.

Sans préjuger de ce que seront ces recommandations, il semble cependant clair, à ce jour, que la coopération et le fait de fournir les informations en possession de l’EPN susceptibles d’aider les enquêteurs dans leur travail seront les bienvenues.

Marie-Hélène FERON,
Chargée de Mission « Accès Public à Internet », ARTESI Ile-de-France
Membre de CRéATIF

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Posté le 19 décembre 2006 par Elisabeth Le Faucheur

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