Déconfiner l’action publique : propositions antifragiles

Dans cet article en deux parties je voudrais esquisser ce que serait une action publique antifragile, en référence au célèbre livre de Nassim Nicholas Taleb. Après avoir pointé les différences entre résilience et antifragilité, j’explore dans le contexte pandémique que nous traversons l’hypothèse d’une action publique antifragile et comment la notion floue de transformation publique pourrait s’en voir qualifiée. En un mot : comment déconfiner l’action publique ?

J’emploie à dessein l’expression “action publique” plus large que “politiques publiques” et qui permet d’englober, comme l’explique Gilles Massardier le fait que l’intérêt général est une production commune, qui va bien au delà de l’activité des seules administration publiques. Fonctionnaire territorial dans une grande métropole, mes propos portent nécessairement sur les modalités de l’action publique non pas les finalités, rôle dévolu aux élus locaux.

 

Résilience & Antifragilité, de quoi parle-t-on ?

 

Cette page du site de la Ville de Paris liste les risques majeurs pour capitale : terrorisme, canicule, crues, grand froid, etc. Pas d’épidémie, encore moins de pandémie. Nous n’avons rien vu venir.

La capitale est membre depuis 2015 du réseau des 100 Villes Résilientes, créé par la Fondation Rockefeller et dispose d’une stratégie de résilience urbaine fort complète et même passionnante pour qui s’intéresse à l’action publique et, j’imagine, pour les citoyens impliqués. Mais qu’entend-t-on par résilience urbaine ?

La résilience urbaine est la capacité des personnes, communautés, institutions, entreprises et systèmes au sein d’une ville à survivre, s’adapter et se développer quels que soient les types de stress chroniques et de crises aiguës qu’ils subissent.

La résilience se distingue donc de la gestion des risques, entendue comme la mise en œuvre de Plans de continuité d’activité dans les organisations, de manière à anticiper, réagir à partir de risques plus ou moins identifiés pour garantir la continuité de l’action publique. Autrement dit, la résilience comme la gestion des risques visent à gérer une situation et chercher à organiser un retour à la normale, là ou l’antifragilité consiste à rebondir sur une situation de crise pour transformer la situation initiale. Le terme antifragile est intéressant, puisqu’il se distingue du contraire de la fragilité, la robustesse. Un système résilient peut-ainsi être robuste, mais pas antifragile !

En quelques mots, ceux de l’auteur :

nous pouvons presque toujours déceler l’antifragilité (et la fragilité) en recourant à un simple test d’asymétrie : tout ce qui, à la suite d’événements fortuits (ou de certains chocs), comporte plus d’avantages que d’inconvénients est antifragile ; et fragile dans le cas contraire.

Une action publique antifragile serait donc un ensemble de dispositifs qui adopte des traits antifragiles pour “transformer positivement” à la suite d’un choc. Voici les 3 points ce sur quoi je m’appuierai pour approcher l’action publique par l’antifragilité.

  • Les systèmes antifragiles ne cherchent pas à prévoir ce qui est par nature imprévisible. Ils cherchent au contraire à se servir de ce que les crises majeures provoquent pour transformer
  • Les systèmes antifragiles ne cherchent pas à diminuer le risque, à le circonscrire, mais au contraire à provoquer de l’inattendu pour apprendre des situations nouvelles
  • Les systèmes antifragiles ne cherchent pas à faire passer à l’échelle des solutions qui marchent, mais à créer ou maintenir des redondances entre de nombreuses solutions qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients

A priori, ces trois éléments sont très éloignés d’une action publique telle que nous la connaissons. L’administration planifie, cherche à tout prévoir et cherche à modéliser en évitant le saupoudrage ! Et pourtant, quand on s’y penche, il se pourrait bien (et c’est mon hypothèse) que la crise que nous connaissons révèle des tendances antifragiles déjà présentes ou, quand ce n’est pas le cas, identifie les transformations à développer.

A l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes encore confinés (mai 2020 – première vague covid-19 – Nord de la France). Personne ne sait aujourd’hui comment nos sociétés vont réagir au choc majeur que nous avons provoqué en réaction à ce virus. Mais ce que nous pouvons esquisser aujourd’hui ce sont les postures souhaitables non pas seulement pour amoindrir et maîtriser le choc (résilience), mais aussi pour en faire un mouvement qui maximise les effets positifs (convexe) a lieu des effets négatifs (concave) de cette crise et de celles à venir.

Ancien trader, l’auteur d’Antifragile n’est pas tendre avec l’État et encore moins avec les fonctionnaires, monde qu’il connaît visiblement très mal. Ce qui m’intéresse ici n’est pas l’intégralité de son approche (je laisse de côté le débat pour savoir si la crise du Covid-19 est un cygne blanc ou un cygne noir) et les partis pris idéologiques de l’auteur décliné sur tous les sujets. Loin d’être une recette ou un concept-solution dont les mauvais consultants abusent, l’antifragilité me semble cristalliser suffisamment d’indices de transformations souhaitables ou déjà à l’œuvre pour être examinée avec attention. Que peut-on donc retirer de cet examen ?

Les transformations souhaitables me semblent devoir être injectées dans l’action publique. Il nous faut d’abord devenir antifragiles en remettant la planification et la prévision à leurs places et en travaillant sur nos capacités d’accélération et d’alliances en situation de crise, je l’ai appelée la subsidiarité distribuée. La seconde cherche à trouver une posture antifragile je l’ai appelée injecter de inattendu, ce sera pour le prochain billet. L’ensemble contribuera je l’espère à déconfiner l’action publique.

 

Prendre conscience de notre obsession planificatrice

 

L’action publique consacre énormément de ressources à planifier. La pratique du plan a pris ces dernières décennies une ampleur inédite. Qu’on en juge : la loi Notre a même créé le SRADDET : le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires qui est un…plan de plans (ou un méta-plan). Voici comment il est présenté sur le site du Ministère de la Cohésion des territoires :

Il intègre plusieurs schémas régionaux thématiques préexistants : schéma régional de cohérence écologique (SRCE), schéma régional climat air énergie (SRCAE). Le SRADDET doit respecter les objectifs généraux de la réglementation de l’urbanisme tels que définis à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme. Il s’impose notamment à plusieurs autres documents de planification : plan de déplacements urbains (PDU), plan climat air énergie territoriaux (PCAET), charte de parc naturel régional (PNR), schéma de cohérence territoriale (SCoT).

Même s’il est possible, comme s’y est essayé la 27e Région de faire du SRADDET un chouette moment démocratique, force est de constater qu’entre les plans, les schémas directeurs et les feuilles de routes diverses et variées, la fonction publique aujourd’hui passe plus de temps à planifier ce qu’elle va faire que de le faire vraiment et d’évaluer son action. L’action publique est confinée dans ses plans d’actions.

Loin de moi l’idée d’endosser la critique sans nuance de l’Etat bureaucratique que porte l’antifragilité telle que présentée par son auteur, mais la période pose brutalement la question : comment se fait-il que nous soyons à la fois si planificateurs et si mal préparés ? Comme l’expliquent les auteurs de cet article sur les leçons à tirer de la gestion de crise du coronavirus, parue sur (l’excellente) revue AOC :

S’agissant des outils de planification, il y aurait beaucoup à dire sur la mise en œuvre du plan pandémie grippale qui, dans sa dernière version, date de 2011. Ce plan a été expressément conçu pour une situation comparable à celle que nous traversons actuellement. Il s’est nourri notamment des retours d’expérience des épidémies qui se sont succédées en France depuis le début de la décennie 2000. Force est pourtant de constater qu’il n’a pas été mis en œuvre, ce qui s’est traduit notamment par une pénurie de masques de protection, qui a conduit à adopter une mesure extrême, le confinement, qui ne figure, quant à elle, dans aucun plan.

Comment expliquer que malgré la richesse des plans de protection de la population en cas de crise, personne n’ait, par exemple, anticipé les alliances possibles entre hôpitaux publics et privés pour mutualiser et augmenter les capacités de réanimation en cas de crise ? Il a fallut attendre près de 15 jours pour que l’alliance se fasse, au cœur de la montée en charge des cas nécessitant de lits en réanimation.

Comment expliquer qu’aucune collectivité ne dispose aujourd’hui d’une démarche de résilience alimentaire locale ? Ce n’est qu’en fin d’année dernière qu’une sénatrice a déposé une résolution sur le sujet sous l’impulsion d’un conseiller en développement local, Stéphane Linou. Ce dernier souligne que nous avons tout simplement “oublié” le risque alimentaire. Et d’expliquer que le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises n’est que de 2 %, ce qui signifie que 98 % du contenu des aliments qui y sont consommés sont importés. On ne sait tout simplement pas comment réagir en cas de pénurie alimentaire.

Une partie de la réponse à cette impréparation est surement dans le fait que nous ne croyons plus dans nos plans même quand ils sont bien faits ! D’un côté l’administration planifie – souvent sous contrainte légale – et de l’autre les exécutifs ne croient pas toujours aux risques et n’ordonnent pas toujours les mesures planifiées… C’est ce que constatent les designers qui ont travaillé sur la pratique de la planification dans l’action publique. Tout se passe comme si la planification était une fonction phatique de l’administration, elle sert à créer des liens entre des parties-prenantes, à construire des discours mais n’est pas orientée vers l’action. Cela ne signifie pas qu’il ne faille plus du tout planifier, mais à mon sens qu’il faut repenser profondément la pratique pour l’orienter vers notre capacité de réaction. Citons les travaux de Grégoire Alix-Tabeling et Yoan Ollivier, designers (Vraiment Vraiment) et Nicolas Rio (Partie Prenante) :

déplacer les efforts de l‘amont (la construction du document) vers l’aval (les conditions de sa mise en œuvre). Cela paraît évident, mais c’est un vrai changement de pratique. Que ce soit pour un SCOT, un projet métropolitain ou une démarche prospective, toutes les ressources sont concentrées sur le processus d’élaboration de la stratégie, à travers l’organisation d’ateliers participatifs et de groupes d’experts. Puis une fois le texte écrit, chacun retourne à ses occupations et les équipes en charge de sa mise en œuvre sont réduites à peau de chagrin.

 

Répondre vite versus anticiper des risques

 

Ce que nous apprend cette crise sous l’angle de l’antifragilité et que nous devons moins essayer de prévoir en réaction à des risques que de prendre conscience de nos capacités de réponse et les catalyser. Du point de vue antifragile, lisser au maximum toutes les variations de son environnement est un facteur de fragilité car il est par définition impossible d’anticiper les crises majeures. Que faut-il faire alors ? Une partie de la réponse est proposée par le consultant Emile Hooge dans un exercice de prospective de la métropole de Lyon intitulé : Les bienfaits du désordre et de l’incertitude : vers une métropole antifragile ?

Prendre des options – Disposer d’une option c’est se donner le temps de voir : si la situation se déploie favorablement on a le droit d’en profiter, sinon on peut se désengager sans rien perdre car on n’a pas d’obligation. Notre vie quotidienne est remplie d’options : location avec option d’achat, préservation d’un spectacle, produits dérivés financiers, stock-options… Mais les meilleures options, les plus antifragiles, sont celles qui ne coûtent rien, qu’il est facile d’abandonner, et qui offrent les plus grandes opportunités de gains. Concrètement, cela veut dire qu’une métropole antifragile n’a pas besoin de chercher à prévoir l’avenir, elle a juste besoin de prendre les bonnes options et de se mettre en position de position de profiter des aléas ou de se désengager le cas échéant.

Autrement dit, développer une action publique antifragile revient à détecter ou provoquer des réactions spontanées et légères des territoires (réactions hors plans la plupart du temps). Celles qui sauront comment s’allier aux populations ou mettre en place des réactions rapides sauront résister à des catastrophes et passer les cygnes noirs à la casserole…. La notion d’effectuation (proche de l’innovation frugale) permet de comprendre combien cette logique se distingue de celle de la planification (approche causale). Un schéma pour mieux comprendre :

Ceux qui ont réagit le plus vite pour protéger la population et les soignants, ce sont les citoyens auto-organisés qui ont pris des options. Partout les couturiers ou les couturières du dimanche, les makers, se sont associés, ont produit des tutos en masse, se sont organisés pour créer une capacité de réponse distribuée. A ce sujet, je vous renvoie à cet article du Monde qui pointe que la fabrication distribué n’est plus une gentille niche utopique, mais une réalité visible. Il nous faut comprendre que la spontanéité n’est pas l’absence d’organisation, mais son point de départ ! Il faut saluer à cet égard l’initiative du laboratoire d’innovation publique du CNFPT riposte créative territoriale qui a parfaitement compris et mis en acte l’importance de la documentation des réactions ou des accélérations spontanées des acteurs publics (et pas seulement des administrations). Les sites Covid-initiatives et Fabricommuns me semblent également incontournables.

Copie d’écran de la carte des initiative territoriales proposée par la communauté initiée par le laboratoire d’innovation du CNFPT

Voici quelques exemples d’accélérations ou d’articulations légères publics-communs en réponse à la crise que nous traversons :

  • Outiller pour soigner ou protéger. Comment soutenir la production de matériels (les visières, les respirateurs MUR ou encore MakAir) en licences de libre diffusion pour les soignants ?
  • Créer très rapidement des données en situation de crise. Comment développer les liens entre les bases de données libres et ouvertes (ça reste ouvert à partir d’Open Street Map) et les démarches d’open data territorial ?
  • Mettre en place très vite un réseau de soutien alimentaire à la population. Comment soutienir le développement de points de distribution alimentaire en communs ? (l’infrastructure en communs existe, il reste à inventer les articulations entre producteurs, points de retraits ou de distribution et acteurs publics pour accélérer le déploiement de points de collecte).
  • Répondre à un stress-test par une infrastructure distribuée et ouverte. Comment faire connaître et utiliser l’accélération du déploiement d’infrastructures libres et ouvertes à grande échelle dans l’Éducation nationale ?

Il s’agit de passer d’une gestion de crise à une l’accélération des redondances de crise. Pour le dire trivialement, passer l’éternelle liste au Père Noël (les plans d’action) au bricolage des cadeaux reçu pendant le confinement (les options). De ce point de vue les collectivités qui soutiennent les makers ont tout compris.

Comprenez qu’il ne s’agit en aucun cas de nier l’importance de la planification. Il faut la remettre à sa place et lui confronter des logiques de bouquets de dispositifs en mode essai-erreur. Les collectivités qui ont compris l’importance du design des politiques publiques (j’ai la chance d’en faire partie) sont déjà sur le chemin.

 

De la participation citoyenne aux attachements sur un territoire en communs

 

Ces réflexions ne sont pas uniquement pour le monde d’après. Dans l’antifragilité, il y a la construction de réponses à des situations inattendues. L’action publique antifragile commence maintenant, au cœur de l’urgence. a vice-présidente de la Commission nationale du débat public interroge dans cet article d’AOC le fait que la gestion de crise suppose une urgence qui semble mettre de côté toute tentative de participation citoyenne et justifier de faire des citoyens des réceptacles des consignes gouvernementales. Est-ce une fatalité ? Il semble que non, au niveau des territoires :

Il suffit de penser à la ville de Seattle et à la manière dont elle a mobilisé et a travaillé avec ses conseils de quartiers pour identifier l’ensemble des sites dans lesquels héberger les personnes en quarantaine — ce qui a permis d’éviter les réactions de rejet par les riverains de ces sites provisoires, réactions de rejet qui ont été observées ailleurs dans le pays. On peut aussi penser à la politique menée par la ville de Prato en Toscane, basée sur une collaboration étroite entre la communauté chinoise, la mairie et le reste de la population. À Prato réside et travaille la plus grande communauté chinoise en Europe par rapport à la population autochtone : 21 000 personnes sur une population de 195 000 habitants (environ 11 % de la population), 6 500 entreprises chinoises.

Entre la participation citoyenne et les communs le point de convergence s’appelle la construction de la confiance. Là où le discours sur les communs est souvent présenté comme une manière vague de “faire commun” (bon titre pour un programme électoral), on peut voir les communs comme un terreau d’antifragilité auquel il s’agit de s’articuler. Agir en communs c’est précisément créer des règles dans une communauté à partir des capabilités des acteurs. Les initiatives sont diverses, hétérogènes, difficiles à saisir, parfois contradictoires et plus ou moins efficaces et durables. Ensemble, elles constituent un potentiel antifragile. Il paraît même qu’Elinor Ostrom au eu en 2009 le prix Nobel d’économie pour avoir démontré que la gestion en communs est très loin d’être tragiquement inférieure à celle du privé ou du public. Mais comment capter ces signaux ?

Nos réactions à cette pandémie sont une occasion unique de lancer l’enquête ! Dans la période qui s’annonce ce serait vraiment chouette (pour ne pas mourir de chagrin) de faire de cette crise un “épisode apprenant” et d’appuyer les plans de relance – qui ne manqueront pas de pleuvoir lors du démarrage des prochains mandats locaux – sur la détection de ce qui nous lie sur les territoires, à commencer par ce questionnaire proposé par Bruno latour, devenu lui-même viral (pas Bruno Latour, mais le questionnaire :). Autre exemple : un exercice a déjà été imaginé à Montpellier, disponible sur le site de Bruno Latour :

On avance, c’est intéressant de voir que l’initiative Riposte creative territoriale s’inspire explicitement de Bruno Latour, et ne manquez pas non plus l’enquête lancée par la 27eRégion, Vraiment Vraiment et Parti Prenante concernant la transformation publique en temps de crise !

Dans le livre Où atterrir ? Bruno Latour explique qu’en ces temps troublés, il faut dépasser le débat entre les tenants de la mondialisation-plus, les hors sols qui “sont à l’abri partout où leurs miles leur permettent de voler” et les tenants de la mondialisation-moins, assimilés à “ceux qui sont nés quelques part” comme le chante Georges Brassens.

C’est le déracinement qui est illégitime, pas l’appartenance. Appartenir à un sol, vouloir y rester, maintenir le soin d’une terre, s’y attacher, n’est devenu « réac », nous l’avons vu, que par contraste avec la fuite en avant imposée par la modernisation. Si l’on cesse de fuir, à quoi ressemble le désir d’attachement ? (source) Qualifier et décrire ce qui nous lie, retrouver nos attachements. D’où l’importance capitale d’utiliser ce temps de confinement imposé pour décrire, d’abord chacun pour soi, puis en groupe, ce à quoi nous sommes attachés ; ce dont nous sommes prêts à nous libérer ; les chaînes que nous sommes prêts à reconstituer et celles que, par notre comportement, nous sommes décidés à interrompre (source)

 

Pour une subsidiarité distribuée

 

Point de vigilance antifragile : articuler communs issus de la crise et action publique signifie qu’il nous faut penser les territoires non plus comme des terrains à administrer ou à gérer, mais comme des organismes vivants à accompagner. Dans la nature, les redondances permettent de réagir à des situations de crise. Nous avons deux reins, mais on peut vivre sans l’un des deux en cas de maladie. Le second rein n’est pas inutile, il est redondant. D’un point de vue d’optimisation des ressources, il est inutile, mais du point de vue de la fiabilité de l’ensemble du système-corps il est indispensable. Nous savons déjà financer et maintenir des redondances pour l’alimentation en eau potable des populations.

Il serait fragile que les acteurs publiques tentent de centraliser et d’optimiser des actions distribuées par nature redondantes. Peut-être est-il temps de rediscuter l’aversion au saupoudrage tant il est vrai que, par nature, les réactions d’un territoire antifragile ne seront jamais parfaitement coordonnées. Elle ne correspondront jamais à un schéma unique, elle ne rentreront jamais dans un modèle unique. Pire, il est des moments où l’acteur public, au lieu de s’augmenter de cette volatilité des réponses vient se substituer à la force d’auto-organisation des territoires pour replanifier après coup… ce type de réaction est destructeur de l’innovation sociale, en langage communs il s’agit d’enclosure. De ce point de vue la normalisation peut stériliser l’action en la complexifiant tellement qu’elle devient inaccessible en dehors d’une logique industrielle jugée a priori plus efficace.

Et s’il fallait passer d’une logique de planification à une logique de subsidiarité distribuée, entendue comme la capacité d’un acteur public à identifier et s’articuler aux redondances permettant une réponse antifragile à un choc majeur ?

Un réseau distribué n’est pas centralisé (tel que les anciens réseaux téléphoniques), ou même décentralisé (comme le système des aéroports, organisé autour de hubs obligatoires). Un réseau distribué peut avoir des nœuds plus importants que les autres, mais ceux-la ne peuvent être obligatoires et n’ont pas d’autorité sur les participants. Autrement dit, un réseau distribué est un ensemble de redondances qui renforce l’habitabilité du monde.

Partout en Europe et dans le monde, les communs se déploient en réseaux distribués, parfois sans même le savoir ! Il reste beaucoup à faire pour mieux qualifier et positionner des partenariats publics-communs. J’ai entamé à ce sujet une série de billet qui examine les transformations de l’action publique à partir des communs, j’y reviendrai ! (si le sujet vous intéresse ne manquez pas le numéro d’Horizons Publics à ce sujet). J’ai une conviction : plus nous arriverons à qualifier les modalités précises des partenariats publics-communs et plus nous parviendrons à débattre sereinement au sujet du désengagement des pouvoirs publics, toujours sous-jacent.

 

Rééquilibrer prospective et prédiction

 

Passée l’urgence, devenir antifragile suppose aussi d’en finir avec une vision techniciste en mode SimCity où il suffit créer des interfaces avec des datas organisées par des algorithmes et de bouger un curseur pour agir sur la ville… Faut-il pour autant abandonner tout modèle prédictif et toute volonté d’anticipation ? Certainement pas ! Il nous faut comprendre, comme nous y invite Clément Jeanneau dans l’excellent blog Signaux Faibles, à ne plus confondre prospective et prédiction et surtout à les rééquilibrer. Les prédictions – souvent fausses – consistent à modéliser le réel pour en déduire un futur probable dans un modèle de continuité qui s’accompagne trop souvent d’un appareillage technologique onéreux et d’une volonté totalisante de captation des signaux. La prospective, elle, est l’activité de réinterroger nos cadres pour agir dans une situation de rupture et en tirer des enseignements. Les deux exercices sont parfaitement complémentaires, mais combien de collectivités aujourd’hui ont des moyens totalement déséquilibrés en faveur de la prévision en mode Big data ?

Subsidiarité distribuée et prospective me semblent deux ingrédients majeurs devant être étroitement articulés pour devenir antifragiles dans l’action publique. Proposition formulée par des designers déjà cités plus haut :

Les designers, de prime abord, se méfient des stratégies territoriales et des grandes démarches prospectives participatives. Si nous sommes les premiers à encourager les acteurs publics à créer des visions d’avenir, nous les exhortons tout autant à s’éviter les grandes invocations abstraites (« un territoire solidaire et compétitif », « une ambition volontariste », « un territoire fort de ses valeurs », etc.). Nous préférons parler de situations concrètes, d’organisation de la vie : nous nous plaisons à créer des visions prospectives incarnées et partagées.

 

Déconfiner l’action publique : injecter de l’inattendu

Peut-être arriverons-nous à mieux qualifier à l’issue de ces démarches ce qu’il faut transformer dans l’action publique ? S’il fallait résumer les changements à l’oeuvre, je proposerai ce schéma tiré d’un support de formation de François Cazals, consultant, enseignant à HEC, et lieutenant-colonel de gendarmerie !

Déconfiner l’action publique résonne tout particulièrement dans cette période étrange que nous traversons. Et pour que cette injection d’antifragilité ne soit pas une injonction de plus, l’angle antifragile nous invite aussi à laisser entrer l’inattendu dans l’action publique. Concrètement ? Suite au prochain épisode dans quelques jours !

Symbioses citoyennes

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Via un article de admin, publié le 9 mai 2020

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