Pourquoi écrivons-nous ?

Quand je pose la question « Pour quelle raison écrivez-vous ? » autour de moi ou sur les réseaux sociaux, les mêmes réponses (oui, toujours les mêmes) reviennent en premier :

  • « parce que j’y prends plaisir » ;
  • « parce que ça me vide la tête, me fait oublier mes soucis, le monde extérieur, etc » ;
  • « parce que je ne sais faire que ça » ou « je n’ai pas le choix » ;
  • « je déprime quand je n’écris pas » ;
  • « j’écris pour partager mon expérience » ;
  • et la meilleure : « pourquoi devrait-on avoir une bonne raison d’écrire ? »

Je trouve tous ces témoignages formidables, et je souscris personnellement à la plupart d’entre eux : je prends du plaisir à écrire, ça me vide la tête, je n’aime pas ne pas écrire (quand j’ai l’impression de ne pas avoir le temps, l’énergie ou l’envie), et d’une certaine manière, j’écris pour partager une expérience aussi (la mienne).

Pourtant, je pense que toutes ces raisons ne sont pas les raisons réelles qui nous poussent à écrire – oui oui, remarquez comme je m’inclue dans le lot. Si je me mettais à parler en tant que scénariste ou dramaturge (ça tombe bien, puisque je le suis aussi), je dirais : « Les motivations de ce personnage sont un peu trop légères à mon goût ». En somme, les raisons qu’a ce personnage d’agir me semblent par trop superficielles pour constituer le véritable moteur de son action.

Imaginons qu’un de mes personnages soit passionné par les grosses voitures, avec de gros moteurs qui font du bruit. Si je demande à mon personnage : « Pourquoi collectionnes-tu les grosses voitures ? », il me répondra sûrement : « Parce que j’aime ça, ça me vide la tête quand je suis au volant et je déprime quand je ne conduis pas. » Mais avouez que ce n’est pas un bois dont on fait les histoires : pas beaucoup d’ouvertures narratives, pas beaucoup de possibilités de conflits. Ce qui m’intéresse en tant que narrateur, c’est : « Pour quelle raison se sent-il bien au volant d’une grosse voiture ? ». Peut-être a-t-il vécu un traumatisme lié aux voitures dans son enfance, et que cette passion est un moyen de la contrôler ? Peut-être est-ce un moyen d’éviter sa famille, car ce loisir lui permet de souvent quitter la maison ? Dans ce cas, pourquoi évite-t-il sa famille ? Quelle est la raison ?

En matière des narration, nos personnages sont toujours mis en mouvement par deux moteurs… et ces deux moteurs vont parfois dans des directions différentes :

  1. ce dont ils ont envie (conduire, écrire, prendre du plaisir, etc)
  2. ce dont ils ont en réalité besoin (une meilleure relation avec leur famille, par exemple)

Et nous oublions souvent en route les besoins de nos personnages, au profit de ses envies (ou des buts que lui impose l’histoire). Pourtant, c’est là le plus intéressant à raconter ! Et bien souvent, quand on a l’impression de lire (ou d’écrire) une histoire sans saveur, c’est parce qu’on a oublié les besoins de son personnage en route.

Alors je pose la question : nous qui écrivons, de quoi avons-nous besoin ?

Quand on me dit : « écrire me fait oublier mes soucis ou le monde extérieur », je pense aussitôt : « cette personne a besoin de s’oublier, de se dissoudre dans quelque chose, parce le monde lui est par certains aspects insupportable ». Si je devais raconter son histoire, j’irais creuser les soucis de mon personnage – « qu’est-ce qui fait que le monde lui est insupportable, et surtout, le plus important, comment peut il/elle s’en sortir ? Quels sont les leviers d’action à sa disposition ? »

Je vais être honnête avec vous – notamment parce que je sais que l’honnêteté est le plus sûr moyen pour que des lecteurs s’identifient à vos personnages, et que ça fait une leçon pas chère au passage. Pourquoi ? Parce qu’il n’y que quand les gens sont honnêtes que nous nous rendons compte qu’ils sont pareils que nous.

Pour ma part,

1/ J’écris pour ne pas mourir.

Non, je sais que je vais mourir, ne vous inquiétez pas, je suis au courant. Mais je ne suis pas croyant, pas transhumaniste non plus, et ça semble bête dit comme ça, mais l’écriture est un peu la seule manière pour moi (si je ne compte pas mes enfants, qui sont en quelque sorte une continuation de moi-même) d’accéder à un au-delà. Mes histoires sont en quelque sorte les copies de sauvegarde que je fais de moi-même. Mieux, je me fais un malin plaisir d’insérer dans mes textes de vrais souvenirs personnels. Je les place comme dans un coffre-fort à l’intérieur de mes histoires, où ils pourront vivre pour toujours. Je les sauve de l’oubli. Pourquoi je fais cela ? Parce que comme à peu près tous les humains, j’ai peur de mourir. Et c’est normal : c’est une peur que nous connaissons tous et toutes depuis la nuit des temps. Elle est constitutive de l’identité humaine, aussi nous pouvons nous y retrouver très facilement.

2/ J’écris pour me sentir important.

Ce n’est pas joli dit comme ça, on sait bien que la bienséance exige de chacun une certaine modestie, mais oui, j’aime qu’on me lise, j’aime qu’on me dise que j’écris de belles histoires, j’aime quand des lecteurs me disent des années plus tard qu’ils sont hantés par certains de mes textes, et qu’ils m’en parlent comme s’ils les avaient lus la veille. C’est un plaisir ineffable, et oui, j’ai l’impression d’avoir une influence sur la vie de ces personnes – dans le bon sens du terme. Ce besoin social est bien connu des psychologues, et même les philosophes grecs en parlent depuis l’Antiquité. Il nous permet parfois d’obtenir des avantages, qu’ils soient sociaux ou matériels. Nous avons besoin de trouver notre place dans le groupe, dans le cosmos, dans le logos – ce « monde harmonieux » des Grecs, justement, qui ne prend sens que quand nous y trouvons notre utilité. Oui, on aime se sentir à sa place. Et puis on aime être complimentés. Tout ça est normal, c’est humain de vouloir se sentir important. Et ce n’est pas en soi une mauvaise chose.

3/ J’écris pour changer le monde.

Cette motivation découle directement de la deuxième : la logique voudrait que plus on est important, plus nos mots vont avoir une incidence sur la vie des gens qui les lisent et par extension sur le cours des choses. Quand j’ai écrit ma novella Kappa16, l’histoire d’un robot humanoïde programmé pour prendre soin des enfants autistes, j’ai passé des semaines à lire tout ce que je trouvais sur le sujet. Dans l’écriture, j’ai donc essayé d’être le plus précis possible, mais aussi le plus prospectif possible, parce qu’à défaut de savoir programmer des robots, j’avais envie que les gens qui en sont capables trouvent dans le roman des sources d’inspiration pour le travail (combien d’ingénieurs le sont devenus parce qu’adolescents ils ont lu Asimov ?). C’était un peu ma motivation. À sa parution, j’ai aussitôt envoyé l’ouvrage à l’un des spécialistes de la robotique française dont j’avais dévoré les livres lors de la phase de documentation, sans grand espoir de réponse. Mais quelques jours plus tard, il m’a renvoyé un gentil message en me disant qu’il avait lu le livre d’une traite alors qu’il était en déplacement pour une conférence et qu’il y avait pris beaucoup de plaisir. Bingo ! J’étais tellement fier ce jour-là. Et j’espère qu’un jour, qui sait, je reconnaîtrai dans l’une de ses innovations quelque chose qui se rapproche de ce que j’ai imaginé dans ce roman.

On veut tous et toutes poser notre empreinte sur le monde. C’est normal. Il n’y a pas à en avoir honte. J’ai longtemps manqué de confiance en moi, et c’est une manière d’exister – de trouver sa place – aussi valable qu’une autre.

Quant aux raisons personnelles qui nous poussent à vouloir ne pas mourir, à être importants, à changer le monde, celles-ci nous appartiennent : ça tombe bien, elles sont justement ce dont nous avons besoin pour créer de formidables personnages.

Photo par Emily Morter via Unsplash

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Via un article de Neil Jomunsi, publié le 12 mars 2020

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