Un article d’Annie Blandin (avril 2006) publié par l’observatoire des usages Marsouin dont voici l’introduction et la problématique
"Mon téléphone portable, je l’aime bien". Si tous les utilisateurs n’expriment pas un tel enthousiasme, nombreux sont ceux qui aiment en parler ou qui en parlent, tout simplement. En tout état de cause, leur parole est précieuse. Car l’usage qu’ils en font alimente largement les travaux de recherche dans différentes disciplines. Dans les deux disciplines auxquelles nous nous référons à titre principal, la sociologie et le droit, il existe un certain nombre de travaux approfondis, notamment dans le domaine de la sociologie des usages. Sur un plan quantitatif, peut-être pourra-t-on dire que le sujet a suscité moins de travaux spécifiques en droit, même si la confrontation des TIC et du droit du travail est une question largement explorée.
Objet et champ de l’étude.
Les études sociologiques se sont intéressées à tous les aspects de l’usage du téléphone portable en accordant souvent une place importante aux usages dans la sphère privée et notamment dans la vie amoureuse. Les analyses juridiques sont plus centrées sur les usages au travail et sur le problème de leur articulation avec les usages personnels. Elles traitent en particulier cette question sous l’angle de la protection des données personnelles et de la vie privée.
L’objectif de ce projet est l’étude des usages du téléphone portable dans le contexte professionnel par les cadres. Le téléphone considéré est le téléphone professionnel défini comme celui mis à la disposition par l’employeur ou payé par lui. Bien que le téléphone ne soit pas attribué au cadre pour qu’il passe ses journées à jouer dessus comme sur une game boy, ce statut professionnel n’exclut nullement les usages personnels. Et d’ailleurs l’objet n’a pas seulement été envisagé dans sa seule dimension utilitaire, bien au contraire.
La spécificité de cette étude réside aussi dans le fait qu’ elle s’intéresse à une population en particulier, celle des cadres. On peut donc s’attendre à voir se dessiner une certaine spécificité des usages, en lien par exemple avec le statut des cadres, leur niveau d’implication au travail, la représentation qu’ils se font de leur place dans l’entreprise.
Problématique
Comme on parle beaucoup du téléphone portable, le risque est de voir se développer un discours « prêt à porter » qui peut s’avérer être faux ou du moins simplificateur. Nos hypothèses de départ pouvaient-elles s’en affranchir ? Toujours est-il que nous avons adhéré a priori à l’idée au demeurant très médiatisée qu’il y a modification, du fait de l’utilisation du téléphone portable, des frontières entre les sphères professionnelles, privées et intimes, dans le sens du décloisonnement. En conjuguant cette hypothèse avec celle de la modification des notions de temps et de lieu de travail et de la remise en cause du lien de subordination, notre but était de déterminer comment s’articule la nouvelle dialectique de l’autonomie et du contrôle.
À cette problématique fondamentale, présente à tous les stades de l’étude, s’ajoute la problématique de l’intégration du portable dans le poste et les processus de travail qui s’est imposée dès les premiers entretiens. Est-ce qu’il les perturbe, en quoi modifie-t-il les méthodes de travail ? Comment valoriser ce gisement potentiel de productivité ?
Du point de vue juridique, à l’objectif d’identification des problèmes/recherche des solutions lié à l’hypothèse initiale d’une demande de droit, s’est ajoutée une problématique de positionnement de la question juridique dans un contexte où il s’est vite avéré, à l’issue des premiers entretiens, que les acteurs faisaient a priori confiance à l’autorégulation. Le risque d’une perturbation de certains équilibres par le droit n’était donc pas à exclure dans ce contexte.