Quel cadre juridique pour la Science Ouverte ? Un aperçu des évolutions récentes.

Le mois dernier, j’ai été invité à Angers dans le cadre de l’Open Access Week pour une intervention à propos du cadre juridique de la Science Ouverte. Le terme est revenu en force depuis la publication en juillet dernier du Plan National pour la Science Ouverte, contenant des mesures importantes qui prolongent et renforcent les premiers jalons posés en 2016 par la loi République numérique.

Voici-ci dessous la captation de l’intervention (les diapositives sont récupérables ici).

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En 2016, après l’entrée en vigueur de la loi République, j’avais déjà produit plusieurs synthèses à propos des répercussions du texte 1) sur l’Open Access, 2) sur le Text and Data Mining et 3) sur le statut des données de recherche.

Par rapport à cette date, on note plusieurs évolutions intéressantes.

Tout d’abord, nous avons obtenu plusieurs clarifications par rapport aux points qui restaient encore flous dans la loi et rendaient incertaine son interprétation :

Un Guide d’application de la loi a été publié en mai par BSN et endossé par le Ministère de l’Enseignement supérieur. Il donne des directives claires sur des points encore discutés à propos de l’article 30 instaurant un droit d’exploitation secondaire ouvert aux auteurs d’écrits scientifiques pour faciliter le dépôt en Open Access. Ces clarifications portent notamment sur la rétroactivité du texte et l’opposabilité aux éditeurs étrangers.

Un autre guide a été publié en avril par la BSN avec le soutien du Ministère à propos de la réutilisation des données de recherche et leur articulation avec le principe d’ouverture par défaut mis en place par la Loi République Numérique. Ce texte confirme bien que les données de recherche sont incluse dans l’obligation d’Open Data pesant désormais sur toutes les administrations. Ce n’est qu’à titre exceptionnel, lorsque des exceptions sont applicables (protection de données personnelles, droits e propriété intellectuelle de tiers, secret commercial ou administratif) qu’on peut garder des données de recherche confidentielles et s’opposer à leur libre réutilisation.

Par ailleurs, le Plan National pour la Science Ouverte a impulsé un nouvelle dynamique, qui ne modifie pas ce cadre juridique issu de la Loi République numérique, mais va tout de même sensiblement changer la manière dont il est appliqué :

  • Le Plan affirme en effet sa volonté de conditionner l’octroi de crédits publics dans le cadre d’appels de recherche à l’obligation d’en diffuser en Open Access les résultats. Il va même sur ce point plus loin que la loi République puisque l’obligation englobe aussi bien les articles de revue que les contributions à des ouvrages ou les livres eux-mêmes. On passe donc d’une simple faculté ouverte aux chercheurs à une obligation ferme.
  • Le Plan indique également que l’octroi de crédits publics à des projets entraînera aussi une obligation d’ouvrir les données de recherche qui en sont issues, lorsque c’est possible (c’est-à-dire en l’absence d’exceptions bloquant l’application du principe d’Open Data par défaut). Contrairement aux écrits scientifiques, cette obligation était déjà prévue dans la Loi République numérique, mais elle est à présent « sanctionnée » puisqu’elle conditionne l’octroi des subventions publiques.

On notera que ces orientations ont été immédiatement suivies d’effets concrets :

  • L’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a immédiatement répercuté ces principes dans son plan d’action 2019 qui mentionne explicitement que les projets retenus devront diffuser les écrits en Open Access et les données en Open Data. Pour appuyer ce dernier point, l’ANR exigera la réalisation d’un Plan de gestion des données (Data Management Plan), à l’image de ce qui est déjà en place au niveau de la Commission Européenne pour le programme H2020.
  • L’ANR est aussi devenue signataire du Plan S adopté par la coalition de 13 agences européennes de financement de la recherche, qui s’engagent mutuellement à respecter ces principes, en leur apportant des précisions supplémentaires : publication des écrits sous licence libre (CC-BY), indication que la publication dans des revues « hybrides » n’est pas une manière de satisfaire valablement à l’obligation de diffusion en Open Access, etc.

Au final, l’année 2018 aura été celle d’un véritable saut qualitatif, car le sens de la loi République Numérique est devenu plus clair et son effectivité est désormais mieux assurée, grâce à des obligations sanctionnées financièrement. Comme je l’ai dit lors de mon intervention à Angers, la Science Ouverte sort de l’ère des « bonnes volontés » pour entrer dans celle d’une politique publique d’intérêt général assumée.

Je termine en signalant une autre ressource utile pour appréhender la cadre juridique de la réutilisation des données de recherche. Un Guide de bonnes pratiques juridiques et éthiques relatif à la diffusion des données de recherche en SHS a été publié par les Presses Universitaires de Provence. Il s’agit d’un projet de longue haleine initiée depuis 2011, mais qui a pu être mené à bien grâce à la dévotion de ses coordinatrices (Véronique Ginouvès et Isabelle Gras, merci à elles !).

J’ai eu la chance de faire partie du Comité scientifique de l’ouvrage qui présente la particularité de ne pas comporter uniquement des analyses, mais d’illustrer la question de la diffusion des données de recherche par des retours d’expérience concrets. Ces apports montrent que la dimension éthique joue aussi un rôle important à prendre en compte, notamment dans le champ des SHS, où c’est avant tout sur l’humain que les chercheurs travaillent.

J’ai produit une contribution dans ce livre intitulée « La réutilisation des données de la recherche après la loi pour une République numérique », qui m’a permis de faire un tour aussi complet que possible sur la question. Le texte est disponible en Libre Accès sur HAL.

Car ce projet a aussi eu l’élégance de mettre la forme en cohérence avec le fond et les auteurs ont été autorisés à diffuser immédiatement leurs textes en Libre Accès et sous licence CC-BY. L’ouvrage complet sera par ailleurs diffusé en Open Access sur la plateforme OpenEdition Books au début de l’année 2019.

En plus du livre, le projet a donné lieu à la publication d’un blog sur lequel la juriste Anne-Laure Stérin a produit plusieurs dizaines de billets traitant sous un angle pratique un point précis relatif à la recherche en SHS. C’est une véritable mine d’or que je vous recommande vivement de consulter !

Via un article de calimaq, publié le 23 novembre 2018

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