Notes de lecture : Vers les sociétés du savoir : rapport mondial de l’Unesco

Dans l’optique du sommet mondial sur la société de l’information, qui s’est tenu à Tunis du 16 au 18 novembre 2005, l’Unesco a rédigé et publié un imposant rapport intitulé "Vers les sociétés du savoir".

Une information reprise de la Lettre d’Information Algora sur la formation ouverte et à distance avec
les archives des lettres en ligne

Cela a beau être extrêmement intéressant, quand un rapport "pèse" 232 pages, il arrive à plus d’un d’entre-nous de reculer. Par chance, Frédéric Haeuw a, lui, décidé de s’y coller et, surtout, de nous faire partager son enthousiasme : "l’intérêt n’est pas tant que les idées qui sont développées soient radicalement différentes de ce que l’on peut lire ou entendre ça et là, mais plutôt le fait qu’elles y soient rassemblées avec cohérence et limpidité, dans un contexte de mondialisation qui leur fait gagner en profondeur et perspective."

Le résultat ? 2 pages pour évoquer les quatre premiers chapitres, les plus en lien avec les problématiques habituelles d’Algora, soit :

  • 1- De la société de l’information aux sociétés du savoir
  • 2- Sociétés en réseaux, savoirs et nouvelles technologies
  • 3- Les sociétés apprenantes
  • 4- Vers l’éducation pour tous tout au long de la vie

Je voulais partager avec vous l’enthousiasme ressenti à la lecture de ce rapport. L’intérêt n’est pas tant que les idées qui sont développées soient radicalement différentes de ce que l’on peut lire ou entendre ça et là, mais plutôt le fait qu’elles y soient rassemblées avec cohérence et limpidité, dans un contexte de mondialisation qui leur fait gagner en profondeur et en perspective.

"Comme un poisson..."

Le titre lui-même est éloquent : on y parle de sociétés au pluriel, ce qui engage à la reconnaissance de la diversité culturelle, et de savoir au singulier, ce qui situe le débat ni sur les réseaux ni sur l’information, mais sur ce « capital culturel » tant individuel que collectif, qu’est le savoir. Faut-il le rappeler, l’information, « forme fixe et stabilisée des savoirs » n’est pas le savoir, produit d’une activité intellectuelle spécifique visant à objectiver les connaissances et à leur donner du sens, activité que Bachelard appelle la rupture épistémologique. Développer des sociétés du savoir ne peut donc se faire qu’en donnant à chacun « l’aisance à se mouvoir dans le flot d’informations qui nous submerge, ainsi que les capacités cognitives et l’esprit critique pour faire la part entre l’information « utile » et celle qui ne l’est pas » [1]. L’image amusante de la pompe à incendie -« Il est aussi facile de trouver de l’information sur Internet que de boire à une pompe à incendie »- est assez évocatrice de cette difficulté à donner du sens à une information nombreuse, éparse et hétérogène en terme de validité [2]. La distinction entre information et savoir permet par ailleurs d’établir clairement la ligne de partage entre domaine marchand et bien public : en tant que donnée brute, l’information peut être une marchandise, tandis que le savoir appartient de droit à tout esprit raisonnable !

Le rapport est découpé en dix chapitres qui peuvent se lire de manière indépendante. Je n’évoquerais ici que les quatre premiers, qui me semblent davantage en lien avec les problématiques habituelles d’Algora et de ses lecteurs. Les suivants, notamment celui traitant de l’accès à la participation, sont cependant tout aussi intéressants.

Le premier chapitre évoque les multiples visages de la fracture numérique. La liste impressionnante de critères, qui peuvent par ailleurs se cumuler (ressource économique, géographie, âge, origine sociologique ...) met à mal l’image de la société mondiale de l’information : on y apprend ainsi que seuls 11 % de la population mondiale a accès à l’Internet, dont 90 % dans les pays industrialisés (Amérique du nord 30 %, Europe 30 %, Asie-Pacifique 30 %), et que 82 % de la population mondiale ne représentent que 10 % des connexions. On est loin de la toile qui s’étend sur le monde ! Parmi les solutions proposées pour pallier à ces différentes fractures (numérique, cognitive ...), le refus du tout numérique et le soutien aux autres médias, audiovisuels par exemple, qui contribuent davantage que le Net à la diffusion des savoirs dans les pays en développement.

Le second chapitre est consacré à la question des réseaux et à celle des transformations cognitives liées à l’usage banalisé des technologies numériques. Le modèle émergent serait celui de la « cognition distribuée », sous-entendu entre nous et nos artéfacts électroniques. Ce modèle interroge la question de conservation du patrimoine numérique : comment en effet stocker de l’information numérique par essence volatile ? La durée de vie d’une page Internet étant de quarante jours environ, la collectivité ne risque-t-elle pas une sorte « d’Alzheimer numérique » ?

"Votre diplôme est arrivé à échéance"

La place du savoir est également évoquée dans le chapitre trois, consacré aux sociétés apprenantes, qui prédit une demande exponentielle de production de savoirs nouveaux, à l’échelle collective et individuelle : « Les emplois de demain, nous prédit-on, consisteront de plus en plus à produire, échanger et transformer les connaissances » [3]. Apprendre sera la valeur clé de la société du savoir, et « apprendre à apprendre » la mission essentielle des enseignants. Des lieux plus traditionnels, propices à la transformation des informations en savoir, tels que les bibliothèques, seront toutefois renforcées dans ce rôle de promotion du savoir et de l’apprentissage à tous les niveaux [4]. La vitesse d’élaboration de nouveaux savoirs et la culture de l’innovation pourraient même remettre en cause les diplômes qui pourraient comporter... une date de péremption, « afin de lutter contre l’inertie des compétences cognitives et de répondre à une demande continue de compétences nouvelles » [5].

Les cinq temps de la formation tout au long de la vie

La lecture de ce chapitre m’entraînât à une douce rêverie sur un sujet qui m’est cher : la transformation du rôle des enseignants. Le chapitre quatre intitulé « Vers l’éducation pour tous tout au long de la vie ? », vint à point nommé renforcer quelques-unes de mes convictions en la matière et notamment celle de la nécessité de transformer les institutions éducatives. A la fois trop fermée à des contenus et à des personnes qui devraient pourtant y avoir leur place (on pense notamment aux représentants du monde industriel et à la société civile), et trop perméable à toutes les formes de violences, l’école « est sans doute un lieu à réinventer : espace protégé, certes, et lieux de relations privilégiées, mais non espace clos et aseptisé » [6]. Aux savoirs de base tel que le lire-écrire-compter, s’ajoute naturellement l’apprendre à apprendre, garantie de la poursuite ultérieure des parcours éducatifs dans des milieux formels et informels, et tout particulièrement la compétence chercher et organiser l’information (information literacy). La formation tout au long de la vie doit nécessairement être au service de trois aspirations fondamentales : le développement personnel et culturel, le développement social et le développement professionnel. Elle peut s’aborder au travers de cinq temps : l’éducation préscolaire, l’éducation scolaire obligatoire, l’éducation post-scolaire non obligatoire, la formation continue et la formation personnelle au-delà de la vie professionnelle. Ces différents temps méritent tout autant d’attention de la part des décideurs et acteurs sociaux, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Enfin, elle doit reconnaître les différentes manières d’appréhender le savoir et la diversité des modalités et des lieux, et s’appuyer notamment sur l’autoformation et la reconnaissance des acquis de l’expérience.

Et la technologie, dans tout ça... ?

La question des technologies n’est naturellement pas absente de ce débat, et les auteurs relèvent le décalage entre le faible nombre de supports sur lesquels reposent massivement l’éducation classique et la diversité de l’offre médiatique en dehors de l’école. Cette dissymétrie tend selon eux à accentuer un retard des établissements scolaires sur le réel, à « aiguiser les contradictions entre le contenu de l’enseignement dispensé par les maîtres et la réalité que connaissent chaque jour les élèves par eux même, dont résultent un grand scepticisme et une démotivation ». Introduire les technologies dans les processus éducatifs devient donc une nécessité, mais doit conduire à une transformation pédagogique majeure : elles ne doivent pas en effet être utilisées pour transposer sur support numérique des activités traditionnelles, ce qui est très souvent le cas aujourd’hui [7], mais être au service d’une pédagogie plus active, basée sur la résolution de problèmes et l’expérimentation, rendues possible grâce à l’automatisation de certaines tâches et l’apparition de micro-mondes. Cela suppose bien évidemment un personnel formé à ces nouveaux outils, dont les compétences seront moins techniques que liées « à la capacité de choisir, parmi une offre de plus en plus abondante, les didacticiels, logiciels et programmes éducatifs pertinents » [8]. La formation à distance est également abordée dans ce chapitre, sous le terme de « E-ducation », et placée dans une perspective mondiale présentant à la fois les avantages (mises en ligne de cours par le Massachusetts Institute of Technology, par exemple), et les risques, tels que le manque d’équipement des pays en développement et l’accroissement de la fracture éducative qui en découle. La formation à distance étant présentée, assez, paradoxalement, comme une manière de supprimer la distance entre la personne et les lieux de stockage des informations et des savoirs, reste cependant en débat, selon les auteurs, la question de la socialisation nécessaire à tout apprentissage, dont découlent les notions de tutorat à distance et de communauté virtuelle. Cette interrogation, qu’ils résument par le rapport entre « distance » et « apprenance », est, de leur point de vue, encore loin d’être éclaircie.

Frédéric Haeuw

Posté le 1er février 2006

licence de l’article : Contacter l’auteur

Nouveau commentaire
  • Février 2006
    17:47

    Notes de lecture : Vers les sociétés du savoir : rapport mondial de l’Unesco

    par huguette redegeld

    tout simplement merci à l’auteur de l’article, Frédéric Haeuw, pour cet effort de synthèse à lecture agréable et utile ! ce serait tellement bien si les personnes qui ont généralement peu accès à ce genre de documents pouvaient être associés à ces réflexions.
    huguette redegeld
    atd quart monde