Numériser le social, socialiser le numérique – Entretien avec Jean-Philippe Courtois

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L’entrepreneuriat social souffre encore – à tort ou à raison – d’une réputation d’élitisme. Comment insuffler un peu de diversité dans cette démarche qui séduit de plus en plus les jeunes diplômés ? Entretien avec Jean-Philippe Courtois, co-fondateur de Live for Good et président de Microsoft International à la ville.

La révolution technologique a-t-elle suffisamment porté ses fruits dans le domaine du social ?

Jean-Philippe Courtois

Jean-Philippe Courtois

Jean-Philippe Courtois. Il me faut déjà faire une remarque préliminaire : pour un nombre alarmant de jeunes européens, il semble ne pas y avoir de futur (25% de taux de chômage en France, près de 50% en Espagne, et officiellement, 17% dans le monde). Or, trois grandes forces traversent aujourd’hui notre société. Les jeunes générations cherchent du sens dans leur travail : selon une récente étude LinkedIn, 26% déclarent vouloir travailler dans le secteur du social et de l’éducation, contre 8% dans la technologie ! Parallèlement, l’économie sociale et solidaire connaît une croissance sans précédent, et représente un véritable gisement d’emplois. Enfin, la révolution numérique se poursuit et n’épargne personne, et amène avec elle son lot d’opportunités et d’effets délétères potentiels. Il est nécessaire qu’un sens sous-tende l’usage de la technologie.

A cet égard, je trouve que la transformation numérique a encore trop peu touché le secteur de l’économie sociale et solidaire au sens large. Les raisons de cet état de fait sont multiples. Tout d’abord, c’est une question de génération : on trouve bien sûr des organisations sociales qui ont été créées il y a quelques années à peine – les Ticket for Change, MakeSense, OuiShare, etc. – par des jeunes qui ont toujours baigné dans la technologie et ont donc naturellement tendance à mettre cette dernière au coeur de leur fonctionnement. Mais de l’autre côté, on trouve également de très belles institutions, qui existent depuis 20 ou 30 ans et font une action de terrain remarquable. Le problème, c’est qu’en leur sein, on trouve trop peu de personnes qui maîtrisent les outils technologiques, ce qui fait que leur façon d’envisager les besoins de leur public cibles est parfois un peu datée. Dans ces organisations, on trouve d’ailleurs beaucoup de jeunes en service civique ou bénévoles qui ont envie de faire bouger les choses en interne… Exactement comme en entreprise ! Tout le monde essaie de rattraper le mouvement et de rester un employeur pertinent. Mais la route est longue.

En outre – et c’est là selon moi un problème absolument central – on croise trop peu de développeurs dans ces organisations à vocation sociale. Pourquoi ? Difficile à dire. On pourrait croire qu’après tout, pour ces profils très recherchés, un emploi stimulant et correctement rémunéré fait encore partie du champ des possibles, et qu’en conséquence, la question du sens ne se pose pas de façon aussi urgente. Et on aurait tort : quand on prend le temps de discuter avec ces jeunes., on se rend compte qu’ils ont exactement les mêmes aspirations que les autres. A nous, donc, de prendre les devants et de sensibiliser ce public particulier à l’entrepreneuriat social. De ce point de vue, notre partenariat avec Simplon aura valeur de test.

Comment remédier à cette situation ?

J.-P. C. Il faut déjà favoriser une plus grande mixité au sein des ONG. Je ne parle pas seulement de mixité sociale et générationnelle – bien que ces dernières soient évidemment essentielles – mais également de mixité en termes de compétences : il faut trouver le bon dosage entre « soft skills » et compétences techniques, les premières étant souvent surpondérées au détriment des secondes dans les organisations à vocation sociale.

Par ailleurs, je pense que dans le monde de l’économie sociale et solidaire, l’adoption massive d’outils numériques collaboratifs et des modes d’organisation correspondants constitue un puissant levier d’action, tout autant que pour les entreprises technologiques. L’écosystème d’une ONG est souvent très complexe (permanents, volontaires, partenaires, bénéficiaires, etc.), à tel point que cette dernière risque de s’épuiser à tenter de structurer cet écosystème. L’adoption d’une plateforme peut tout changer, d’autant que la plupart des éditeurs de solution logicielles ont créé des offres très avantageuses – voire gratuites – pour les associations et les organisations de l’économie sociale et solidaire.

Pourquoi l’économie sociale et solidaire peine-t-elle à attirer les jeunes issus de milieux défavorisés ?

J.-P. C. Ces jeunes ont trop souvent un usage des technologies mobiles très axé sur les réseaux sociaux et le loisir, mais ont été trop peu formés au numérique comme outil de travail. Pour y remédier, il faut être capable d’identifier et d’aller au devant de ces populations, ce qui constitue une tâche compliquée… C’est l’une des missions que se donne Live for Good, mais nous n’y arriverons évidemment pas seuls. C’est pourquoi nous travaillons avec un réseau d’ambassadeurs, des organisations très variées (Simplon, Passeport Avenir, Sport dans la Ville, Unis-Cité, MOUVES ou encore Planet Adam, etc.) qui sont déjà implantées dans le tissu social des banlieues et vont nous permettre de mieux faire connaître l’initiative Live for Good là où elle sera la plus utile. Dans beaucoup de milieux sociaux, l’entrepreneuriat social, quand bien même il serait connu, constitue une démarche malheureusement inaccessible.

D’où le prix Gabriel Live for Good que vous lancez ?

J.-P. C. Absolument. Ce prix est un laboratoire. Avec lui, nous allons déjà chercher à aider cinq jeunes à créer leur entreprise sociale. Concrètement, les lauréats bénéficieront de quatre accompagnements différents. Tout d’abord, ils recevront une bourse qui leur permettra de couvrir leurs principaux besoins : nous voulons vraiment qu’ils puissent se consacrer pendant un an à 100% à leur projet. Deuxièmement, ils seront accueillis au sein d’un incubateur social (la Social Factory), qui leur fournira entre autres un espace de travail, des formations et un suivi de projet, bref : tout une structure pour passer de l’idée au business plan, et du business plan à la création d’une structure juridique. En troisième lieu, nous mettons sur pied un pôle mentorat personnalisé, animé par nos partenaires entreprises (Microsoft, Adecco, Partech Ventures, Marcel, etc.) et organisations sociales , qui se concentreront en partie aux enjeux de développement personnel, essentiels pour ces jeunes qui ne maîtrisent pas toujours les codes et les compétences sociales requises. Enfin, nous voulons que leur entreprise soit opérationnelle sur le cloud au terme des 12 mois, afin qu’ils soient capables dès le début de gérer leur écosystème et leurs différentes parties prenantes. Il s’agit de les professionnaliser dès le début, et de mieux cerner également les besoins technologiques des startups sociales. Cette plateforme open source sera hébergée sur le cloud Azur. A terme, l’idée est par ailleurs d’ouvrir l’outil technologique ainsi que le mentorat à tous les candidats, et pas seulement aux cinq lauréats. Nous envisageons également dans un second temps d’internationaliser notre démarche, pour donner naissance à une communauté globale d’ “entrepreneurs for good”.

Comment peut-on déposer sa candidature ?

J.-P. C. C’est très simple : il suffit de répondre à un questionnaire de onze questions, qui vont nous permettre de jauger l’énergie entrepreneuriale et la fibre sociale des candidats. Nous recherchons des talents qui envisagent un début de solution à un problème social donné et qui ont donc dépassé le stade de la simple idée.

Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 8 juillet. A l’issue de cette première phase, nous sélectionnerons quelques dizaines de jeunes gens qui seront invités à Paris à la fin du même mois pour une journée de travail suivie d’une journée de pitchs. Les dix candidats les plus prometteurs seront ensuite invités pour la phase de sélection finale, qui se tiendra le 8 septembre, à Paris également, et permettra de désigner les cinq lauréats du prix Gabriel for Good.

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Via un article de Arthur de Grave, publié le 26 mai 2016

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