Journée du droit d’auteur : allons voir si la rose est éclose

Le 23 avril est la journée mondiale du livre, destinée selon l’UNESCO à « promouvoir la lecture, l’industrie éditoriale et la protection de la propriété intellectuelle à travers le droit d’auteur ». En France, en Belgique et en Suisse, 480 libraires indépendants sont invités à offrir un livre et une rose à leurs clients. Les auteurs, de leur côté, assisteront comme chaque année au spectacle d’une industrie vantant la solidité de sa « chaîne du livre », la pérennité de son modèle économique et la protection offerte à ses créateurs. Personne ne leur offrira de fleurs.

Pourtant, les autrices et les auteurs qui rendent possible l’existence même de cette industrie font aujourd’hui l’expérience d’une réalité bien éloignée de ces gargarismes d’autosatisfaction : diminution progressive des avances (quand elles ne disparaissent pas), cotisations sociales obligatoires en hausse, pourcentages sur les ventes ridiculement bas, course au nombre de publications et bestsellerisation générale transforment peu à peu ce métier de sacerdoce en véritable chemin de croix. Les créatrices et les créateurs se sentent lésés, considérés à tort comme le maillon oublié et précarisé d’une chaîne qui ne pourrait pas exister sans eux. Si certaines maisons d’édition continuent de soutenir les autrices et les auteurs et fournissent le travail que toute structure éditoriale devrait se faire un point d’honneur d’offrir à ses créateurs, il ne faut pas oublier que ces exceptions sont l’arbre qui cache la forêt : ils offrent à une industrie déjà gloutonne la possibilité de dévorer davantage. Les autrices et les auteurs sont peu à peu réduits à une simple matière première dont se nourrit la machine (voir à ce titre les études publiées à l’occasion du dernier Salon du Livre) Il est alors confortable de se réfugier derrière la « protection du droit d’auteur » pour se donner bonne conscience.

À en croire les industries culturelles, le droit d’auteur serait attaqué de toute part : loi Création, commission européenne, firmes américaines, tout conspirerait à la mort de cette institution qu’est le « droit d’auteur à la française ». Mais les autrices et les auteurs ne doivent pas occulter une autre réalité : le droit derrière lequel les industries qui les exploitent se réfugient pour les empêcher de prendre parti contre elles n’existe plus. Le « droit d’auteur » est devenu, au fil du temps, le seul « droit des éditeurs », contribuant à effacer tout à fait le « droit des auteurs », le seul que nous devrions prendre en considération dans les discussions qui nous occupent. Car en cédant, par la signature de contrats déséquilibrés et abusifs, l’intégralité de leurs droits d’exploitation, les autrices et les auteurs se privent de leur meilleure arme, et donc de leur levier de pression le plus efficace. Quand il s’agit de survivre, mieux vaut ne pas mordre la main qui vous nourrit, même si elle se fait de plus en plus avare. Personne ne jettera la pierre aux créatrices et aux créateurs, contraints par crainte (justifiée) de la précarité à accepter des conditions iniques sans possibilité de négociation ou seulement de discussion.

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Mais il est temps qu’ils et elles se lèvent. Il s’agit de sortir de la solitude inhérente aux métiers de la création, de faire bloc et d’envisager, en s’unissant, un avenir où ils et elles seront entendu·es et respecté·es. Les vrais agresseurs doivent être clairement désignés, et nous avons tous notre part de responsabilité. L’heure est venue, sans oublier les griefs du passé, d’aller de l’avant. Pas question ici de renier les difficultés rencontrées par les libraires et les éditeurs indépendants, mais il convient de dresser une liste de priorités.

Les solutions existent. Parfois difficiles à appliquer, nécessitant souvent un engagement moral et donc un risque financier, elles tracent pourtant un chemin dont nous devons tous nous emparer, quitte à défricher. Car pourquoi vouloir protéger à tout prix la pérennité d’un système qui ne fait qu’appauvrir et précariser celles et ceux qui la rendent possible ? Ne nous y trompons pas : c’est une véritable lutte des classes qui fait rage derrière chaque page tournée.

Aujourd’hui, internet et le numérique permettent aux autrices et aux auteurs, à travers la distribution dématérialisée et l’impression à la demande, de reprendre le contrôle des outils de production. L’opportunité doit être saisie par chacun et chacune, plutôt que de laisser des ogres comme le dispositif ReLire s’emparer des ouvrages indisponibles et d’en bâcler l’exploitation. De plus en plus de créatrices et de créateurs se déclarent indépendants. Ils ne le sont pas tant par le statut que par leurs actions, qui consistent à se placer en dehors d’une chaîne (à laquelle ils se sentent à juste titre enchaînés) pour assurer par leurs propres moyens l’exploitation de leurs livres. Loin de l’image (quelquefois véhiculée par les industries culturelles) d’auteurs et d’autrices refusé·e·s par les comités de lecture, ils et elles inventent au quotidien un nouveau mode d’expression, de diffusion et de distribution délivré des structures pyramidales et plus horizontal.

Il existe plusieurs raisons de vouloir demeurer dans le circuit traditionnel, même si elles perdent de leur intérêt d’année en année : diffusion, distribution, avances, sécurité sociale, etc. Il faudra donc innover de l’intérieur, et refuser en bloc des conditions déjà insupportables. Les contrats ne devraient plus être signés s’ils comportent des clauses abusives. La loi doit être du côté des plus faibles et contribuer à améliorer leur sort. Aujourd’hui, céder les droits d’une œuvre revient à concéder une exploitation commerciale exclusive jusqu’à la mort de l’auteur·trice, exploitation qui se prolonge ensuite pendant 70 ans après le décès (le droit des auteurs devient alors un droit des ayants-droit). À une époque où les créatrices et les créateurs sont en mesure de se réapproprier les outils de production, c’est trop : ils et elles devraient obtenir des durées d’exploitation plus courtes, quitte à pouvoir reprendre leurs droits à l’issue de cette « période d’essai » en cas de résultats non satisfaisants. Un contrat devrait être un accord d’intérêt mutuel.

Des coopératives devront voir le jour, où les métiers de la création s’entraideront et définiront de nouvelles règles, en faisant le meilleur usage possible des outils mis à leur disposition. Le crowdfunding en est un. Enfin, les métiers de la création se banalisant et le savoir-faire associé se disséminant de plus en plus grâce au web, permettant à de plus en plus d’entre nous d’écrire des livres, de dessiner, en un mot de créer, il faudra envisager des solutions innovantes pour financer ce nouvel horizon d’une création universelle et populaire : le revenu de base et la contribution créative sont à ce titre deux perspectives réjouissantes dont il convient d’encourager la mise en œuvre, car elles lancent la création contemporaine sur la piste des Communs (nous ne créons jamais ex nihilo, mais toujours en nous appuyant sur un héritage). De façon parallèle, créatrices et aux créateurs doivent reprendre la main sur l’exploitation et la distribution de leurs travaux : à ce titre, l’usage de licences d’utilisation alternatives est une opportunité à saisir, car ces dernières permettent de définir très précisément les conditions d’exploitation, d’utilisation et d’éventuelle réutilisation des œuvres tout en se garantissant des abus. L’exploitation commerciale ne doit plus être synonyme d’exploitation tout court : elle doit bénéficier en priorité aux premier·e·s intéressé·e·s. Reste à s’emparer de ces outils, à leur donner forme et à installer leurs usages sur la durée et non plus au simple titre de l’expérimentation.

Pour que le droit d’auteur redevienne un droit des auteurs (et non plus simplement un droit des éditeurs), nous devons faire bloc et inventer des solutions. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut, dès maintenant, tout faire pour les mettre en œuvre au plus vite. La voie est abrupte et le voyage risqué. Mais sans cet élan de courage que nous devons faire nôtre, il n’y aura pas de salut : juste une dilution des forces au profit des plus forts, prélude à l’effacement.

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Via un article de Neil Jomunsi, publié le 23 avril 2016

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