Mettons les Communs au coeur de la future loi sur le numérique !

Le Conseil National du Numérique a publié la semaine dernière le rapport « Ambition numérique », suite à la concertation lancée par le gouvernement sur le futur projet de loi numérique porté par Axelle Lemaire au Ministère de l’Economie.

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SavoirsCom1 salue les orientations de ce rapport, et notamment le rôle important accordé aux Communs dans ses analyses. Le texte s’appuie sur la conception d’un Internet compris comme un bien commun, partagée par le collectif SavoirsCom1 :

Internet est devenu une ressource essentielle au développement de nos sociétés, tant du point de vue économique que culturel ou social. À ce titre, il doit être considéré comme un bien commun, ou commun, qui ne peut être préempté par les intérêts de certains acteurs, publics ou privés, mais doit bénéficier à la communauté mondiale des utilisateurs. Un commun ou bien commun est une ressource dont les droits d’usage sont partagés : une ressource gérée par une communauté qui fixe des règles de gouvernance afin de protéger et faire fructifier cette ressource […] Les communs sont au cœur des conceptions qui ont présidées à la naissance d’Internet. Ils ont permis sa dynamique créative et l’émergence d’une économie du numérique. Depuis, les communs se sont affirmés comme un fait social. Il s’agit aujourd’hui de trouver les moyens de continuer à faire grandir ce commun au bénéfice de toute la société.

Une grande partie des propositions que SavoirsCom1 avait faites dans le cadre de la consultation se retrouvent dans les recommandations du rapport :

Nous retenons en particulier :

1) L’instauration d’un Open Data par défaut pour les données publiques, en allant plus loin que la nouvelle directive sur la réutilisation des informations publiques, par la consécration dans la loi d’une obligation pour les administrations de mise à disposition libre et gratuite des informations qu’elles produisent, assortie d’exceptions limitées. SavoirsCom1 remarque que le CNNum demande d’étendre ce principe aux données produites par les institutions culturelles, en préconisant qu’elles rejoignent « le régime général des données publiques ». Le CNNum se prononce en revanche en dévafeur de l’introduction de la notion de « données d’intérêt général » qui malgré son imprécision pourrait constituer un levier pour ouvrir des données produites par des acteurs privés.

2) La consécration positive du domaine public par la loi. Reprenant une idée déjà émise par le rapport Lesc ure en 2013, le CNNum préconise d’introduire une définition légale du domaine public, afin de mieux le protéger des atteintes juridiques ou techniques pouvant lui être portées (copyfraud). Il demande à ce que la numérisation des contenus du domaine public détenus par les institutions culturelles ne donne pas lieu à l’instauration de restrictions des droits d’usage.

3) L’introduction d’une obligation d’Open Access aux travaux de recherche financés par des fonds publics. Le CNNum recommande de s’appuyer en particulier sur la « Voie Verte », en permettant sans délai aux auteurs de productions scientifiques de déposer leur version dans des archives ouvertes. Pour les versions éditeur, le CNNum préconise qu’une courte période d’embargo soit admise, à l’issue de laquelle l’ensemble des productions scientifiques pourraient rejoindre soit des revues ouvertes (Voie Dorée), soit des dépôts institutionnels (Voie Verte). SavoirsCom1 relève que le CNNum encourage aussi l’ouverture des données de recherche, mais nous déplorons que le CNNum n’ait pas plus clairement énoncé une obligation de placer sous licence libre les productions scientifiques financées par des fonds publics.

4) L’encouragement du logiciel libre et à la production de ressources en commun par les administrations. Le rapport suggère de s’appuyer autant que faire se peut sur la commande publique pour s’en servir comme d’un levier pour que les financements publics contribuent à l’usage de logiciels libres dans les administrations et à la production de ressources ouvertes. Le rapport cite en particulier le cas des ressources pédagogiques, sans s’y limiter et il envisage même que les pouvoirs publics puissent soutenir des organisations à but non lucratif oeuvrant pour les communs . SavoirsCom1 salue ces orientations, même si elles manquent quelque peu de précision, notamment sur la portée de l’obligation à laquelle seraient soumises les administrations, au-delà d’un simple encouragement.

Concernant les aspects touchant plus directement au droit d’auteur (outre le domaine public), SavoirsCom1 se réjouit de voir que le CNNum recommande au gouvernement de consacrer la liberté de panorama, qui permettrait de photographier et de partager les prises de vue de bâtiment situés dans l’espace public. Le CNNUm propose également de « faire évoluer l’exception pédagogique pour une meilleure adaptation à l’environnement numérique », notamment pour les usages à distance (type MOOC). Mais les pistes d’évolution suggérées restent assez floues. Nous regrettons en revanche fortement qu’une exception en faveur des usages transformatifs (mashup, remix, etc.), que nous avions suggérée lors de la consultation, n’ait pas été retenue dans les préconisations finales.

Les orientations de ce rapport vont clairement dans le sens de la consécration d’un Etat « partenaire des Communs » (Bauwens) ou « garant des Communs » (Bollier), dont les politiques publiques intégreraient l’importance de la production de ressources partagées et ouvertes.

Il nous semble particulièrement important de rester vigilants, sachant que ce même gouvernement a défendu le projet de loi sur le renseignement que nous considérons comme gravement liberticide. Le contraste avec ce qu’il y a de positif dans ce rapport nous semble frappant interroge sur la ligne politique du parti au pouvoir concernant les questions numériques.

Vigilance donc, pour que ces recommandations soient reprises à présent par la loi sur le numérique (ou tout autre véhicule législatif adapté). Rappelons-nous en effet que le rapport Lescure (2013) contenait déjà des préconisations intéressantes, qui sont restées complètement lettre morte. Le gouvernement a déjà fait part de son intention de reprendre certains des points du rapport, mais ils ne recoupent pas complètement ceux en lien avec les Communs. Par ailleurs, des interférences entre ministères sont possibles, notamment avec le projet de loi sur la liberté de création qui a été annoncé pour la rentrée.

Le gouvernement annonce la publication d’une V.1 de la loi dans les semaines qui viennent, avec un appel à commentaires. Ce sera l’occasion de vérifier que les préconisations du CNNum ont été prises en compte et de proposer des améliorations. D’ici-là, tous les acteurs intéressés par la cause des Communs de la connaissance devraient se manifester le plus largement possible, afin d’inciter le gouvernement à reprendre les recommandations du CNNum dans la loi.

 

Via un article de SavoirsCom1, publié le 23 juin 2015

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