Pourquoi nous parlerons désormais de communs plutôt que de biens communs

Après un peu plus de deux ans d’existence, notre collectif a vu la thématique des biens communs se déployer dans le débat public et dans différents domaines (culture, éducation, semences, etc…). Nous nous en réjouissons et nous pensons plus que jamais que les thématiques du manifeste sont à défendre.

Sous l’influence de contributions majeures aux débats et de réflexions internes notre approche des communs a évolué et nous souhaitons apporter un changement de terminologie important au cœur du manifeste qui fonde notre action.

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Nous définissons, avec David Bollier, les biens communs avec trois éléments :
1) une ressource mise en partage, au sein 2) d’une communauté, qui se donne 3) des règles et une gouvernance pour la gérer.
Or l’expression « biens communs » met l’accent sur le premier terme (la ressource) au détriment des deux autres dimensions (la communauté et les règles), alors qu’elles sont, en définitive, plus importantes quand on parle de communs.

Passer de Biens communs à communs, c’est mettre l’En-Commun, au sens d’action collective, au même niveau que la ressource. Pour pouvoir parler de communs, il faut qu’une ressource soit instituée comme telle par un groupe et c’est ce processus d’institutionnalisation qui importe vraiment. Nous plaçons ainsi les communs dans une dynamique d’action collective et politique. Les communs ne sont pas seulement des biens matériels, ni même immatériels, qu’il faudrait gérer et dont l’essence serait fixe et immuable.

Passer de « biens communs » à communs, c’est aussi prendre du recul sur la pensée d’Elinor Ostrom, qui avait axé sa réflexion sur certains types de ressources « Les Common Pool Resources », correspondant seulement à certains types de biens ayant des caractéristiques données. Or, si l’on regarde attentivement, n’importe quelle ressource peut être mise en commun, dès lors qu’une communauté le décide. Il n’y a pas de ressource qui aurait intrinsèquement des caractères la prédisposant à être gérée en commun.
Enfin, dernier argument, c’est que la notion de « bien », immanquablement, appelle sous une forme ou une autre la propriété, alors que certains pensent que celle-ci doit être complètement mise de côté lorsqu’il est question de communs (c’est l’approche de Stallmann avec les logiciels libres, qui rejette catégoriquement la propriété intellectuelle ; c’est aussi quelque chose de très fort dans le mouvement des semences, qui refuse de considérer qu’il s’agit de « biens » marchandisables » et qui rejette déjà le terme de « bien commun »).
L’ouvrage récent qui va le plus loin dans cette logique est celui de Pierre Dardot et Christian Laval, qui appellent explicitement à ne plus employer le terme de biens communs pour passer aux communs. Nous notons aussi avec intérêt que le livre de Jeremy Rifkin La nouvelle société du coût marginal zéro. L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme qui aborde les communs propose la traduction « communaux collaboratifs » replaçant ainsi les communs dans leur filiation historique.

Pour toutes ces raisons nous avons décidé de désormais parler de communs plutôt que de biens communs. Nous sommes, cependant, parfaitement conscient que ce changement pourra sembler comsétique à certains et qu’il n’est pas de nature à clarifier la notion pour les non-initiés. Nous pensons simplement que ce vocabulaire est important pour défendre une action collective et politique émancipatrice qui ne soit pas qu’une bonne gestion de ressources.

Nous réaffirmons aussi notre défense pour les communs de la connaissance (plutôt que communs de l’information). Le terme « information » faisant allusion à la nature immatérielle du bien en question (par contraste avec les biens communs physiques) ; le terme « connaissance » insiste davantage sur l’élaboration intellectuelle(parfois collective) préludant à sa formation. Parler de connaissance plutôt que d’information s’inscrit donc dans la continuité logique du passage de biens communs à communs.

Via un article de SavoirsCom1, publié le 7 novembre 2014

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