Le développement passera-t-il par l’internet ou par le téléphone ?

reprise de l’édito de la lettre de la Fing

C’est à croire que l’internet n’a plus la cote dans les pays pauvres. Les espaces numériques publics et autres cybercafés subissent l’assaut de critiques toujours plus nombreuses. Comme dans d’autres pays, le mouvement pour l’accès collectif semble s’essoufler, faute de perspectives, de financement dans la durée, de modèle économique. Quant aux modes d’accès alternatifs à l’internet, ils sont restés, dans les PVD, des spécimens, que nul, ou presque, n’est vraiment parvenu à féconder et à généraliser.

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions / Enjeux, débats, prospective - Par Hubert Guillaud le 08/07/2005

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

Dans les zones rurales des pays en voie de développement, l’internet est distancé par le téléphone mobile. Les exemples de services et d’usages collectifs du téléphone en Afrique se multiplient : que ce soit celui des places de marchés (comme Manobi ou DrumNet), de la géosurveillance (des animaux ou de l’environnement), ou de la télémédecine... Sans compter le succès de Thuraya, le téléphone satellitaire africain. Autant d’exemples qui semblent souligner, à court terme, l’impact et les avantages de la téléphonie mobile ou satellitaire, qui parvient plus facilement jusqu’à l’usager (oralité) et qui a surtout l’avant ! age d’être bien souvent déjà disponible. Les rapports commencent à s’accumuler. Comme le suggérait il y a quelques mois The Economist, c’est à croire que le téléphone mobile sera le nouvel Eldorado du développement.

Pourtant, n’avions-nous pas entendu les mêmes discours à propos de l’internet il y a quelques années ? Savons-nous au fond regarder la manière dont les régions les plus pauvres du monde s’approprient les TIC et les objectifs qu’ils poursuivent ? Ne serions-nous pas, encore une fois, en train de projeter nos visions et nos pratiques des technologies ?

Car tout indique que les logiques diffèrent. Dans nos contrées dites "développées", la lutte contre la "fracture numérique" vise avant tout l’égalité de traitement des citoyens. Les outils de communication, les services en ligne, l’infrastructure technique, doivent bénéficier au plus grand nombre, à demeure, afin que chacun accède au statut "d’usager". Ailleurs, l’objectif n’est pas de permettre l’accès à chacun ni d’assurer une quelconque égalité, mais plutôt de connecter des communautés organisées, de mettre à leur disposition un outil parmi d’autres.

Là où en Occident, l’usage communautaire semble être un aboutissement du statut d’usager, un droit ultime - qui donne même lieu à une "nouvelle économie du partage" comme le pense l’économiste Yochai Benkler -, dans les pays émergents, l’usage communautaire est premier. Il est lié aux vicissitudes et aux difficultés de la vie. La connexion n’est pas le moyen de parvenir à l’échange, au partage, à une communauté, un réseau humain, mais plutôt, le seul moyen d’accèder à une économie globalisée. On comprend alors qu’on pare au plus pressé et que le téléphone mobile ou satellitaire, déjà disponible, devienne l’objet par lequel tout le développement doive s’envisager.

Pourtant à regarder les enfants passer leur tête dans le trou du mur qui sépare ceux qui ont l’internet de ceux qui ne l’ont pas, il n’y a pas à douter un instant de ce que l’internet peut apporter même aux plus pauvres. Qu’on ne s’y trompe pas, l’information n’est pas un luxe qui vient après que les besoins primordiaux aient été satisfaits : c’est notamment par elle que passe l’évolution économique et sociale.

Hubert Guillaud

Posté le 14 août 2005

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