Proposition de directive relative aux mesures pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle

La commission européenne vient de publier un nouveau projet de directive visant à appliquer les accords ADPIC de 1994 en complétant la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004.

Reprise d’un article publié sur le blog juridique de Jean Baptiste Soufron
site sous Contrat creative Commons

Le texte est la présentation du projet sont disponibles en français ici

Parlant de "mesures pénales" et de "respect des droits", le titre du projet donne un peu le ton de l’ensemble et laisse déjà penser qu’il ne sera pas suffisamment fin pour faire la différence entre la contrefaçon industrielle à grande échelle qui justifie les mesures pénales déjà existantes, et les usages personnels du public qui sont généralement garantis par des droits ou des exceptions mais qui ne donnent pas lieu à rémunération pour les ayants-droit.

L’introduction du projet confirme ce sentiment en faisant rapidement l’amalgame entre le trafic de drogue, la criminalité organisée qui importe et fabrique des contrefaçons à grande échelle, les contrefaçons frauduleuses qui mettent en danger la santé des consommateurs, et "le développement de l’usage de l’Internet qui permet une distribution instantanée et globale de produits piratés", c’est-à-dire le P2P et les échanges personnels.

Justement, le champ d’application de la directive est défini à son article 3 qui indique que "les Etats membres veillent à qualifier d’infraction pénale toute atteinte intentionnelle à un droit de propriété intellectuelle commise à une échelle commerciale, ainsi que la tentative d’une telle atteinte, la complicité et l’incitation à une telle atteinte". On voit donc déjà que les activités visées sont particulièrement larges puisqu’il s’agit de sanctionner l’infraction, sa tentative et son incitation. Mais le champ d’application des mesures pénales proposées est encore élargi par le flou de la définition de l’infraction qui renvoie aux atteintes intentionnelles commises à une échelle commerciale. D’abord, il est assez peu élégant de rappeler qu’il s’agit de punir des atteintes intentionnelles puisqu’il serait de toute façon probablement impossible de vouloir pénaliser des atteintes non-intentionnelles à la propriété d’autrui. Mais s’il s’agit peut-être là d’essayer d’adopter une rédaction claire pour insister sur cette idée, on peut se poser la question de savoir pourquoi la proposition fait référence à une "échelle commerciale" inconnue du droit français et européen en matière de propriété intellectuelle. À moins d’y voir une référence aux méthodes utilisées en matière de concurrence pour définir les marchés pertinents, on ne peut hélas se faire de religion sur la signification de ce terme : le droit français éprouve déjà du mal à définir qui sont les commerçants et ce que sont les relations commerciales, et voilà qu’on lui demande de commencer à criminaliser les échanges réalisés "à une échelle commerciale".

Certes, il s’agit là de transposer l’article 61 des accords ADPIC de 1994, mais cela n’empéchait certainement pas d’essayer d’adapter le texte des accords à l’esprit des législations européennes ; surtout dans l’hypothèse où la principale justification du projet de directive est de réduire les disparités entre les législations nationales. Sur ce point, on peut raisonnablement douter que la meilleure façon de le faire soit d’ajouter un concept nouveau issu du monde anglo-saxon dans un contexte législatif où il reste encore à peu près inconnu et en lui donnant une définition aussi vague.

Le flou du texte est bien évidemment destiné à favoriser les interprétations extensives favorables aux ayants-droit, mais le caractère contourné du projet ne manquera pas de poser problème quand il s’agira de mettre ses dispositions en balance avec les libertés fondamentales et les exceptions bénéficiant au public. Pourrait-on par exemple considérer que l’utilisation du droit de citation pourrait réellement être pénalisé quand les citations sont faites à une "échelle commerciale" ? Faut-il penser que c’est l’échelle commerciale concerne toutes les formes d’échanges ou seulement les formes d’échanges portant préjudice aux ayants-droit ? Et dans cette seconde situation, faut-il estimer que seuls les échanges donnant lieu à rémunération portent préjudice aux ayants-droit ou faut-il imaginer comme certains espagnols que l’amélioration du capital intellectuel des utilisateurs est en soi une forme de préjudice ?

En résumé, faut-il réellement utiliser des armes de sanction massive prévues pour empécher l’importation de sacs contrefaits depuis les pays asiatiques pour essayer d’empécher le développement des échanges individuels sur Internet ?

Posté le 11 août 2005

©© a-brest, article sous licence creative common info