La condamnation de RefDoc appelle une réforme en profondeur de l’IST

openaccessL’INIST a été condamné dans un arrêt du 11 décembre 2013 de la Cour de cassation, dans l’affaire mettant en cause le service de fourniture de documents RefDoc. Selon le site Legalis :
En surfant sur internet, David Forest, avocat à la cour et auteur de nombreuses chroniques juridiques et doctrines, avait découvert que certains de ses articles étaient mis en vente au prix unitaire de 13,87 € sur Inist.fr et 19,50 € sur Chapitre.com. Or, ce dernier n’avait cédé aucun droit aux éditeurs des revues. Il leur avait simplement accordé, souvent sans contrepartie financière, l’autorisation de faire paraître ses textes dans les revues concernées. David Forest a assigné les deux sociétés, et l’Inist diffusion a assigné en intervention forcée et en garantie le CFC. La cour d’appel a confirmé le jugement du 9 juillet 2010 du TGI de Paris selon lequel la contrefaçon était caractérisée pour l’Inist qui a reproduit et proposé à la vente les articles ainsi que pour le CFC qui a permis cette reproduction et cette diffusion. Constatant que quelques copies des articles en question ont été vendues, le tribunal avait condamné l’Inist et le CFC à verser chacun 5 000 € à l’auteur ainsi que 4 000 € de façon solidaire au titre des frais de justice.

Dans sa décision, la Cour de Cassation a confirmé que le système « d’opt-out » mis en place par le CFC et sur lequel s’appuyait RefDoc, était illégal au regard des dispositions de la loi de 1995 sur la reprographie, qui organise une gestion collective oblogatoire au profit du CFC, mais à l’exclusion des « copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion ».

Le service Refdoc de l’INIST diffuse désormais le message suivant :
  • Suite à l’arrêt du 11 décembre de la Cour de cassation, nous vous informons que nous suspendons notre service de fourniture de documents jusqu’à nouvel ordre.

En 2012, SavoirsCom1 avait lancé, avec le chercheur et blogueur Olivier Ertzscheid, une mobilisation au sujet du service RefDoc pour dénoncer le fait que le service mettait en vente des articles scientifiques figurant en accès libre et gratuit dans des archives ouvertes, sans le signaler. Plus de 600 personnes avaient demandé à l’Inist de revoir son service et des centaines de chercheurs et de professionnels avaient fait le choix de déréférencer leurs articles de la base Refdoc. Nous avions mobilisé une large communauté de chercheurs dans le sens d’une plus grande cohérence avec la politique d’Open Access menée par le CNRS.
Notre collectif prend acte de la fermeture de ce service, même si nous n’avons jamais souhaité sa disparition pure et simple. Nous avons toujours demandé une plus grande cohérence de la politique de libre accès à l’information scientifique et technique menée par le CNRS. L’INIST avait d’ailleurs progressivement fait évoluer la base RefDoc dans un sens qui permettait une meilleure articulation avec les articles déposés dans les archives ouvertes, atténuant l’effet d’enclosure que nous avions voulu dénoncer.
Nous pensons que la fermeture de ce service est l’occasion d’ouvrir une réflexion approfondie sur le cadre juridique de la fourniture de documents à distance sous forme numérique. En effet, ni la loi de 1995 sur la reprographie, ni l’exception pédagogique et de recherche dans sa formulation actuelle issue de la loi DADVSI n’offrent de base satisfaisante à ce service essentiel. Le montage contractuel mis en place par l’INIST et le CFC ne saurait en tenir lieu et il était inquiétant à ce titre de voir que RefDoc sert de pilier dans la réflexion du groupe BSN8 sur la fourniture à distance des documents.
 Suite à la condamnation dont il a fait l’objet, le CFC annonce vouloir faire évoluer les accords contractuels dont il dispose avec les éditeurs de revues, pour être en mesure d’autoriser des tiers à commercialiser des copies d’articles scientifiques . Mais nous pensons que la voie contractuelle n’est pas adaptée pour construire un service moderne de fourniture de documents à distance sous forme numérique. Une réflexion doit aussi être engagée pour savoir si un tel service doit être délivré dans un cadre marchand ou non-marchand. La mise en place de RefDoc sur des bases illégales trouve en grande partie sa cause dans le fait que l’INIST était soumis à une forte obligation de dégager des ressources propres. Ce type de politique doit être sérieusement interrogé, vu les dommages collatéraux qu’il produit.
La fourniture de documents à distance sous forme numérique est en réalité intimement liée au développement de l’Open Access. Plus les articles de revues seront disponibles en Libre Accès, moins il sera nécessaire de recourir à des services marchands pour obtenir des copies. Par ailleurs, la copie sera d’autant plus simple et utile que les articles scientifiques seront diffusés sous des licences autorisant la reproduction, au-delà de la seule copie privée.

Aujourd’hui, plus de 400 millions de documents sont placés sous des licence Creative commons sur Internet. Dans le domainecreativecommonsbig scientifique, le DOAJ (Directory of Open Acess Journal) compte presque 3 800 revues sous licence Creative commons. Ces outils juridiques reconnus sont de nature à garantir aux communautés scientifiques et aux institutions qui en font le choix l’organisation de la diffusion des contenus scientifiques dans des conditions permettant à la fois le développement de modèles économiques, leur libre réutilisation et le développement d’une Science Ouverte orientée vers les biens communs de la connaissance, notamment grâce à la clause de partage à l’identique (SA=Share Alike). A ce titre, SavoirsCom1 se réjouit que le nouveau schéma d’orientation stratégique de la Direction de l’infomation scientifique et technique du CNRS pose comme principe fondateur une science publique ouverte.
Néanmoins, si l’on veut tirer toutes les leçons de l’affaire RefDoc, une révision du cadre législatif apparaît nécessaire, qui peut prendre plusieurs voies. L’exception pédagogique et de recherche pourrait par exemple être révisée de manière à ce que les bibliothèques soient en mesure de reproduire et de fournir, sous forme papier ou numérique, des reproductions d’articles à la demande de leurs usagers, comme cela existe déjà par exemple au Canada.
Par ailleurs, une obligation générale de dépôt des articles scientifiques en archive ouverte devrait être instaurée en France, à l’image de la loi qui a été votée en Allemagne cette année. Mais pour aller plus loin et notamment satisfaire les besoins de reproduction numérique, il est essentiel que l’obligation de dépôt en archive ouverte s’accompagne d’un passage des articles sous licence Creative Commons. Il semble que l’archive ouverte HAL réfléchisse actuellement à un système de diffusion par défaut des articles déposés sous licence Creative Commons et SavoirsCom1 soutient une telle évolution.

L’affaire RefDoc n’est que le symptôme plus général du paradoxe qui consiste à laisser se développer une « science sous copyright » en contradiction profonde avec la nature de la recherche scientifique. Par exemple, le modèle Platinum est une voie intéressante à condition qu’elle se borne à vendre des fonctionnalités sans enclore les contenus scientifiques dans une licence propriétaire et qu’elle reste soutenable pour les budgets publics. La décision de la Cour de Cassation ne doit pas laisser penser que le droit d’auteur constitue un moyen de protection pour les chercheurs et un vecteur adéquat pour la diffusion de la science. Bien au contraire, c’est ce régime inapproprié qui est à l’origine des effets d’enclosure dommageables qui affectent la science aujourd’hui, par le biais du transfert de propriété des chercheurs vers les revues qui s’opère au moment de la publication. Seule une remise en cause à la racine de ce mécanisme pourra apporter une solution à la diffusion de la science à l’heure du numérique.

Via un article de SavoirsCom1, publié le 19 décembre 2013

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