Le projet Lyclic : « Les ressources éducatives doivent faire partie des biens communs de la connaissance »

Un nouvel acteur est apparu cette année dans le paysage des ressources éducatives en ligne. Il s’agit de la plateforme Lyclic, conçue à destination des communautés lycéennes. Elle présente la particularité de permettre aux enseignants, aux élèves et aux parents de produire de manière collaborative des ressources, placées sous différentes licences Creative Commons.

Nous avons demandé à Marc-Aurèle Garreau, l’un des porteurs de ce projet, de nous présenter les grands principes de fonctionnement de la plateforme, ainsi que les liens qu’il perçoit avec la notion de biens communs de la connaissance.

Marc-Aurèle a rejoint les membres de SavoirsCom1 et notre Manifeste consacre l’un de ces points à la question des ressources éducatives.

1) Pourriez-vous vous présenter et nous expliquer ce qui vous a amené à lancer le projet Lyclic ?

Je suis Marc-Aurèle Garreau, et j’ai créé avec deux associés le projet Lyclic fin 2010. Nous sommes aujourd’hui quatre, un nouvel associé nous a rejoints en mai 2012, et au sein de ce projet je suis directeur de la publication, de la communication, et responsable du développement « libre »..

Pourquoi nous être lancés ? Parce qu’à la fin de nos études nous avons été tentés par l’aventure de l’entrepreneuriat, mais d’une manière innovante, sociale, avec des valeurs autres que celles du profit ou de la vente de l’entreprise. Par ailleurs, le choix de l’éducation comme chantier a été un choix de cœur et de « vocation » plutôt qu’un choix opportuniste, lié à nos expériences professionnelles et nos parcours académiques.Lyclic.fr répond aux besoins d’un web éducatif en recherche de ressources/contenus, accompagnement et information. Ce web éducatif, nous le pensons d’une manière « alternative », nous ne proposons pas sur le web les services qui existent déjà IRL : formations privées/payantes, soutien scolaire à domicile, achats de contenus, etc.

Nous sommes très conscients des mécanismes qui gangrènent les missions éducatives en ligne et IRL, ce qui fait le socle de notre constat : inégalités culturelles, sociales, économiques, géographiques, et d’autres encore, qui font de l’accès à l’éducation une formalité pour les uns et un chemin de croix pour les autres.

Les usages numériques, et en particulier, les usages libres, permettent de réduire voire d’éliminer certaines de ces inégalités. En premier lieu, les inégalités économiques. La gratuité des ressources éducatives pour l’utilisateur final, qu’il soit élève ou professeur, est possible. C’est ce que nous voulons démontrer avec lyclic.fr.

2) Pourquoi avoir choisi de recourir aux licences Creative Commons pour la plateforme ? Comment ces licences sont-elles utilisées sur Lyclic et qu’est-ce qui justifie à vos yeux leur emploi ?

Pour le projet Lyclic, nous avons découvert les CC en essayant de résoudre la problématique hébergeur/éditeur sur le plan de la responsabilité pénale… C’est ironique, mais c’est d’abord en voulant nous protéger que nous avons choisi de diffuser les ressources « publiques » sous ces licence. Pas de nous protéger en tant qu’auteurs, mais en tant que diffuseurs. Et comme, en outre, nous hébergeons essentiellement du contenu créé par des utilisateurs, il était trop compliqué, et au final non pertinent, de vouloir détenir une exclusivité sur ces contenus.

Lorsqu’un éditeur achète les droits d’exploitation d’une œuvre, il le fait surtout pour être le seul à l’exploiter, ce qui de fait prive d’autres acteurs (lecteurs, éditeurs, diffuseurs, etc.) de l’exploitation de cette œuvre. Cette logique « traditionnelle » qui existe dans la distribution de contenus culturels ne doit pas, selon nous, s’appliquer dans la distribution de contenus éducatifs. L’éducation et la connaissance ne doivent pas, et tant pis pour les richesses qui se créent ainsi, faire l’objet d’une économie de rareté ou de pénurie. Les contenus éducatifs doivent par défaut être ouverts.

Les valeurs d’origine du projet, issues de la tradition républicaine de l’éducation (universalité et gratuité), se retrouvent dans notre usage des CC. Les ressources éducatives, dès le début, devaient être accessibles et réutilisables par le plus grand nombre. C’était au final une évidence que les CC se mariaient parfaitement avec notre démarche. Depuis, nous militons pour la diffusion de ces licences, nous avons participé à des évènements relatifs aux REL et à l’usage des CC. C’est maintenant un axe de développement à part entière de notre activité.

Nous utilisons trois licences CC : BY-SA, BY-NC-ND, BY-NC-SA. Ces trois licences distinguent trois volontés différentes, parce que nous souhaitons proposer une progression dans l’ouverture des contenus :

  • Celle du « magistère », la BY-NC-ND, qui respecte la volonté d’un enseignant de diffuser telle quelle, sous une forme unique, son enseignement. Ce que l’on observe traditionnellement dans toutes les classes de toutes les écoles.

  • Celle d’un enseignement/apprentissage collaboratif, avec la BY-NC-SA : pouvoir diffuser librement et réadapter une ressource selon le niveau de difficulté, le public, et revoir l’agencement même de la ressource.

Ces deux premières licences sont NC, parce que nous considérons que le web éducatif doit d’abord se construire sans barrières économiques, sans accès payant aux savoirs, et que la création, le partage et l’utilisation de ressources doivent être motivés par la solidarité et le don de soi (de ses connaissances). Nous pensons que la licence BYNCSA doit être un « standard » pour l’éducation, car elle permet toute utilisation avec ces deux seules contraintes : pas de commercialisation et partage à l’identique. C’est respecter la mise à distance des critères économiques dans l’école et promouvoir la solidarité, l’entraide, deux conditions sine qua non d’une démarche éducative contemporaine, réaliste et ambitieuse.

  • La licence BY-SA propose sans doute la démarche la plus intéressante, car nous avons voulu proposer une licence « entièrement » libre. Cette licence permet d’envisager une ressource éducative comme une ressource logicielle, c’est-à-dire que la protection de l’œuvre passe avant la protection de l’auteur. C’est considérer que telle ressource fait partie d’un patrimoine commun, et qu’elle ne fera l’objet d’aucune restriction, même celle d’une potentielle commercialisation. Nous souhaitons que, comme le sont les idées, un maximum de ressources éducatives puissent être dites de libre parcours. Un contenu éducatif doit pouvoir être utilisé de toutes les manières qu’une communauté éducative pourra juger utile et pérenne. Si une école déshéritée conçoit à partir d’une ressource sous cette licence une dérivée à succès, libre à elle de se financer par cette œuvre. Cela pose évidemment beaucoup de questions et il n’existe pas de véritables modèles économiques installés, mais c’est une voie qu’il faut étudier.

3) Qu’est-ce qui vous différencie d’autres projets comme Sésamath ou lelivrescolaire.fr, qui emploient aussi des licences libres ou de libre diffusion ?

Nous nous différencions de plusieurs manières de Sésamath ou du livrescolaire.fr, mais nous sommes évidemment proches dans les analyses que nous pouvons faire des besoins éducatifs numériques.

A considérer les structures juridiques, nous sommes plus proches du livrescolaire.fr, mais nous n’avons pas le même modèle économique. C’est très intéressant de pouvoir utiliser gratuitement un manuel en ligne et de se procurer ce manuel en version papier à bas prix. C’est un modèle économique basé sur les licences libres qui peut fonctionner. Par contre, je ne sais pas comment ce modèle peut définir des process pérennes pour la production et la diffusion de ces manuels, comment sont réparties les charges d’exploitation, et si ce modèle permet à une structure commerciale de survivre. Par ailleurs, nous devons remarquer que si les ressources du livrescolaire.fr sont de libre diffusion, l’accès à la plateforme lui est limité et de fait nous n’observons pas d’essaimage des ressources sous CC du livrescolaire.fr. Le caractère clos de cette plateforme, à tout le moins en ce qui concerne les contenus qui sont produit sous CC, répond-t-il à des impératifs pédagogiques, économiques ? Il faudrait poser la question au livrescolaire.fr !

Le cas de Sésamath est différent, puisqu’il s’agit d’une initiative très réussie et même maintenant historique, conduite sur un modèle associatif, et qui a fait ses preuves. Leur philosophie est franche et d’une certaine manière humble, sans les contraintes de rentabilité qu’impose une structure commerciale. En revanche l’approche de cette association est strictement mono-disciplinaire.

Une des différenciations majeures, c’est que nous voulons être éditeurs web d’outils et de ressources. Un manuel, pourquoi pas ?, mais nous souhaitons créer et héberger toutes sortes de ressources, comme nous souhaitons aussi augmenter nos capacités techniques pour offrir des prestations de « services web » aux acteurs éducatifs qui le souhaiteraient. Nous ne sommes pas mono-produit, ni mono-disciplinaire. C’est un risque certain de vouloir se diversifier, mais cela nous semble nécessaire pour réussir à faire bouger les lignes du web éducatif.

4) Quel type d’organisation avez-vous choisi pour conduire ce projet et quel est votre modèle économique ?

Notre projet est pragmatique, et il se propose d’apporter aujourd’hui des réponses concrètes à des besoins réels. Nous avons choisi la structure juridique de la SAS afin de pouvoir explorer toutes les voies possibles pour réussir notre activité. Nous avons choisi une structure commerciale m pour pouvoir faciliter les relations avec les différents acteurs éducatifs qui travaillent avec nous ,ne pas se donner de limites dans nos réflexions et nos idées, et faciliter aussi les flux financiers. Le choix de cette structure juridique répond avant tout à des impératifs de flexibilité et de maîtrise de notre activité.

Nous n’avons pas de modèle économique lié au service lyclic.fr. Nous sommes hostiles à l’idée d’afficher sur la plateforme des publicités, ou à y vendre des ressources de manière usuelle. Cependant, nous réfléchissons en permanence à concevoir un modèle économique pour certaines ressources ou certains usages qui respecterait une éducation solidaire et les valeurs véhiculées par les CC. Pour nous maintenir à flot, nous assurons des missions web « classiques » de conseil, de développement, et de formations.

5) En quoi votre projet est-il connecté à la notion de biens communs de la connaissance et quel rôle pensez-vous qu’elle peut jouer dans le champ éducatif ?

En pratique, l’éducation est nécessaire aux sociétés, et fondamentale pour les individus. En théorie, c’est aussi une mission millénaire et un objectif de civilisation. Les missions de l’école sont d’éduquer un citoyen, cultiver un être humain, et former un professionnel.

Il est en fait impensable qu’aujourd’hui ces missions puissent faire l’objet d’une exclusivité, dans les méthodes, comme dans les ressources. Auparavant, dans des temps anciens, l’éducation se faisait localement, structurée par les discours religieux et les besoins économiques directs, il y avait d’une certaine manière des « enclosures » naturelles. Puis il y eut l’impression, la révolution industrielle, et enfin Internet. La dématérialisation des ressources et des pratiques qu’a engendrée de fait l’utilisation massive des réseaux numériques ne fait rien d’autre que de rappeler un idéal qui est une évidence : nous nous éduquons par tous, partout, tout le temps. Nos savoirs ne sont plus limités par défaut aux lieux, à la génération, aux besoins quotidiens ou aux nécessités de l’état. Ils sont transversaux, multilingues, personnalisés, plus abondants et directement utilisables.

Lorsqu’on comprend la distinction fondamentale qu’il y a entre le prêt numérique et le prêt physique (le prêt numérique crée une copie sans privation du contenu prêté), on s’affranchit des problématiques de quantité, et donc de la pénurie, qui justifie économiquement l’intérêt des modèles exclusifs. Les ressources éducatives, considérées comme des biens informationnels, peuvent être librement partagées et utilisées sans, qu’en droits, certains en soient privés. Notre projet est connecté à la notion des biens communs de la connaissance en ce qu’il propose des méthodes et des outils pour rendre communs les savoirs éducatifs et en faire une propriété collective la plus large possible.

Cet objectif de partage s’applique à toutes les échelles : avec lyclic.fr, nous souhaitons que deux écoliers séparés par des milliers de kilomètres puissent partager leurs ressources, que deux écoles puissent mutualiser leurs bibliothèques, que de grandes universités s’intéressent à l’ouverture au grand public de leurs serveurs de recherche, etc.

La notion des biens communs de la connaissance peut jouer un rôle déterminant dans le champ éducatif en permettant aux ressources éducatives de ne plus être des « exceptions » dans un ensemble de contenus régi par des licences propriétaires. Concrètement, leur circulation et leur utilisation seraient ainsi simplifiées, et on sortirait des procédures très lourdes à tous points de vue des accords sectoriels. Cela permettrait aussi de promouvoir la personnalisation de l’enseignement/apprentissage et la créativité de chacun sans préjudices pour le collectif.

Les ressources éducatives doivent faire partie des biens communs de la connaissance et constituer un patrimoine collectif, comme y appartiennent ou devraient appartenir, c’est selon, les notices techniques, les discours politiques, les données publiques, etc.

En somme, tout ce qui constitue directement notre existence en tant que citoyen et travailleur des sociétés contemporaines (donc la matière « scolaire » !), doit être assimilable et utilisable par tout individu sans restrictions de principe.

L’adresse originale de cet article est http://www.revue-reseau-tic.net/Le-...

Via un article de calimaq, publié le 25 novembre 2012

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