Interview de Louis-Julien de la Bouëre animateur territoires et coopération réalisée par Michel Briand

Interview de Louis julien, coopération et cartes participatives à Plouarzel

Dans le cadre du Forum des usages coopératifs nous avons entamé une collecte de portraits et d’interviews de la médiation numérique et de la coopération.

Ce "donner à voir" est aussi un outil pour expliquer le "comment faire" code source de nos initiatives.

Cette démarche participe auréseau de l’innovation sociale ouverte en Bretagne (en cours d’écriture).

Vous trouverez une présentation du projet de cartes participatives sur la plate-forme Imagination for people

Tu as participé à la mise en place d’une carte participative avec les habitants à Plouarzel, peux -tu nous expliquer ce qui a motivé cette approche participative

Notre projet à Plouarzel était très classique au départ. La commune grandit très vite, le plan communal sorti il y a plus de 10 ans était obsolète. Qui l’avait fait ? Qui avait les droits ? Comment le refaire avec un coût faible ? Autant de questions renforcées par les besoins des utilisateurs de GPS de disposer de cartes routables performantes.

Et c’est la qu’intervient la sérendipité et l’intérêt des réseaux ! Lors d’une rencontre Wiki-Brest, nous avons discuté avec un administrateur Wikipédia, Jean-François Gaffard, qui nous a présenté le projet de carte collaborative OpenStreetMap (OSM). Ou comment interconnecté les réseaux permet d’imaginer des projets locaux !

La commune était déjà engagée dans Wiki-Brest, la promotion des logiciels libres. Les sites communaux sont sous licences Creative Commons. Nous nous sommes dit qu’OpenStreetMap était une formidable occasion de refaire notre plan tout en permettant à la population de se l’approprier, le réutiliser, le diffuser.
D’un besoin administratif, est né un projet participatif qui a aboutit à la publication d’un plan communalsous licence libre avec mention du travail réalisé par les habitants. Elle a été distribuée en guise de cadeau de début d’année à tous les foyers de la commune.

Un "faire avec" associant mairie, point d’accès public et habitants n’est pas si courant, peux tu nous raconter comment cela s’est déroulé ?

Tout s’est enchainé assez vite sans qu’on en est réellement conscience. Nous avons fait une première réunion publique en invitant tous les acteurs de la vie municipale. Beaucoup étaient présents (élus, associations, habitants). En milieu rural, quand le maire invite, on se déplace ! C’est facilitateur !

A partir de là, quelques bénévoles ont commencé pendant l’été à s’approprier OSM et intégrer le réseau filaire. A l’automne nous avons organisé deux "cartoparties" sur deux après-midi. Une cinquantaine de personnes se sont déplacées dont un tiers extérieur à la commune. Nous leur avons proposé d’arpenter la commune avec une approche géographique (un quartier...) ou thématique (les calvaires...)
Certains ont préféré rester à l’intérieur pour se concentrer sur la technique. Les journées se sont à chaque fois terminées par un temps convivial pendant lequel chaque contributeur pouvait voir ses contributions apparaitre sur la carte retransmise sur grand écran. C’était un vrai moment de construction collective.

En deux après-midi, la carte générale était presque terminée. Ensuite, les bénévoles se sont donné rendez-vous régulièrement pour apporter des compléments. C’est la vérification qui a été ensuite la plus longue. Et puis on a découvert que de toute façon, une carte n’est jamais réellement terminée !

Ce qui m’a plu dans ce projet, ce n’est pas l’objet final qu’est le plan de la commune. C’est plutôt une sorte d’instantané quand dans la même après-midi, dans le centre multimédia se sont retrouvés des familles, des membres d’associations de pêche, de vélo, d’histoire, des retraités, des professionnels enfance/jeunesse des élus et des gens extérieurs à la commune autour d’une envie commune de contribuer et participer à un projet collaboratif sans frontières... C’était la meilleure façon de parler de logiciels et données libres, de droits à l’image, de création de biens communs sans aucunes difficultés !

Qu’est ce qui motive les habitants dans la participation à cette carte ?

Je crois qu’au départ, il y a un mélange de curiosité et de convivialité. Peut-être ce projet n’aurait pas pu exister au début du centre multimédia. Depuis quelques années, il est sorti de ses murs avec différentes animations comme les médi@-cafés, le projet "Ecoutez Plouarzel" (habitants racontant leur commune) et surtout les Portraits de familles (photos de famille sur la place de la mairie).
Ecoutez, valorisez et vous recevrez ! Les associations locales et de nombreux habitants sont venus lors des cartoparties, et encore après, sur ce projet, par curiosité mais aussi parce que nous avons une sorte de partenariat permanent. Le centre multimédia est un lieu ressource pour toutes leurs demandes.

Ils ont voulu participer eux aussi à cette dynamique.

Et puis parce qu’on met toujours une part de nous-même dans chaque projet, il ne faut pas sous-estimer la valorisation faite par la presse a posteriori. Les participants au projet ont vu leur implication dans des reportages TV, des journaux régionaux et des magazines nationaux. C’est valorisant et stimulant !

Est ce que cette expérience de coopération a facilité d’autres projets ?

Oui comme tous les autres expériences collaboratives que nous avions mené auparavant. Nous avons réussit à démontrer que les outils numériques ne sont pas des dangers ou des instruments de surconsommation, comme on le voit trop souvent dans la presse.
Sur la commune, ce sont des habitants, les associations, écoles qui viennent au centre multimédia apporter des projets, des envies de partager, de construire ensemble.

Ce projet a permis de signer une convention de partenariat avec la poste. Nous leur fournissons les données, ils les retransmettent aux services publics (pompiers, etc) et privés (fabricants de gps). Le service SIG du Pays de Brest est partenaire aussi depuis le début. Ils intègrent leurs données (publiques) dans OpenStreetMap et nous leur retournons nos modifications.

De ce fait, toutes les données recueillies par les habitants seront identiques dans toutes les bases de données. Il n’y aura plus de souci de pompier qui ne trouvent pas le nom d’un village écrit en breton car personne ne dispose de la même orthographe. Les habitants ont travaillés pour eux-mêmes, la collectivité jouant son rôle de facilitateur.
Et puis il y a le projet cartes ouvertes au pays de Brest, de nombreuses communes qui se lancent dans les cartoparties, le portail Geo-Bretagne...

et de ton point de vue d’animateur du projet quel enseignement en tires-tu sur la coopération ?

J’ai fait des études de développement territorial dans lesquelles on nous apprend à identifier les acteurs par secteurs bien déterminés. Chacun sa case ! On ne nous dévoile pas assez les richesses de la coopération, ou collaboration.

Il me semble que lorsque l’on est curieux, attentif aux autres, tout devient possible. Ce n’est pas toujours évident lorsqu’on nous apprend à devenir des "chefs de projets" ! D’ailleurs comme tu le dis je me sens plus "animateur de projets".

Un projet coopératif ne se décrête pas, il se construit ! Il faut savoir prendre son temps, laisser à chacun la place qu’il veut prendre dans le projet et lui permettre d’arrêter s’il le souhaite. C’est ne pas préjuger du résultat final ! D’ailleurs est-ce qu’un projet collaboratif a une fin ? Pour bien fonctionner un projet coopératif doit pouvoir commencer "petit", c’est à dire en limitant au maximum les contraintes budgétaires et décisionnelles pour laisser la possibilité à chaque acteur de s’impliquer comme il le souhaite.

La coopération c’est beaucoup de richesse humaine, de création, de partage, d’innovation technique et sociale. On donne plus de temps, plus d’énergie il me semble que dans un projet très directif. Mais on y gagne plus et on s’amuse beaucoup !

Ce projet est-il réplicable ailleurs ? Quels sont pour toi les ingrédients qui facilitent une carte participative sur une commune, un quartier ou au sein d’une association ?

Ici, nous avions toutes les bonnes conditions réunies : une municipalité et des élus moteurs, une dynamique associative communale et un centre multimédia bien identifié.

Pour réussir ce projet, les trois ingrédients principaux seraient :

  • un/des animateur(s) de projet (association locale, espace multimédia, service municipal...),
  • des facilitateurs (collectivité/service public)
  • des contributeurs (associations sportives, patrimoine, etc.).
    Chacun pouvant devenir alternativement l’un ou l’autre !

Les collectivités et services publics doivent être associées si possible dès le début du projet. Elles disposent de beaucoup de données, normalement publiques ! Les mairies sont les seules à pouvoir décider du nommage d’une rue par exemple. Et en contribuant à OpenStreetMap, on s’aperçoit que beaucoup n’en ont pas !

Il ne faut pas oublier la communauté OpenStreetMap ! Pour démarrer aujourd’hui un projet, il suffit de le poster sur la liste de discussion OSM pour trouver un contributeur non loin de chez soi prêt à vous aider. Nous l’avons expérimenté récemment dans les garrigues languedociennes.

La recette que je propose : présenter à tous ces ingrédients/partenaires une démarche plutôt qu’une finalité, une envie de faire ensemble plus qu’un résultat.

Un projet de carte collaborative, c’est donner à voir un territoire et ses habitants. Beaucoup de projets autour de la vie dans les quartiers, l’accessibilité aux services, les inventaires patrimoines... peuvent naitre d’une carte collaborative.

Après avoir été animateur multimédia tu as créé Tiriad une association dont l’un des objets est de développer les pratiques collaboratives, pourquoi ce choix personnel d’une implication sur la coopération ?

Une envie de mélanger les échelles, les "petites" initiatives et les "grandes" envies. Une envie de montrer que la coopération, c’est donner un autre sens à notre action au quotidien.
J’ai vu de nombreux projets de quartiers, de petites communes facilement reproductibles car ils demandent peu de moyens techniques ou financiers. Il faut leur donner une visibilité, les mutualiser, les enrichir et les redistribuer. Les outils numériques peuvent faciliter le passage à l’échelle, l’interconnexion des mondes.
La coopération bouleverse aussi mes propres certitudes. Chaque projet de territoire, chaque expérience n’est pas reproductible en l’état. Il doit être partagée pour permettre l’émergence de nouveaux "possibles", de nouveaux "Territoires Communs Partagés". Et c’est un nouveau défi excitant à chaque fois !

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Posté le 8 juillet 2012 par Collectif Tiriad

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