Une bibliothèque peut-elle numériser une thèse appartenant à ses collections ?

Après plusieurs années de veille et d’écriture sur le droit de l’information, voici la suite du récapitulatif amorcé avec le lien hypertexte. Sans se substituer à un conseil juridique, cette rubrique propose une réponse en quelques lignes, suivie d’une liste d’articles écrits sur un sujet pour l’ADBS.

A propos de la numérisation de la thèse

Les auteurs des thèses sont titulaires des droits sur leurs travaux et ils doivent être contactés pour toute nouveau mode d’exploitation de leurs œuvres.

La bibliothèque engage sa responsabilité dès lors qu’elle diffuse les thèses sans avoir pris contact avec leurs auteurs et ce, même si elle a fait des démarches pour les retrouver. Sa responsabilité sera tout particulièrement engagée si elle n’est pas en mesure d’apporter les preuves des démarches pertinentes qui auraient été entreprises pour localiser les auteurs ou, 70 ans après leur décès, pour joindre leurs ayants droit.

Une bibliothèque accessible au public (ce qui est le cas des bibliothèques universitaires, par exemple) peut, en revanche, numériser les thèses de son fonds à des fins de conservation, en s’appuyant sur l’exception au droit d’auteur accordée aux bibliothèques, exception qui permet de préserver les conditions de consultation des œuvres abîmées ou qui figurent sur des supports obsolètes (art. L122-5 CPI 8°). Dans ce cas, l’œuvre numérisée est consultable par le public, mais uniquement dans les locaux de l’établissement et sur des terminaux dédiés, ce qui interdit une mise en ligne sur les réseaux, même si ceux-ci sont sécurisés.

Quelques précisions

Les droits d’auteur des thèses appartiennent à leur auteur, comme le rappellent (notamment) les articles 5 et 11 d’un arrêté du 7 août 2006 relatif aux modalités de dépôt, de signalement, de reproduction, de diffusion et de conservation des thèses ou des travaux présentés en soutenance en vue d’un doctorat. Il convient donc effectivement de contacter les auteurs pour leur demander l’autorisation de numériser leurs travaux.

Si les recherches pour les retrouver s’avèrent vaines, vous vous trouvez face à des œuvres orphelines, soit sans solution légale aujourd’hui ni même dans un proche avenir. Si les œuvres orphelines feront sans doute l’objet d’une directive européenne, aujourd’hui au stade de proposition, nous ne savons pas encore si les œuvres non publiées [1], telles que les thèses, seront couvertes par les dispositions de ce texte qui, même s’il devait être adopté en 2012, ne serait de toute manière pas transposé dans notre droit au cours de l’année à venir.

Un laboratoire pourrait disposer des droits d’auteur. Mais ce ne serait le cas que s’il y a eu contrat de cession signé par l’auteur de la thèse, ou si des accords avaient été conclus en ce sens entre le laboratoire et l’établissement qui accueillait le doctorant [2].

Quel statut ont les doctorants ?

S’ils perçoivent des allocations de recherche, les doctorants sont des agents contractuels de l’État si leur contrat les lie à un établissement public d’enseignement supérieur et de recherche. Ce n’est pas le cas des contrats qui les lient à des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), des organismes de recherche relevant de fondation et des entreprises du secteur privé, comme l’indique la circulaire du 24 juin 2009 relative aux doctorants contractuels présentée avec d’autres documents sur le site de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieurs.

A qui appartiennent les droits d’auteur des salariés ?

Salariés du secteur privé, les droits d’auteur sur leurs œuvres leur appartiennent, sauf si une cession des droits à leur employeur est organisée par contrat.

Salariés du secteur public, ce qui concerne également les agents non titulaires [3], depuis la loi DADVSI de 2006 [4], il est clairement établi que les droits appartiennent à l’État pour les créations faites dans le cadre de leur mission de service public (art. L. 111-1 CPI). Mais cette disposition ne s’applique pas aux « agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique », soit aux chercheurs et aux enseignants, comme on le considère généralement.Autrement dit, même s’ils sont agents de l’État, les doctorants garderaient bien leurs droits.

On note, par ailleurs, que selon la loi Dadvsi, c’est l’administration qui détient les droits d’exploitation des œuvres réalisées dans le cadre « d’activités de recherche scientifique d’un établissement public à caractère scientifique et technologique ou d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel [lorsque] ces activités font l’objet d’un contrat avec une personne morale de droit privé ». Ce dernier cas implique une rémunération de l’agent public et, sans doute aussi, un contrat pour clarifier la situation. Mais si ces contrats règlent la question de la diffusion des résultats de la recherche et les droits afférents, il est peu probable que la thèse soit incluse dans ses dispositions. Le doctorant dispose donc généralement des droits exclusifs sur sa thèse, et il lui est possible d’accorder une licence d’utilisation à la bibliothèque d’une université, par exemple.

Ce régime est applicable pour les œuvres créées depuis le 4 août 2006. Peu importe, ajouterai-je, puisque, dans la majorité des cas, les droits d’auteur d’une thèse sont gérés par leur auteur. Il convient simplement de s’en assurer.

Écrits pour alimenter Actualités du droit de l’information , la lettre d’information de l’ADBS

Un dossier sur les thèses (pdf) en décembre 2001, Diffuser une thèse sur les réseaux en toute légalité, en juin 2009 et les bibliothécaires face aux thèses plagiat, écrit par Jean-Noël Dardre, en décembre 2010.

Des réponses à des questions : Un doctorant peut-il s’opposer à la mise en ligne de sa thèse ? en juin 2007, Suis-je responsable si je diffuse une thèse où les décisions de justice n’ont pas été anonymisées ?, en mai 2009

Illustr Book 1 02. The Shopping Sherpa. CC by-nd Flickr

Notes

[1] Un rapport du rapport Parlement européen du 27 septembre 2012 inclut les œuvres non publiées dans le champ des œuvres orphelines couvertes par la proposition de directive européenne. Mais la proposition ne fera l’objet d’un vote du Parlement européen qu’en février 2012.

[2] Selon des conditions contractuelles qu’il conviendra naturellement de respecter.

[3] Pour en savoir plus sur le droit d’auteur des agents publics, un excellent récapitulatif rédigé par Anne-Laure Stérin, mis en ligne sur le site de l’ADBS en juillet 2009.

[4] L’avis Ofrateme du Conseil d’État, en novembre 1972, l’affirmait déjà. « L’État est investi des droits si l’œuvre créée fait l’objet même du service public et si cette création a été effectuée par les agents publics dans l’exercice de leur fonction ». Or si « la publication d’une thèse peut sembler entrer dans l’objet du service public de l’enseignement supérieur42, l’autre exigence posée par l’avis ne nous paraît pas réunie », note Aude Estrangin, dans son mémoire de DEA publié par l’IRPI (Le droit d’auteur de l’élève, Cahier IRPI, n°3, 2003)

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 17 décembre 2011

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