Produits documentaires au défi du droit (série 5)

Après un récapitulatif en avril 2011, en mai 2011, en octobre 2011 et en novembre 2011, voici une cinquième série de réponses données à des questions posées récemment. Elles portent sur le prêt de DVD à des étudiants, l’enregistrement vidéo d’une conférence, l’utilisation de vidéos anciennes, la consultation de jeux vidéos en bibliothèque et leur prêt, la déclaration à la CNIL d’une page facebook créée par une personne morale.

Comme dans les billets précédents les questions ont été anonymisées et les réponses apportées, qui entendent uniquement rappeler brièvement quelques principes, ne sont pas en mesure de se substituer à un conseil juridique. Place est laissée, en revanche, à tout commentaire.

1.PRÊT DE VIDÉOS

Puis-je prêter aux étudiants de mon établissement des films de fiction achetés par le centre de documentation ? Une déclaration doit-elle être faite ? Auprès de qui ?

Vous ne pouvez prêter des DVD que lorsque des droits pour cet usage ont été acquis. C’est le cas pour les formateurs, pour les étudiants ou toute autre personne. Il s’agit, en effet, dans tous les cas d’un prêt public, à opposer au prêt privé qui ne peut pas se faire dans un cadre collectif comme l’est un établissement d’enseignement.

Il est vrai que la loi sur le prêt public de 2003 ne concerne que les ouvrages sur support papier. Il n’en reste pas moins que le droit de prêt est applicable à toute œuvre. Ce principe a été rappelé par la directive européenne sur le droit de location et de prêt de 1992. Il est vrai aussi que les ayants droit (producteurs, auteurs, artistes) de CD ne revendiquent aujourd’hui aucun droit pour le prêt (contrairement à d’autres usages de CD pour lesquels des droits sont requis). Pour les DVD, la situation est plus claire : toute forme d’usage, tel que le prêt public, implique le versement des droits au moment de l’achat auprès de distributeurs agréés (ADAV, Colaco etc.).

2. ENREGISTREMENT VIDÉO D’UNE CONFÉRENCE

Un collègue a été filmé alors qu’il intervenait lors d’une formation. L’organisme organisateur de cette formation souhaite mettre des extraits de cette vidéo sur son site internet et en demande l’autorisation à mon collègue. Quelles sont les précautions à prendre ? Faut-il faire un contrat obligatoirement ? Existe-t-il des contrats type ?

La personne a été filmée dans un lieu public, et elle savait sans doute que son intervention était enregistrée. On peut donc imaginer que l’autorisation soit tacitement accordée.

Il n’en reste pas moins plus prudent, à la fois pour l’intervenant et l’organisateur de la manifestation, de lister, en quelques lignes, les usages qui seront faits de cet enregistrement.

L’enregistrement, qui apparaîtra sans nul doute sur le site de l’organisateur, pourrait (pourquoi pas ?) être mis aussi en ligne sur Dailymotion, voire vendu à un producteur pour être inséré dans des modules d’enseignement en ligne, pour ne citer que quelques exemples. Certaines de ces exploitations, surtout lorsqu’il s’agit d’exploitations commerciales, pourraient ne pas convenir au conférencier.

Le conférencier pourrait aussi vouloir utiliser son propre enregistrement pour le mettre en ligne sur son blog, sur le site de son établissement, l’utiliser lors d’une autre conférence, etc. Dans ce cas, une cession non exclusive doit être envisagée et le producteur de l’enregistrement doit lui accorder (ou non) une telle autorisation.

Des modèles ? Tous ceux que vous trouverez, dans des ouvrages ou sur internet, et qui doivent être adaptés à un contexte particulier, le vôtre.

3. UTILISATION DE VIDÉOS ANCIENNES

Une partie de mon étude est consacrée aux archives audiovisuelles qui appartiennent au domaine public. Dans ce cadre, les banques d’images qui récupèrent des fonds anciens y apposent un copyright. Est-ce légal ?

Il faudrait tout d’abord s’assurer que les œuvres audiovisuelles auxquelles vous faites allusion appartiennent vraiment au domaine public. Les œuvres audiovisuelles sont, en effet, des œuvres de collaboration qui ne tombent dans le domaine public que 70 ans après la mort du dernier co-auteur.

Pour une œuvre audiovisuelle sont présumés auteurs, sauf preuve contraire, l’auteur du scénario, l’auteur de l’adaptation, l’auteur du texte parlé, l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre, le réalisateur (article L. 113-7 al 2 du CPI) ». Lorsqu’un contrat de production audiovisuelle a été conclu, le producteur est présumé être titulaire des droits (sauf pour la composition musicale), ce qui facilite les démarches.

Sur ce point, voir notamment la rubrique « droit d’auteur » de la direction juridique du CNRS.

Si les mentions de copyright sont appliquées à des œuvres anciennes mais dont les droits ne sont pas échus, il s’agit d’une contrefaçon car la propriété du support ne permet pas de disposer des droits d’auteur. Une recherche des titulaires de droits s’impose et ce n’est qu’après une recherche sérieuse et avérée que l’œuvre audiovisuelle pourrait présumée être orpheline de droits. Un dispositif pourrait prochainement faciliter dans ce cas l’usage d’une telle œuvre, de manière très encadrée, si la directive européenne sur les œuvres orphelines était prochainement adoptée. Pour l’instant, il convient de faire des recherches sérieuses, notamment auprès des sociétés de gestion collective de producteurs, ailleurs aussi, pour retrouver les ayants droit, de garder les traces des efforts réalisés, de prendre … ou non le risque de la mettre en ligne pour une utilisation à des fins commerciales et d’être prêt à négocier avec les ayants droits qui se manifesteraient et qui prouveraient être titulaires des droits sur l’œuvre audiovisuelle en question.

Lorsque des institutions apposent des mentions de droit d’auteur à des œuvres pour lesquels les droits d’auteur sont échus, il s’agit indéniablement d’une privatisation du domaine public. Si des droits peuvent être revendiqués par celles-ci, ce ne peut être que pour compenser certains services, comme la conservation et la mise à disposition de l’œuvre, mais pas en tant que cessionnaire de droits d’auteur. C’était le thème développé lors d’une journée d’étude organisée par l’IABD, en 2009

C’est aussi une thèse défendue par plusieurs juristes ; je songe notamment à Marie Cornu et à Nathalie Mallet-Poujol et à leur livre intitulé Droit, œuvres d’art et musées.

4. JEUX VIDÉOS ET BIBLIOTHÈQUE

Nous projetons d’ouvrir une ludothèque. Voici les questions que nous nous posons. Est-il légalement possible de mettre à la disposition des usagers des consoles de jeux vidéo pour jouer sur place (Wii, XBox 360, PS3) ? A-t-on le droit de mettre en consultation sur place des jeux sur ces trois types de consoles ? Doit-on payer des droits pour prêter des jeux vidéo ?

L’achat de matériel n’est pas soumis à des conditions particulières et il est possible de mettre des jeux à la disposition du public, à condition d’avoir versé les droits qui s’imposent.

Quelques fournisseurs de bibliothèques (Circle, Colaco) proposent des jeux pour des consoles, mais uniquement pour une utilisation dans les locaux de la bibliothèque.

Les prêter ne peut se faire qu’à condition d’avoir versé des droits propres à cet usage, ce qu’aucun fournisseur ne propose aujourd’hui.

Contacter les producteurs de jeux pour obtenir les droits nécessaires n’a pas été suivi d’effet, le marché des bibliothèques n’étant pas jugé suffisamment important … aujourd’hui.

L’avenir est au jeu en ligne et dans ce cas les bibliothèques seront amenées à négocier des licences pour pouvoir les proposer à leur public dans les locaux ou à distance.

(Réponse donnée avec l’aide de Michel Fauchié, ADDNB)

Quelques sites

Les bibliothèques qui proposent le prêt de jeux vidéos et des livres numériques
Questions ? Réponses ? (Enssib)

Le prêt des jeux vidéo
Questions ? Réponses ?
(Enssib)

Des sites

Jeu vidéo et bibliothèques
794 point 8

Sur les aspects juridiques

Les jeux vidéo et le droit (Avocats-publishing)

Les vidéo (la rubrique juridique de l’ADAV

Les jeux vidéo (la rubrique juridique de l’Association française pour le jeu vidéo)

Et puisque le joueurs peuvent créer des contenus : Quels droit d’auteur dans les jeux vidéos ? Question posée sur Numérama le 2 septembre 2009, car la question se pose effectivement.

5. CRÉATION D’UNE PAGE FACEBOOK PAR UNE PERSONNE MORALE

Lorsqu’une organisation crée une page facebook (ou autre), la liste des « amis » ou followers est-elle considérée comme une base de données ? Quelle serait la position de la CNIL dans ce cas ?

Il s’agit bien d’une base de données et d’une base de données personnelles. Non, une déclaration à la CNIL n’est pas requise. Je m’appuie pour l’affirmer sur la dispense de déclaration des données personnelles relatives aux membres et correspondants d’associations ou de partis politiques, de groupements syndicaux et religieux. La liste Facebook est encore (du moins a priori, car je ne connais pas les finalités de cette liste) plus anodine.

Bien évidemment cela ne permet pas de diffuser cette liste dans d’autres cadres … de la vendre, par exemple à des tiers (je force le trait). Attention à prendre les précautions qui s’imposent vis-à-vis de Facebook aussi, qui pourrait bien réutiliser la liste si les « bonnes » désactivations n’étaient pas faites (cf.les CGU de Facebook qui n’ont pas toujours été limpides).


Illustr. ¿ʞuıן ƃuıʞuı ɹo ʞuı ƃuıʞuıן ? . . (YSE#21). Jeff Safi. Flickr by-nc-nd

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 6 décembre 2011

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