La Maison intelligente de Blagnac

Les méthodes traditionnelles de définition de projets (position paper, éléments de langages, notes de synthèse, plaquettes…) ne suffisent pas lorsque les enjeux sont particulièrement structurants et financièrement lourds. La nécessité de maquettage, ou plutôt de démonstration, permet une mise en situation, une simulation en situation réelle, permettant de valider des options suite à différents tests. L’OTeN explore ces projets de démonstrateurs afin d’en tirer, au final, une grille de lecture.

Démonstrateur #1 : La Maison intelligente de Blagnac (Haute-Garonne/Région Midi-Pyrénées).
Interview menée par Elsa Baron, Aminata Fall et Philippe Ourliac, OTEN


La Maison intelligente (IUT Blagnac)


L’OTeN avait rendez-vous le 10 octobre dernier avec Éric CAMPO et Xavier DARAN sur le site de l’IUT de Blagnac pour visiter la "Maison Intelligente" et en savoir plus sur sa mise en place et les objectifs qu’elle recouvre.

Notre visite se déroule en deux temps. Nous sommes accueillis dans la salle de réunion jouxtant la maison intelligente. Après une phase de discussion et de questionnement autour du dispositif de la Maison Intelligente, X. Daran et E. Campo nous font "visiter" la maison et ses équipements.


X. Daran revient sur la genèse du projet. Il explique que la réflexion autour de la mise en place d’un tel dispositif a été construite essentiellement en interne. Les partenaires du projet ont été consultés sur la faisabilité technique. Le but était de mettre en place l’expérimentation rapidement "dans une grande liberté". X. Daran explique que dans un premier temps la consultation des usagers n’était pas envisagée, non pas pour les exclure, mais pour avoir une possibilité de réflexion à partir de l’existant. Mais il ajoute que depuis le 3 novembre 2010 , ils sont invités à critiquer l’installation. Cela doit ainsi permettre de développer le même dispositif, mais dans une nouvelle phase cette fois ci "en dur" , afin de développer un outil encore plus "performant", tenant compte de réalités pour le moment non prises en compte.

P. Ourliac : Peut-on résumer le cheminement du processus de cette façon : Vous avez réalisé une première réflexion en interne, qui a été dans un second temps confrontée à l’environnement des usagers et des industriels, ce qui vous a permis à terme de modifier les processus, les équipements etc.

X. Daran : je suis d’accord avec ce schéma et il ne faut pas oublier qu’il s’applique aux produits, aux techniques, ainsi qu’aux services.

P. Ourliac : Qu’en est-il de l’acceptabilité, c’est à dire la capacité des usagers et partenaires du projet à adopter toute cette problématique.

X. Daran : Ce volet concerne les équipes de recherche de l’Université, qui expérimentent et valident tout ce qui concerne l’acceptabilité, l’appropriation etc. Le groupe de travail se compose d’enseignants chercheurs issus du milieu technologique, mais aussi de la psychologie, de la sociologie ainsi que de l’anthropologie etc. L’objectif est d’avoir un cercle le plus large possible. Nous sommes rejoints par E. Campo.

P. Ourliac : A quel moment les industriels entrent-ils dans la boucle. Avant ou en même temps que les usagers ?

X. Daran : L’approche des industriels a été immédiate. Le dispositif n’a été mis en place qu’avec des produits existants. La Maison Intelligente se veut être un lieu fédératif. Aujourd’hui les industriels travaillent chacun de leur côté sans liens entre eux. Or, fédérer ces acteurs est indispensable pour offrir un service complet à la personne grâce au support technologique. Il est nécessaire d’avoir des objets communicants. La personne qui souhaite s’équiper doit pouvoir le faire dans plusieurs endroits, et les « outils » dont elle se dote doivent être compatibles entre eux. Nous pensons qu’il est donc primordial de définir des standards. Des choses existent, comme la domotique pour le maintien à domicile. Nous laissons pour le moment de côté le volet santé, et le volet service qui sont traités dans une autre dynamique.

P. Ourliac : Venons-en maintenant à l’aspect pédagogique. La maison intelligente que vous appelez vous même « le lieu », cet équipement, est destiné aux étudiants de la recherche action, du laboratoire ou bien seulement destiné aux enseignants chercheurs ? Comment les étudiants sont intégrés dans la boucle ?

X. Daran : Ils sont intégrés à plusieurs niveaux. Tout d’abord au travers de certains enseignements proposés dans le cadre du DUT . Des cours ont lieu dans la salle où nous nous trouvons. Elle est modulable à souhait. Des étudiants de premier cycle viennent donc assister aux cours de dessin (il nous montre les tables de dessins rangées au fond de la pièce). Des étudiants de troisième cycle viennent également conduire des travaux de recherche.

P. Ourliac : Ont-ils le droit de « casser » ce qui est mis en place, j’entends cela au sens pédagogique du terme, c’est à dire modifier ce qui est paramétré par exemple.

E. Campo : Ils ont la possibilité de faire de la configuration, dans le cadre de travaux pratiques, puisqu’il est ensuite possible de réinitialiser les paramètres d’origine des équipements. Ils travaillent par exemple sur des études de cas, où il faut adapter la Maison à telle ou telle pathologie. Des travaux pratiques ont aussi lieu dans des salles classiques, mais ils peuvent être déportés ici. L’intérêt d’un tel dispositif est de permettre aux étudiants d’être vraiment en situation. Il existe un TP sur la mise en place d’instruments médicaux à domicile, comme la configuration du « pouce seringue » en fonction d’un cahier des charges prédéfini.

P. Ourliac : Vous avez donc mis en place un cycle d’enseignement composé d’un environnement technique, logiciel, d’ingénierie etc. Vous avez développé un outil qui sert de laboratoire expérimental et d’application à ce cycle d’enseignement, et vous avez aussi mis en place une interface avec les industriels. Comment expliquez-vous vos choix aux industriels, qui pourraient avoir envie de pousser certaines expérimentations ? Comment cela s’articule ?

X. Daran : Nous sommes dans un monde en constante évolution, la vérité d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain. Les choix de fonctionnement faits aujourd’hui n’empêchent en rien que quelqu’un soumette un nouveau produit qui soit intégré à l’expérimentation. Tout est intégrable. Nous avons veillé à ce qu’il n’y ait aucune exclusivité, ni de marques, ni de produits, ni de services. Nous pourrions tout à fait refuser d’intégrer au projet un acteur proposant 5 millions d’euros contre l’exclusivité de la deuxième phase.

E. Campo : L’idée est de mettre en place une plateforme ouverte et évolutive pour que chacun trouve ce qu’il vient y chercher. Les industriels peuvent effectivement avoir plusieurs objectifs, comme évaluer certains produits existants, les chercheurs sont intéressés par des solutions qui peuvent ne trouver un débouché que d’ici une dizaine d’années. Les étudiants sont là eux pour utiliser, manipuler, les solutions et produits industriels existants.

X. Daran : Ce qui est aussi important c’est que si un industriel arrive dans la journée, il doit pouvoir immédiatement plugger son équipement. On lui impose seulement des contraintes de standards, de configuration. Si son produit n’est pas censé auto-détruire tout le reste, il n’y a aucun problème pour qu’il soit intégré.

P. Ourliac : Comment se passe l’intégration d’un élément qui n’est pas standard, qui au contraire apporte une rupture, mais qui pourrait avoir un bel avenir ?

X. Daran : Effectivement une telle situation serait plus compliquée, et nécessiterait de trouver une solution pour l’interfacer.

E. Campo  : La plupart des industriels proposent des solutions propriétaires. La seule contrainte pour eux est donc de trouver des interfaces qui permettent de se plugger avec ce qu’ils ont déjà. Ils arrivent chacun avec leur protocole radio qui n’est pas directement plug and play. Mais des interfaces existent, c’est à eux de les développer. On peut aussi proposer à des étudiants de travailler cela avec eux. Il faut rendre tout cela opérable, développer des passerelles.

P. Ourliac : Comment peut-on proposer des interfaces entre des choses en constante évolution, perdues dans l’espace car non normées ? Aujourd’hui vous êtes un laboratoire d’application. Peut être manque-t-il un volet prospective, qui serait alors de l’ordre du laboratoire d’expérience.

E. Campo : Vous avez évoqué les volets formation et entreprises, mais vous n’êtes pas revenu sur la partie laboratoire de recherche. Je suis moi-même enseignant chercheur, je travaille au sein d’un laboratoire sur des solutions qui ne sont pas encore commercialisées. Le chercheur a pour rôle de permettre ce transfert de technologies vers les industriels, qui eux ont la notion de modèle économique. Si la solution est séduisante, mais non rentable, ils ne se lanceront pas. En même temps, pour qu’il y ait modèle économique, il faut des incitations, peut être politiques ou autres. Un mélange global doit s’opérer. La difficulté n’est pas de savoir ce qui peut exister ou ce qui peut se passer d’ici quelques années, mais plutôt de savoir ce qui va marcher et ce qui sera diffusé. Des solutions très intéressantes ne trouvent aujourd’hui pas preneurs car elles sont très coûteuses.

X. Daran  : Dans ce mélange, on retrouve les trois points clés que nous avons déjà évoqués, à savoir la formation, la recherche et les acteurs économiques. Pour que cela fonctionne, il est impératif que les trois communiquent. Les étudiants vont participer au déploiement des technologies, la recherche sera avant-gardiste et au milieu, les acteurs économiques commercialisent les produits.

P. Ourliac : Où se trouve la collectivité dans ce processus ? Quelle place peut-elle occuper ? Ressentez vous des manques de ce côté là ?

X. Daran : Pour ce qui est des manques, je dirais qu’un des premiers obstacles concerne le contexte juridique. Il évolue selon nous trop lentement compte tenu des besoins et évolutions en cours. Cela sera au final frustrant pour les usagers.

P. Ourliac : Entendez-vous par là les réformes en matière de financement de la Sécurité Sociale ?

X. Daran : Je pensais tout simplement aux problèmes que nous avons pu rencontrer lorsque nous avons voulu mettre en place des serrures biométriques sur le site. Stocker des données biométriques dans un service public nécessite des autorisations spéciales. Seulement, nous sommes deux à gérer le projet, et nous avons du mal à répondre à la surcharge administrative que ce type d’initiative requiert. C’est le trinôme qui fait avancer l’expérimentation. Pour que cela fonctionne il est selon nous indispensable de raccourcir la communication. L’étudiant doit pouvoir rencontrer l’entreprise le plus souvent possible, qui elle même doit être en contact avec les équipes de recherche. Chacun doit pouvoir être en veille.

E. Campo : C’est la raison pour laquelle la Maison a pu être montée sur le site de l’IUT. L’institut est composé pour moitié d’enseignants chercheurs, la dualité est déjà fusionnée à la base au niveau de la formation et de la recherche. Le fait d’être un institut universitaire de technologies permet d’être en lien très étroit avec le tissu industriel. La formation compte un nombre important de vacataires industriels intervenant auprès des étudiants. Tous les ingrédients étaient réunis pour mettre en avant ce trio au sein du projet.

P. Ourliac : Vous avez donc un « pouvoir » de sensibilisation de la société civile, des politiques, des usagers etc. Comment se passe l’articulation avec le Pôle de référence e-santé de Midi-Pyrénées ?

E. Campo : Le lien avec le Pôle e-santé est très fort, ce dernier a été dès le départ très intéressé par la plateforme. Cela nous a permis d’obtenir une labellisation en tant que plateforme d’évaluation dans leur réseau de plateformes PlatInn-eS . Une convention réunissant le Centre e-Santé, l’Université et le CHU de Toulouse est en cours de signature. Les plateformes de démonstration sont aujourd’hui indispensables. Elles permettent de valider des essais. On est ici à mi-chemin entre l’in vivo et l’in vitro. On passe de l’hôpital au domicile, même si la Maison Intelligente n’est pas un vrai domicile. L’idée est de pouvoir permettre ce transfert, car le fossé entre les deux est encore assez grand. Raccourcir cet écart passe par de l’évaluation, des tests.

P. Ourliac : Quel est l’avis de vos collègues sociologues sur votre démarche ? Se saisissent-ils de la problématique pour se projeter, pour faire de l’étude ? Apportent-ils des idées nouvelles ? J’ai l’impression qu’aujourd’hui les chercheurs proposant des constats sont plus nombreux que ceux qui réfléchissent à des scénarios, et qui ensuite détricotent l’existant pour ainsi apporter des préconisations. C’est d’ailleurs là la posture adoptée par l’OTeN sur un projet mené avec la DATAR. Je suis d’accord avec le fait que les plateformes de démonstrations et de tests soient indispensables.

E. Campo : Dans un premier temps il est nécessaire de mettre en place une structure avec des produits existants, comme vous le verrez par la suite quand nous visiterons la maison. La partie recherche est elle convaincue qu’il faut partir des besoins, et va donc s’adresser à ceux qui sont au plus près des usagers, comme les médecins par exemple ou les sociologues, ergonomes, psychologues travaillant sur les questions du vieillissement. Ils sont au fait des besoins techniques à mettre en place pour répondre à certaines questions. On trouve donc une convergence entre les solutions pouvant être dans les cartons et les besoins existants. C’est ce que l’expérimentation tente de faire converger. Il est nécessaire de mettre en place en parallèle les solutions qui existent aujourd’hui. Cela permet de juger de l’intérêt de certains dispositifs, ou de les adapter pour un meilleur service et ainsi de voir comment ils pourraient être déclinés. Aujourd’hui les téléphones font un peu tout et parfois n’importe quoi. Il faut revenir à des choses simples, mettre en place des outils de communication permettant de renforcer le lien social. Par exemple, concernant l’usage des télécommandes, nous avons mis en place des solutions avec seulement deux ou trois boutons de couleur, et cela est largement suffisant. Encore une fois l’idée est de partir de l’existant, il ne s’agit pas de réinventer le fil à couper le beurre, mais de l’adapter pour répondre à un besoin. C’est ce que l’on tente de faire converger, avec parfois certaines difficultés.

P. Ourliac : Les chercheurs étudient, observent la plateforme en place et tentent d’en extraire des éléments pour l’avenir ?

E. Campo : Tout à fait, ce sont les besoins qui guident aussi la recherche.

X. Daran : En France, la dichotomie entre les sciences techniques et sociales est encore très marquée. Nous sommes effectivement des "techos". Le DUT expérimental de Blagnac a été le premier en France à associer Sciences techniques, Sciences humaines, Sciences économiques et Sciences médicales. L’écart entre technique et médical n’est pas très important, les deux mondes ont réciproquement besoin les uns des autres et se comprennent sans trop de difficultés. Concernant les Sciences techniques et humaines, le premier travail consiste à harmoniser les langages, les référentiels… qui ne sont pas forcément les mêmes pour les uns et pour les autres. Il s’agit d’un premier travail à faire, au niveau national. Nous avons essayé de mettre cela en avant dans ce projet.
P. Ourliac : Chacun garde ses spécificités, et les met à disposition sur un terreau commun. Les sociologues, les chercheurs, les prospectivistes ne trouvent pas normal que les techniciens mettent en place des applications, les mettant devant le fait accompli, d’autant plus lorsqu’ils sont en relation avec des industriels. Ce volet là est compliqué à décrypter, à expliquer dans le cadre des travaux que mène l’OTeN. Les légitimités existent de part et d’autre, il faut alors savoir réunir tout le monde, se mettre d’accord sur un territoire de projet par exemple ?

X. Daran : Il faut réunir tout le monde autour d’un existant.

P. Ourliac : Oui mais n’y a-t-il pas un risque de pervertir le modèle ?

E. Campo : Nous avons avant tout souhaité mettre en place un outil. Sans lui, les personnes mobilisées sur le projet n’auraient peut être jamais travaillées ensemble. Au travers de la formation on reste sur des échanges surtout conceptuels, alors que sur le terrain, on peut faire travailler des gens qui font de l’informatique ou de l’électronique, des gens faisant de la psycho. Il faut un champ d’application, donc un outil concret. Des chercheurs travaillent aujourd’hui sur l’interface ergonomique, pour par exemple des non-voyants ou des mal-entendants. La techno vient alors répondre à une demande d’interface adaptée, identifiée au préalable par un ergothérapeute par exemple.

P. Ourliac : Je suis tout à fait convaincu par la démarche présentée, ce que vous présentez mais est-ce généralisable en France ?

E. Campo : Il faut mettre en place un outil de référence sur ces questions là. Le débat vient en suivant et permet d’avancer.

P. Ourliac : Les Sciences sociales ont du mal à accepter cette démarche. Les prospectivistes et les chercheurs en Sciences sociales ne réfléchissent-ils pas d’abord aux concepts puis proposent des applications techniques ?

E. Campo : Et inversement, la techno propose des outils et cherche parfois à en imposer les usages.

P. Ourliac : Ici, au travers de la Maison Intelligente vous avez réussi à établir un consensus en proposant une plateforme technique qui est un constat de ce qui existe aujourd’hui et qu’il faut adapter. Vous êtes parvenus à "mettre tout le monde d’accord" ?

E. Campo : Cela n’a pas été facile à faire. Il a fallu fédérer les gens autour de la problématique, réussir à dégager deux ou trois priorités sur lesquelles tout le monde devait se concentrer, via son domaine de prédilection. Nous avons réussi à mettre en place 2 ou 3 projets régionaux, réunissant tous ces acteurs, ce qui a pu constituer une amorce de travail. Il s’agit de projet de type exploratoire, comme des PEPS .

P. Ourliac : Travaillez-vous avec l’Agence Nationale de la Recherche ?

E. Campo : Oui par le biais de nos laboratoires respectifs où nous déposons des projets de recherche dans lesquels la maison intelligente peut servir de terrain d’expérimentation. Il y a aussi d’autres voies possibles. Dans le cadre du Grand Emprunt par exemple, nous faisons parti d’un consortium toulousain qui a répondu à l’appel à projet EQUIPEX et où la maison intelligente est un des sites de validation. Au niveau de Toulouse on assiste à un gros effort associant tout type de compétences. Les technologues ou les sciences sociales ne sont plus isolées chacun de leur côté.

P. Ourliac revenons sur la question des collectivités. Au delà des phénomènes de communication, comment se sont greffés les acteurs politiques que sont La Région, le Département, la Communauté Urbaine du Grand Toulouse ? Ont-ils conscience de l’intérêt de tels projets ?

X. Daran : la Mairie de Blagnac est présente depuis le début. Le Grand Toulouse est aujourd’hui convaincu de la pertinence de tels travaux sur le domaine, tout comme la Région. Madame Belloubet est au Conseil d’Administration de l’Université, ce qui a permis les échanges avec le Président Filâtre . Du côté du Conseil Général, l’engagement est plus mitigé…

P. Ourliac : Les solutions techniques testées et appliquées concernent les industriels, ce qui renvoie au tissu économique, cela peut-il expliquer que le Conseil Général se sente moins concerné que la Région ou que la ville de Blagnac ? Peut-être comprennent-ils qu’il est possible de créer un pôle d’excellence autour de Toulouse, au travers de cette plateforme, mais que cela n’en est pas non plus l’ambition ?

X. Daran : Le Conseil Général gère pourtant l’APA , mais je pense qu’il ne perçoit pas le côté applicable des solutions technologiques. Je pense que la Région sera plus concernée, d’autant que la région Midi-Pyrénées présente une diversité de territoires. La problématique du Gers, de l’Ariège et de la métropole Toulousaine est radicalement différente.

P. Ourliac : On peut ajouter à cette liste Castres-Mazamet ?

X. Daran : Tout à fait, les expérimentations menées sur ce territoire sont tout à fait intéressantes. L’IUT travaille d’ailleurs avec eux. La Région a pris conscience que nous pouvions apporter des réponses aux besoins de ces différents territoires.

P. Ourliac : Seriez-vous prêt à « quitter » le monde de l’enseignement, de la recherche et de la plateforme de test pour aller vers un développement d’une structuration de filière, d’un domaine d’excellence ? Vous êtes les « mieux placés » pour aider les industriels, pour promouvoir des technologies et pour appuyer des collectivités ?

E. Campo : Notre objectif est de mettre à disposition un outil qui soit le plus adapté possible. Nous ne pourrons pas rentrer dans un processus de structuration d’excellence ou autre seuls. Il est nécessaire que chacun trouve sa place parmi les diverses initiatives déployées au sein de la région. Cela nous permettra de réunir la Région et le Conseil Général et de proposer des orientations claires. Aujourd’hui, nous sommes autonomes, agissant en fonction des moyens dont nous disposons.

P. Ourliac : Peut-être que est-ce là le rôle du Pôle e-santé, de structurer tout cela ?

E. Campo  : En effet, il a un rôle à jouer dans la mise en réseau et la structuration.

P. Ourliac : Quel est l’âge de la plateforme ?

E. Campo : Elle n’a même pas un an. Je comprends ce que vous sous-entendez lorsque vous impliquez les collectivités. Nous pourrions mettre en place une pépinière. Nous avons pour le moment engagé une réflexion sur la deuxième phase du projet, à savoir le prolongement de cette expérimentation. C’est maintenant que nous allons avoir besoin des collectivités, pour pouvoir investir dans des bâtiments en dur et pérenniser la structure, pour mettre en place des locaux ou du moins des espaces permettant à des entreprises de faire émerger de nouvelles solutions, ou de concrétiser des concepts qui sont aujourd’hui seulement sous la forme papier. Mais c’est une autre dimension du projet qui nécessitera la mise en place d’une gouvernance constituée d’autres acteurs répondant à des choix politiques dépassant le champ de compétence de l’IUT.

X. Daran  : L’acteur majeur devrait être la Région. J’ai suivi plusieurs des expérimentations menées par le Pr. Lareng en matière de télémédecine. Quelle est la tolérance du Français moyen à attendre plus de 6 mois pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmologue ?

E. Campo : Dans le Gers, un pôle d’excellence rural a été mis en place, autour d’une maison de santé pluridisciplinaire. Cela atteste de l’existence de besoins, en zones rurales notamment. En partant du postulat que le Haut Débit serait présent sur tout le territoire, on pourrait s’affranchir de problèmes liés par exemple aux débits proposés par les satellites qui desservent aujourd’hui les territoires isolés.

P. Ourliac : En terme de démonstration, il y a une possibilité de dupliquer, répliquer cette plateforme dans d’autres régions ? L’outil est-il modélisable ? Est-il possible d’en dégager des facteurs clés de succès pour pouvoir le répliquer ?

E. Campo : Il serait très facile de reproduire la même structure à la condition que toutes les compétences nécessaires soient disponibles. La spécificité ici est d’avoir pu, autour d’un outil, fédérer ces différentes compétences sur un même lieu. J’ai récemment discuté avec un collègue de la région de Limoges où de telles plateformes existent. La principale difficulté qu’il a rencontrée, est de fédérer les gens du monde de la technique et ceux des SHS. Ils ne sont pas parvenus à le faire.

P. Ourliac : En quoi réside votre secret ? Même si j’imagine qu’il s’agit avant tout de problème de femmes et d’hommes.

X. Daran : Nous devons faire face à un autre problème. Le DUT de Blagnac était supposé être une expérimentation réplicable sur le territoire national. Aujourd’hui, dix IUT sont prêts à ouvrir en France, mais Blagnac existe encore à titre expérimental. Nous subissons donc un double frein. D’abord au niveau État, l’expérimentation n’étant pas actée, le DUT n’est pas devenu un DUT pérenne. Par conséquent, le modèle n’est pas duplicable dans d’autres IUT.

E. Campo  : Pourtant, l’objectif premier des IUT est d’être dupliqué. Certaines Universités se sont positionnées. C’est une décision politique qui ne dépend plus de l’IUT de Blagnac.

X. Daran : Une des solutions au problème rencontré par le collègue de Limoges serait de pouvoir s’appuyer sur la formation. Dans le cas de la Maison Intelligente, la formation a eu le gros avantage d’être un point d’échange entre des enseignants chercheurs des horizons précédemment évoqués. Les gens ont ainsi commencé à se connaître et prendre conscience de l’intérêt d’un rapprochement. La formation a été le point de synergie. Nous militons donc aujourd’hui d’arrache pied pour que ce DUT soit dupliqué. Pour moi, le principal est que les gens se connaissent, le reste suivra naturellement.

E. Campo : Je suis tout à fait d’accord. Si la formation 2A2M n’avait pas existé, je ne suis pas sûr que la Maison Intelligente aurait vu le jour. Cela a permis de fédérer beaucoup de monde.

P. Ourliac : En effet, la formation oblige d’abord aux individus de se croiser pour mettre en place un programme pédagogique cohérent. Je reviens sur le référentiel précédemment évoqué. S’agit-il d’un référentiel commun formalisé ? Ou bien cela c’est-il décidé de façon informelle entre collègue ? Comment cela se matérialise ? Via la mise en place de séminaires ?

E. Campo : Un séminaire a eu lieu ainsi que des réunions de recherche. La première année a été consacrée à la mise en place d’un projet scientifique. Nous avons mis « la charrue avant les bœufs » ; c’est-à-dire qu’au lieu de commencer par écrire de façon pléthorique, pour au final ne rien concrétiser comme c’est souvent le cas, nous avons décidé de mettre en place une action. Nous avions déjà les idées donc nous avons pu aller vite. La structure a pu être mise en place après quelques mois de réflexion. Il a fallu écrire un projet scientifique, établir des priorités sur la thématique du maintien à domicile de personnes dépendantes, axée dans un premier temps sur la partie vieillissement. Il s’agit là d’un premier développement autour de ce thème, car les besoins diffèrent selon que l’on considère un handicapé jeune, plus vieux ou une personne valide âgée. Cela peut résumer l’objectif de la première année.
Nous avons également travaillé sur la partie gouvernance et fonctionnement. Le troisième temps est consacré à l’accueil des visiteurs. Nous avons aujourd’hui dépassé la centaine de visites. Il est important de faire connaître l’outil, de drainer les intérêts. Sur le panneau d’entrée, vous avez pu voir quels étaient les partenaires initiaux. Aujourd’hui, plus de 70 partenaires industriels ont donné un accord de principe sur leur appui et leur soutien. Il a fallu faire un énorme travail pour fédérer ces différents acteurs autour de quelque chose de concret, palpable. La structure peut maintenant être amenée à évoluer, mais il a fallu pour cela partir de l’existant. La Maison Intelligente représente ce que l’on est aujourd’hui capable de faire avec ce qui existe, dans l’aménagement de l’habitat, dans la partie supervision de domotique, dans la partie motorisation, sécurité, téléassistance et comment tout cela peut être aggloméré au sein d’un habitat. Aujourd’hui, on entend parler de dispositifs, mais on ne sait pas si cela fonctionne, où est-ce que l’on peut se les procurer. L’idée était de faire connaître les solutions.

X. Daran : Pour que cela fonctionne, il faut aussi sortir du monde de l’unique constructeur. Il faut mettre en place des expérimentations pour voir comment tout cela s’articule, être multicarte et vraiment présenter un lieu de vie.

P. Ourliac : vous mettez en place un outil qui est un prétexte pour appuyer votre démarche, permettant aussi de fédérer des gens pour développer un projet scientifique qui lui a plusieurs priorités et visions, dont notamment tester l’existant et faire par la suite des propositions. Celles-ci sont faites par les techniciens ou les SHS ?

E. Campo, X. Daran : Les deux !

E. Campo : Elles sont une convergence de tout le processus. Le besoin est identifié, on sait ce que l’on est capable de faire, ou pas et donc ce qu’il est nécessaire de redévelopper.

P. Ourliac : Cette démonstration semble trop idéale ! Les antagonismes sont trop forts entre les SHS et les techniciens…

X. Daran  : Pourtant en un peu plus d’un an, de nombreuses barrières sont tombées. Je vous donne un exemple. L’IUT est installé à Blagnac depuis 15 ans il dépend de l’Université Toulouse II le Mirail, et nous ne nous y rendions que rarement avant l’expérimentation. Depuis le lancement du projet, il ne s’écoule pas une semaine sans que nous allions au Mirail, à la Maison de la Recherche au autre. Tout simplement parce que nous avons besoin d’y aller.

E. Campo : A l’inverse, nous avons réussi à faire venir des personnes n’ayant jamais mis les pieds en plus de 15 ans sur le site de Blagnac, alors que l’IUT est une composante de l’Université Toulouse II. C’est une des raisons qui nous a conduit à mettre en place une salle de réunion jouxtant la Maison Intelligente, pour pouvoir nous réunir directement sur le site.

X. Daran : Les échanges avec l’Université sont aujourd’hui très nombreux, chose plus difficile il y a quelques années.

E. Campo : On peut aussi rajouter que le thème du vieillissement est un des axes prioritaires défini par la MSH , et au sens large, incluant la partie Sciences Humaines et Techniques.

P. Ourliac : Où se situe le milieu médical dans cette boucle harmonieuse ? Comment intervient-il ?

X. Daran : Il intervient d’abord dans la formation, avec les deux axes caractérisant le milieu médical au niveau français, c’est-à-dire le secteur public et privé. Vu de l’extérieur, le secteur public me semble plus performant concernant la recherche. Le privé est meilleur en terme de déploiement des technologies, ainsi que pour trouver des solutions à moindre coût pour une efficacité meilleure.

E. Campo : Ils interviennent dans la formation sur les projets en cours, essentiellement sur la partie expression des besoins, mais aussi dans la partie technique, puisque certains sont des gérontechnologues et ont donc une vision de ce qui existe au niveau technologique et font le lien avec une réponse sur le volet médical. (52’44) C’est très important car ils parviennent à faire le lien entre les deux champs disciplinaires.

P. Ourliac : parce qu’ils utilisent la technologie pour leurs gestes thérapeutiques ?

E. Campo : Cela concerne surtout les personnes âgées. Les professionnels ont une bonne connaissance des techniques existantes ou bien travaillent souvent avec les chercheurs au sein de projets de recherche sur des thèmes qui peuvent être soit la gestion des chutes, l’analyse comportementale etc. Ils sont au fait de la partie télésanté dans le sens mise en place de solutions techniques, récupérations des informations et interventions.

X. Daran : D’un autre côté, les ergothérapeutes ont eux des besoins en terme de produits pour le moment inexistants. Nous suggérons donc aux étudiants de travailler sur des solutions ou des demandes de développement sur des produits qui n’existent pas. Il s’agit là d’un exemple typique de projet tuteuré de fin d’étude pour un étudiant, cela a pu aussi faire l’objet d’une problématique de stage.

P. Ourliac : Est-ce que votre expérimentation a fait l’objet de sollicitations de la part des bailleurs sociaux et HLM ou encore de la part de maisons de retraites ?

X. Daran : Les bailleurs sociaux sont nombreux à venir visiter la Maison. Cela leur permet d’avoir connaissance des solutions existantes. Ils souhaitent d’ailleurs souvent les mettre en place, mais les projets d’habitat sont déjà en cours de construction, il est souvent trop tard pour les intégrer. En revanche, s’ils sont au stade de l’élaboration du projet, l’IUT est directement intégré à la réflexion.

P. Ourliac : Comment cela se concrétise ? Etes-vous mobilisés pour l’élaboration d’un cahier des charges ?

X. Daran : Il s’agit surtout pour eux de s’inspirer des solutions. Nous irons progressivement vers la mise en place de tels partenariats.

E. Campo : Certains visiteurs viennent en souhaitant tester et évaluer des solutions chez eux.

P. Ourliac : La Maison Intelligente peut-elle se déplacer pour aller dans un immeuble comme un HLM par exemple ?

E. Campo : C’est possible pour certaines solutions, à savoir celles qui ont pu être expérimentées et qui fonctionnent. Même si les usagers ne sont pas dans la boucle aujourd’hui, nous sommes capables de proposer des solutions valides, d’en présenter les avantages et les limites. En revanche, en ce qui concerne un éventuel modèle économique cela n’est pas de notre compétence. La Mairie de Blagnac a mis à disposition une zone de construction de 4000 logements supposés être un champ d’implémentation. L’IUT va donc pouvoir expérimenter, développer et choisir les solutions les plus matures sur des logements réels, avec des occupants.

P. Ourliac : Les bailleurs ont parfois du mal à comprendre l’intérêt de mettre en place la fibre optique dans les immeubles collectifs publics nouvellement construits. L’expérimentation menée ici permet de comprendre à quoi cela pourrait servir.

Elsa Baron à X. Daran : Pourriez-vous expliciter certaines des initiatives auxquelles vous faisiez allusion précédemment lorsque vous expliquiez que la France accusait un certain retard dans la mise en place de tels dispositifs ?

X. Daran : Les Nords-Américains, l’Europe du Nord sont très en avance dans la mise en place de tels dispositifs.

E. Campo : Il existe le réseau européen des Living-Lab, mais le concept n’est pas tout à fait le même, puisqu’il s’agit d’un réseau. On sait où sont réparties les compétences, il est donc facile d’aller les chercher. A Blagnac, c’est le processus inverse qui est proposé. Nous cherchons à faire venir les compétences au sein même de la structure. Le concept est donc différent. Il existe d’autres Maisons intelligentes, mais soyez vigilants si vous les recherchez sur Internet par exemple car ils s’apparentent plus, pour la plupart, à des shows-rooms qu’à de véritables plateformes pluridisciplinaires associant la recherche, la formation, l’industrie.

P. Ourliac : Vous voulez dire des « plateformes cohérentes » ? Parce qu’il en existe effectivement d’autres, comme celle proposée par Orange à Issy-Les-Moulineaux. D’autres sociétés comme Legrand, ou Schneider adoptent la même démarche.

E. Campo : Il s’agit pour moi de vitrines mettant en avant les produits fabriqués par ces entreprises, il faut donc être vigilant. En Europe du Nord, ils sont très en avance et ont depuis bien longtemps eu conscience de cette problématique.

P. Ourliac : Il serait en effet intéressant de savoir s’il existe des implémentations en dur dans des immeubles et si oui il faudrait réaliser un benchmark sur la question.


La Maison intelligente inaugurée à Blagnac par teletoulouse-wizdeo

L’entretien est terminé, nous avons ensuite pu visiter la Maison Intelligente.

La Maison Intelligente de Blagnac est ouverte aux visiteurs, vous pouvez prendre rendez-vous avec M. Campo et Daran pour de plus amples renseignements :

Eric Campo : campo iut-blagnac.fr | 05 62 74 75 51

Xavier Daran : daran iut-blagnac.fr | 05 62 74 75 54

http://maps.google.fr/maps/place?ci...> Pour s’y rendre

Via un article de Philippe OURLIAC, publié le 15 novembre 2011

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