INTERNET ou la cité retrouvée

Nous savons peu de choses des bouleversements dont les NTICS sont capables, sinon qu’ils seront d’une ampleur sans précédent. Déjà, nous nous sommes mépris sur la nouvelle économie. Mais les interrogations concernent l’ensemble de notre société à tous ses niveaux et en tous domaines.
L’Inconnue est totale. Le laboratoire est quotidien, ouvert à tous. Chacun a son rôle à jouer pour éviter de commettre l’irréparable.
Si rarement progrès n’a autant soulevé d’interrogations, c’est aussi la premiere fois qu’il porte nombres de remèdes aux risques qu’il véhiculent, cela à condition que tous participent au SVP_laboratoire associant Savoir techniciens, Vouloir Citoyens et Pouvoirs collectifs.
pour l’émergence du libbéralisme citoyen centré sur l’homme grégaire.

INTERNET ou la cité retrouvée


CITE & "CONTRAT SOCAL" :

Emanation historique d’une population, la cité est censée réaliser le "contrat social" par lequel chaque citoyen contribue selon ses possibilités, pour en retour prétendre à ce dont il a besoin. Quoi de plus normal, mais aussi de plus difficile à vivre ! Nous sommes chacun porteurs de possibilités et aspirations propres qu’il nous faut conjuguer avec nos diverses consciences individuelles, familiales, civiles, professionnelles.

Quant aux cités, tels les individus, elles échangent, coopèrent, s’organisent, se subdivisent, s’assemblent en d’autres cités. Qu’elles s’appellent village, ville, pays, état, fédération, chacune est différente, conjuguant les mêmes valeurs fondamentales de l’homme grégaire avec son propre environnement fait de ressources, de climats, d’économies, de cultures, d’histoire,....

Le tout aboutit à notre système socio-économique aussi imprévisible que notre météo céleste. Accalmies et tempêtes naissent et disparaissent aux confins des zones de confiance ou de doutes. Des premières soufflent les co-pouvoirs du "progrès", tandis que les secondes lèvent les nécessaires "contres-pouvoirs", tantôt modérateurs et source d’équilibre, tantôt stimulateur, sources de mouvement.

DERIVES LENTES :

Mais, à la différence de notre ciel, "il fait la société que nous faisons". Mue par nos aspirations immédiates, la "libre concurrence" engage l’économie dans une course à la rentabilité toujours accélérée que sanctionnent nos valeurs boursières. Fondées sur l’anticipation du marché des biens, celles-ci sont dépourvues de véritable signification sociale. Progressivement, les entreprises se sont alors éloignées de leur fonction fondamentale d ’instrument du contrat social devant permettre l’échange "contribution-obtention" nécessaire à chacun. Devenues finalité de leur propre système de valeurs, elles contribuent au démembrement de l’individu désormais partagé entre deux vies intra et extra-professionnelle.

La tentation de "faire affaire ailleurs", porte aussi atteinte à la cohésion inter-citoyenne : qu’il s’agisse du citoyen désireux de travailler moins ici, tout en s’approvisionnant là où d’autres travaillent plus pour moins cher, ou de l’entreprise faisant ses fruits ailleurs que là où elle est implantée...

L’INNOVATION S’EMBALLE... ou les NTIC pour le pire ?

E_mail, e_commerce, e_ceci, e_cela... plus encore, les perspectives d’innovation sans limite qu’offrent les Nouvelles Technologies ont déplacé les valeurs du monde des biens vers celui des idées initiatrices des entreprises. Elles ont ainsi ajouté un nouvel étage d’anticipation, avec à la clé le nouveau style d’entreprises dites "à forte croissance". L’innovation devenue valeur, l’"investisseur à risque" pari désormais sur l’idée de l’entrepreneur... Pour peu qu’elle dure, rendez-vous sera pris pour l’échéance d’introduction en bourse. Investisseurs et entrepreneurs auront alors rempli leur premier contrat assorti d’une première plus-value. "L’Entreprise alors vivra ce que vivra l’idée : l’espace d’une mode, parfois moins... qu’importe, les idées ne manquent pas, couvrant rien de moins que la transposition de nos secteurs d’activités vers L’"eldorado" des espaces d’e_activité.

Mais parce que ces mêmes technologies concernent l’information et la communication - essence même de la vie en société - c’est de la cité elle-même qu’il y va, entraînée dans une spirale de l’innovation aveugle et courte, bornée de l’incontournable "retour sur investissement" - une spirale dont trop souvent sont absents les acteurs habilités à réglementer et qui, parce qu’elle flatte de plus en plus nos instincts, ouvre comme rarement les portes de l’irréparable.

Pourtant, l’histoire ne nous rappelle-t-elle pas quotidiennement d’autres progrès où chacun a cru un jour trouver son compte, n’en percevant les inconvénients que plus tard ? Témoin notre voiture qui nous a fait libre d’aller ici et là... nous connaissons la suite : vitesse, donc temps libre, donc temps disponible sitôt avalé par un monde planifié, rationalisé à l’extrême, aux limites de ce temps gagné, toujours insaisissable,... Faut-il évoquer la dispersion de l’habitat, ou encore la SVP_distribution (Super-marché, Voiture, Parking) qui désertifie nos villages.

Qu’attendre du Grand WEB par qui tout est partout à la fois : informations, évènements... y compris nous même, capables de colporter nos sens, voir et entendre ici, télé-agir ailleurs, s’adresser à tous, être au doigt de tous ? Lequel, du cyber-citoyen ou du "cyber-monde" disposera de l’autre ? Qu’adviendra-t-il de celui qui ne sera pas branché ? Que penser de cette nouvelle manière anonyme d’être en ligne, hier délictuelle, aujourd’hui valeur des cyberespaces irresponsables où le client (l’informé), exposé aux tentacules des serveurs furtifs, est tenu de se déclarer plus souvent qu’à son tour ? Et tout cela n’est-il pas que broutilles songeant au marché de l’éducation que convoitent les géants de l’"information".

Quelle justification donner aux nouvelles entreprises aussi exigeantes qu’éphémères ? Plus que jamais perméables aux caprices boursiers, elles pèsent directement sur les employés dont elles brûlent le précieux savoir-faire pour des idées souvent de paille. Quel crédit accorder à l’économie qui voit s’amenuiser le temps de la réflexion ? Une nouvelle économie telle une gigantesque start-up opérant à l’échelle d’un continent avide de matière grise importée de toutes parts... Et l’Europe ? Et le Sud ?

Si hier nous inventions la vitesse, aujourd’hui, c’est l’innovation qui s’emballe, gommant temps et géographie. Alors que la sphère mondiale nous impose ses limites, monte en pression, il n’y a plus d’échappatoire.Plutôt que de surfer sur ses chaos l’heure n’est-elle pas à plonger pour en redessiner l’intérieur, répartir au mieux les poussées pour en ménager l’enveloppe et faire ressurgir en surface les préoccupations finales de vie en société - trouver les voies de l’"innovation sensée et raisonnée" pour bâtir la cité des cités.

Pour citer un sociologue [1], "Nous entrons dans la Galaxie Internet totalement désorientés [...] et ce à une vitesse telle que la recherche, elle-même rattrapée, ne peut produire suffisamment d’études empiriques sur les comment quoi et pourquoi de l’économie et la société INTERNET [---] Profitant du vide relatif d’enquêtes fiables, l’idéologie et les phrases creuses envahissent les discours sur ce qui néanmoins reste une réalité fondamentale du monde en construction" Cela tandis "qu’influencés par la psychologie collective et les turbulences de l’information, les nouveaux marchés accordent peu de place à l’évaluation du contexte inédit où opèrent les entreprises"

Le réveil des "sucres lents"... ou les NTIC pour le meilleur :

Fatalité ? Justement non ! Comme l’avait fait remarquer Tim Berner Lee (co-fondateur du WEB), "Le WEB est plus une innovation sociale que technologique [...] nous sommes loin d’avoir pris conscience de son potentiel [2]". Nous sommes à mi-chemin. Le vrai progrès réside dans les utilisations qui pour l’essentiel sont à découvrir. Les technologies sont porteuses des remèdes aux inconvénients qu’elles véhiculent. A condition de le vouloir, elles ont les moyens d’imposer l’autrement : "celui du contrat social rénové".

L’anticipation ne nous demande-t-elle pas de "lever le nez du guidon" apercevant enfin l’idée plus lointaine d’une cité retrouvée, réconciliant nos consciences diverses en celle unique de citoyen omniprésente dans et hors des entreprises. N’est-ce pas là le ralentisseur source de stabilité, d’apaisement, le "sucre lent" d’une nouvelle économie durable ?

- NTIC pour tous :

Une citoyenneté que les technologies ont justement le pouvoir de réveiller en offrant à tous les moyens d’exister, de contribuer à l’immense "laboratoire ouvert" où s’élaborent les nouveaux e_espaces. Mariant textes, image et son le multimédia repousse les limites du possible. L’oreille devient l’œil de l’aveugle, et l’œil l’oreille du sourd. Tel notre bon vieux code de la route, les picto_signes sont les mots pour le dire, ils guident, dirigent. L’image résume, raconte. Mais, l’accessibilité ne s’adresse pas qu’au handicap. Plus généralement, elle est préoccupée de donner à chacun la possibilité d’exister et d’exercer son rôle. Ainsi, la "re-mutualisation" des trafics de télé-achat (France Telecom), de télé-paiement et de livraison (les Chèques Postaux, La Poste) ne pourrait-elle contribuer à rendre les espaces du télé-commerce accessibles aux petits vendeurs, lesquels n’étant pas en mesure de déployer eux-même leur réseau, sont actuellement pénalisés par les frais de port qu’ils assument séparément ?

- Les NTIC redessinent la cité :

En rendant la communication sans entraves, les technologies sont en mesure de révéler une autre géographie humaine assortie de nouvelles mœurs et manière de vivre. Il est ainsi possible d’imaginer une organisation hybride restituant aussi bien individus en réseau et réseau d’individus.

D’un coté La cité devient multiforme rendant compte de liens appartenances familiales, territoriales, professionnelles, culturelles... autant de forces qui peuvent s’exercer différemment d’une cité à l’autre, ainsi qu’aux différents stades de vie personnelle, l’attachement territorial pouvant d’abord préférer la famille puis progressivement faire place à d’autres exigences (professionnelles, de santé,...)
De l’autre, chacun développe son espace de vie à géométrie variable et restitué grâce à la mobilité des équipements support..

Tels les individus, les cités s’assemblent se font, se refont selon différents repères de ressources, de culture, d’économie... elles s’appellent villes, pays, régions, nations, fédérations, mais aussi religions, mouvement politiques, gouvernementaux ou non,...

- NTIC et éthique :

De même, la faculté qu’ont ces mêmes technologies de redistribuer les forces est susceptible de redonner sens à l’économie et ses entreprises. Peu à peu, l’idée que l’entreprise doit avoir une éthique fait son chemin : qu’il y aille de la reconnaissance qu’elle accorde à ceux qui la font, ou du sens des biens qu’elle dispense. Quel que soit le niveau où elle opère, pour être acceptée et reconnue, l’entreprise est responsable non seulement devant ses actionnaires, mais aussi de plus en plus devant ses clients, ses employés, les habitants de la région où elle est implantée, en générale tous ceux qui, de prés ou de loin sont en relation avec ses activités.

Ces perspectives n’appellent-elles pas non plus d’autres pratiques de concurrence qui verraient "co-pouvoirs et contre-pouvoirs" partager le même théâtre de la cité, et participant ainsi de l’ensemble des valeurs et forces qui s’y exercent : familiales, sociales, économiques,... ? Plutôt que d’aborder le marché en terme de parts conquises docilement retransmises au gré des rachats ou fusions, ne s’agira-t-il pas d’avantage de s’allier une clientèle devenue responsable, capable de peser à bon escient ? Récemment, Snow Brand Food, géant de l’agroalimentaire a payé cher de ne pas l’avoir compris. Forcé d’admettre qu’il avait triché sur la provenance de produits, il n’a eu d’autres issues que de disparaître. Si guerre économique il y a, pourquoi le crime ne le serait-il pas ?

- L’exemple du Laboratoire Ouvert :

Enfin, face à l’engouement et l’inconnue totale dans laquelle émergent les nouveaux usages, l’histoire des Nouvelles Technologies nous suggère aussi une nouvelle manière d’éclairer l’avenir. Leurs inventeurs qui en ont été les premiers utilisateurs, ont aussi été préoccupés d’éviter l’enfermement et d’élargir constamment le cercle en diffusant librement leurs savoirs et résultats grâce aux réseaux. Chacun a ainsi apporté sa pierre à l’édifice en étant reconnu de ses pairs. Ainsi, le WEB s’est forgé à l’enclume de la communauté émergeante d’INTERNET. De même LINUX, né de la stratégie ouverte de l’open-source est devenue l’alternative au WINDOW de l’Américain "Bill Gate". Partisan de la fermeture, ce dernier a cependant contribué à combler le vide délaissé par l’élite technicienne peu préoccupée du grand public.
Ainsi, "Coopération relativement désintéressée alliée à la libre circulation des connaissances et des résultats" se sont avérés aussi propices, voire davantage à l’innovation féconde et pertinente, que ne l’ont été "libre concurrence et droits de propriétés".
Plus qu’une préoccupation d’ingénierie ne devons-nous pas y voir aussi la "nouvelle innovation sensée et raisonnée" capable de composer avec l’engouement aveugle pour remettre le progrès à l’endroit ? Une manière de mobiliser et "mutualiser" compétences et savoirs pour alimenter les cycles "comprendre, faire, utiliser".

Savoir, Vouloir, Pouvoir ... ou l’alliance pour la cité retrouvé :

La cité est le fruit du vouloir de ses citoyens qui pour cela délèguent aux collectivités citoyennes (territoriales) le pouvoir de la concevoir dans ses lois et fonctionnements. Citoyens et collectivités ont ensuite recours aux savoirs et compétences des opérateurs bâtisseurs d’espaces technologiques

Comme la cité précède l’économie, il importe que les nouveaux espaces d’existence citoyenne encadrent et façonnent la nouvelle économie et non l’inverse. Il importe de ne pas laisser s’installer la confusion facile des rôles "d’inventeurs fournisseurs des technologies" et ceux "d’inventeurs-faiseurs des espaces citoyens" fondés sur ces mêmes technologies. Aujourd’hui, le risque est en effet réel que la "e_Cité" ne s’invente au jour le jour, à la seule convenance des acteurs techniques, géants de l’information et de la communication, tentés de s’approprier le pouvoir pour imposer leurs vouloirs dictés par les seules exigences du marché technologique concurrentiel.

S’il faut parler e_libéralisme, il ne peut s’agir que de celui "citoyen" résultante de toutes les forces en présence au sein de la cité. Il importe que chaque catégorie d’acteurs prenne conscience de son rôle et l’exerce au sein du laboratoire ouvert à tous, pour une économie concurrentielle mais ouverte et citoyenne.

- Le SAVOIR des inventeurs d’espaces technologiques :

Les inventeurs-opérateurs des nouveaux moyens d’information et communication occupent une position particulièrement exposée de précurseur. Celle-ci notamment leur suggère d’abord de savoir distinguer entre les métiers d’inventeur-fournisseur de techniques d’une part (le matériel de l’intelligence [3]), et ceux d’inventeurs fournisseurs des espaces technologiques d’e_activité d’autre part (l’intelligence [3]). Ces derniers métiers concernent la nouvelle citoyenneté déclinaison moderne et sans frontières des préoccupations plus anciennes de service public. Plutôt qu’une contrainte du passé ringuard, pour qui saura la saisir, l’émergence des nouveaux espaces de citoyenneté peut s’avérer comme l’opportunité d’alliance germe d’une nouvelle économie citoyenne où chacun trouvera son compte. Une alliance point de départ d’un itinéraire suggéré, pour forger à l’enclume de la cité une offre aux valeurs et qualités notoirement reconnues, vérifiables, adaptable à d’autres cités.

Premiers utilisateurs avertis des nouveaux moyens d’information et communication, ces mêmes opérateurs d’espaces doivent pour cela être aussi préoccupés de stimuler la prise de conscience et la réflexion indispensable près de tous ceux qui font, exercent ou vivent la cité : associations, collectivités, éducation,... et initier le processus d’alliance.

- Le Vouloir des Citoyens :

Mais tant que les citoyens n’exerceront pas leur présence ailleurs qu’à l’occasion des seuls rendez-vous politiques, les entreprises et l’économie n’auront pas d’autres choix que d’obéir aux lois de la concurrence technologique pure. Le vote est quotidien. Les associations qui viennent de célébrer trop discrètement le centenaire de leur loi ont plus que jamais leur rôle de levier à jouer, capable de canaliser aux bons moments et bons endroits, les aspirations de tous ordres. Les nouveaux moyens d’information et de communication sont en mesure de leur apporter une dynamique nouvelle.

- Le POUVOIR des Collectivités Citoyennes :

Mais d’abord, il importe que les collectivités citoyennes de tous niveaux occupent leur place dans le processus de défrichage et d’invention de la cité nouvelle pour stimuler la SVP-alliance indispensable des Savoir techniciens, Vouloir citoyens, et Pouvoirs collectifs et veiller aux conditions préalables d’émergence des valeurs e_citoyennes. Parmi celles-ci figurent l’accessibilité pour tous des nouveaux espaces ainsi que la "modernisation préservée" des espaces éducatifs, lieux relais où se forge, s’actualise et se retransmet, la conscience socio-économique des futurs citoyens, rempart indispensable aux dérapages de toutes sortes. Pour cela, les collectivités citoyennes doivent se mettre elles-même être en situation de comprendre les enjeux, en étant au contact des lieux d"émergence des nouvelles possibilités et nouveaux usages.

Y Gicquel (gicquely@wanadoo.fr)


[1] Manuel Castells "La Galaxie INTERNET" Fayard Déc 2001|

[2] Courriers de l’UNESCO Sept 2000 |

[3] Joseph Ki-Zerbo "L’Universel et le Particulier" - Courriers de l’UNESCO Déc 93

Posté le 29 juillet 2002 par yves gicquel

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