Licences OpenData : L’APIE grille la priorité à ÉtaLab et invente le pseudo-libre

Lorsque plusieurs administrations travaillent ensemble, elles essaient généralement de coordonner leurs actions de communication. Cela devrait donc être le cas entre la mission ÉtaLab, l’APIE, le COEPIA et les administrations des différents ministères dans la mesure où elles ont été chargées par le Premier Ministre de travailler ensemble, sous la direction d’ÉtaLab, sur la question d’une licence gratuite de ré-utilisation des données publiques durant l’été.
Licence gratuite de l’APIE : une sortie surprenante
Aperçu de la licence V2 de l’APIE

C’est donc avec une certaine surprise que le petit monde de l’OpenData français a découvert lundi dernier la publication sur le site de l’APIE du laconique message suivant :

« L’APIE publie, à titre de contribution aux réflexions engagées dans le cadre d’Etalab et de la mise en ligne du portail data.gouv.fr, une version V2 de sa licence de réutilisation libre et gratuite. »

Dans l’absolu, le contenu de cette nouvelle version de la licence APIE n’est pas très surprenant : cela faisait plusieurs mois que la sortie imminente de cette fameuse version 2, supposée compatible avec les licences libres, était évoquée et attendue par les collectivités utilisatrices de la version actuelle. Alors que Nantes et la Gironde (PDF) viennent de rejoindre l’ouverture en adoptant comme Paris une des licences libres existantes (l’ODbL), l’APIE espère peut-être ainsi faire illusion auprès de certaines collectivités.

La première surprise vient du nom retenu par l’APIE. Alors que l’Agence avait fait le choix du nom « Licence de réutilisation d’informations publiques délivrée en application de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 et prévoyant une livraison successive des informations » puis de « Licence Click », elle a pris la liberté d’en changer l’intitulé pour adopter celui de « Licence Informations Publiques » qui crée une claire confusion avec le travail réalisé par le Ministère de la Justice, auteur d’une licence portant le même nom et pourtant partenaire du groupe de travail sur les licences.

Du point de vue du calendrier, c’est également une certaine surprise. Alors que la circulaire présente l’APIE en partenaire de la rédaction de la licence gratuite en vue d’une publication fin août, ce billet officialise ce qui transparaissait en filigrane : après avoir exprimé de façon répétée des positions plutôt opposées à l’OpenData, l’Agence du Patrimoine Immatériel de l’État se retrouve reléguée de son propre aveu au rôle d’acteur auditionné, espérant que son point de vue sera retenu après la publication à la va-vite d’un document de toute évidence pas finalisé.
Les conditions d’une licence Open Data française

La précipitation de l’APIE est d’autant plus surprenante qu’elle suit de quelques jours notre audition par la mission ÉtaLab, audition à laquelle l’APIE, également conviée, nous avait présenté une version légèrement différente de ce texte. Les ayant alertés sur les sérieux risques d’incompatibilité de leur travail avec les licences libres existantes, nous reproduisons ci-dessous les commentaires déjà exprimés oralement lors de notre audition.

Cette audition fut l’occasion pour nous d’exposer la position explicitée par la déclaration pour l’OpenData déjà signée par près de 500 personnes et organisations au cœur du travail sur les licences libres et l’OpenData, à l’image de la Sunlight Foundation ou de Wikimédia France. Cette position est également soutenue par les responsables de nombreuses plateformes locales existantes, par exemple Paris, ou même Montpellier, par ailleurs utilisateur de la licence APIE.

Afin d’assurer un maximum de réutilisations et la compatibilité avec les projets libres existants et l’OpenData en général, ÉtaLab devrait selon nous :

soit adopter une licence libre existante parmi les OpenDataCommons et la CC-0,
soit rédiger une nouvelle licence sous conditions libres et qui assure, à l’image de l’Open Government Licence anglaise, la compatibilité explicite avec les licences précitées.

Il est intéressant de noter que nous sommes au moins tombés d’accord avec l’APIE sur le fait que la solution la plus simple en matière de mise à disposition des données publiques resterait encore dans l’absolu de s’en remettre au droit existant et de n’apposer aucune licence, c’est à dire de considérer les données publiques comme résultant du domaine public. Mais les remontées des différentes administrations montrent qu’une licence est plus rassurante pour les producteurs de données et c’est le choix gouvernemental annoncé par la directive. Il convient donc de formuler une licence simple, explicite et expurgée de tout superflu.
La LIP V2 de l’APIE : une licence non-libre

Nous nous sommes donc d’abord félicités auprès de l’APIE de la reconnaissance de l’importance de la gratuité et des usages commerciaux, avec la disparition des possibilités de paiement et contraintes permises par l’ancien article premier. Il est encourageant également que la clause d’acceptation de la licence avec case à cocher ait définitivement disparu, passant ainsi d’une licence à contracter individuellement à une licence publique.

Malheureusement, plusieurs points noirs restent au tableau de cette V2 :

Tout d’abord, il ne suffit pas de se prétendre compatible avec le libre pour le devenir !La circulaire du 26 mai explicitait à plusieurs reprises que les données devraient être mises à disposition « librement, facilement et gratuitement » et l’APIE a donc fait l’effort de préciser en préambule que cette licence est « compatible avec les licences libres existantes ». Non seulement cette précision est apportée en préambule et donc sans la même valeur juridique que les articles de la licence, mais surtout, l’interprétation et la définition des « licences libres existantes » ne saurait être plus floue et insécurisante devant un magistrat. Comme l’Open Government Licence en Angleterre, une licence compatible avec les licences libres se doit de spécifier clairement ce qui est défini, en indiquant par exemple nommément une liste de licences compatibles existantes ou en se référant à des principes clairs comme ceux de l’Open Definition.

L’affirmation d’une compatibilité avec des licences libres existantes est d’autant plus troublante que l’article premier est notamment consacré à une notion tout aussi floue de non-dénaturation des données, qui pourrait se montrer totalement incompatible avec les licences libres précitées. La réutilisation des données publiques repose sur la manipulation, l’agrégation et la constitution de nouveaux jeux de données enrichis. Qui déciderait donc de la dénaturation d’une information ? Une telle clause crée une grave insécurité juridique qui limiterait de façon considérable les réutilisations notamment par les projets libres existants comme Wikipedia ou OpenStreetMap.

Par ailleurs, la responsabilité du ré-utilisateur de données est naturellement engagée dès lors qu’il rend publique sa réutilisation et cela est spécifié clairement à l’article 4. La répétition de ces éléments à la fin du même paragraphe dans l’article 1 est assez surprenante : en plus de troubler l’organisation de la licence, elle laisse supposer une possible utilisation de la « non-dénaturation » évoquée précédemment pour attaquer juridiquement les ré-utilisations qui ne plairaient pas à l’administration.

L’intérêt d’une licence gratuite est d’accompagner l’accès et la ré-utilisation de tous aux données et documents publics en estimant que ces derniers font parti du bien commun. Si nous nous réjouissons que cette nouvelle version ne fasse plus référence à des restrictions liées au droit d’auteur, il subsiste, avec l’introduction de notions de droit privé, de dangereuses restrictions possibles sur les données. Il n’est par exemple pas normal que la responsabilité des ré-utilisateurs soit engagée dans l’article 1 sur des notions définies par le code de propriété intellectuelle comme la reproduction de logos ou de marques. Un problème identique se pose concernant la publication de données personnelles : nous nous sommes toujours opposés à la publication par les pouvoirs publics de données personnelles surtout lorsque ces dernières n’avaient rien à voir avec le fonctionnement des institutions démocratique. Si l’administration fait le choix de publier des informations nominatives, elle ne peut en faire assumer la responsabilité aux ré-utilisateurs.

Enfin, la conservation au sein du nouvel article 3 de la clause déclarant le retrait possible par l’administration des données mises-à-disposition semble superflue et peu rassurante. Si l’administration ne peut plus assurer un jour la fourniture de nouvelles versions des données, ces dernières ne sauraient disparaître des plateformes publiques et n’engageraient pas la responsabilité de l’administration au delà de la date de dernière mise-à-jour clairement indiquée. Une telle spécification dans une licence n’apporte rien sinon des freins complémentaires.

Groupe de travail licence gratuite, des problèmes de communication ?

Alors même que le gouvernement annonce vouloir revenir notamment sur la vente de la base des prix du pétrole, l’APIE semble voir la question des données publiques lui échapper de plus en plus depuis que le décret et la circulaire du 26 mai ont pris une direction opposée à la sienne. La surprenante publication de ce texte semble révéler un problème d’organisation de la communication autour de la future licence de data.gouv.fr. En s’appropriant le nom préalablement choisi par un des ministères partenaires et en publiant des informations sans apparente coordination avec ÉtaLab, l’Agence semble ainsi abattre sa dernière carte pour conserver ses prérogatives sur les données publiques. Mais cela aurait sans doute été plus efficace si le travail présenté avait été plus abouti, prenant mieux en compte les réalités juridiques de l’Open Data, et publié de manière moins précipitée.

L’adresse originale de cet article est http://www.regardscitoyens.org/lice...

Via un article de Roux, publié le 22 juillet 2011

©© a-brest, article sous licence creative common info