Un article repris du Blog de Philippe Aigrain et publié sous contrat Creative Commons by
Hier, le Commissaire Barnier intervenait dans une conférence sur Industries créatives : innovation et croissance [1]. Il y a annoncé « une initiative majeure se focalisant sur les fournisseurs d’accès pour combattre le piratage en ligne, parce qu’il ne veut pas criminaliser les consommateurs ». Il a ajouté que cette stratégie serait développée avec les commissaires Kroes (agenda numérique) et Vassiliou (culture).
Cette annonce marque un nouveau stade dans la guerre au partage dans la sphère numérique : après les procès aux usagers pour contrefaçon, après les sanctions automatisées et la criminalisation de certains outils, on entend priver directement les usagers de l’accès aux moyens de partager par des pressions sur leurs fournisseurs. Tout comme la riposte graduée était présentée comme plus douce que le procès pour contrefaçon, la transformation des fournisseurs d’accès en auxiliaires de police « évite de criminaliser » certains usagers, c’est à dire qu’elle les traite tous d’avance en criminels [2].
En tant que critiques de ces politiques, nous avons une certaine responsabilité dans le fait qu’il soit encore possible pour certains de les défendre. En effet, nous avons mis l’accent sur le fait que les moyens de la guerre au partage entre individus portaient atteinte aux droits fondamentaux. Mais nous avons du coup négligé de souligner que c’est le but même de cette guerre qui porte atteinte aux droits fondamentaux. Il faut y remédier d’urgence. Il faut affirmer haut et fort que le partage entre individus sans but de profit des œuvres numériques est un droit fondamental, une condition nécessaire de l’exercice des droits définis dans l’article 27.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
[3] dans les conditions de notre époque.
Le partage hors marché est l’acte de transmettre ou rendre accessible à une autre individu, sans but de profit, une production de l’esprit qui est en notre possession sous forme numérique. Cet acte crée les conditions de ce dont nos prédécesseurs ont rêvé depuis une vingtaine de siècles : mettre en commun le savoir, les idées, les opinions et les créations humaines, selon les choix de nos intérêts et de nos pratiques. Ce qui est criminel, c’est d’accepter que nos contemporains puissent être privés de cette capacité. Les politiques de guerre au partage ne sont pas mieux fondées en politique qu’elles ne le sont en droit : en effet il n’existe aucun risque que la reconnaissance du partage ne vienne assécher l’abondance et la qualité des créations et des expressions, bien au contraire. La reconnaissance du partage et la sortie (à nouveau) des pratiques hors marché des individus du champ du copyright [4] sont le premier pas vers la mise en place de nouvelles conditions d’existence économique de pratiques culturelles dont l’échelle ne cesse de s’étendre.