Une interview de Bastien Guerry, animateur de l’association wikimédia France, par Owni

Bastien Guerry : Faire des institutions des acteurs de la culture libre

à propos de la coopération 0 toulouse des archives, de la biliothèque et du muséum avec wikipedia

Reprise d’un article publié sur le site Owni

magazine de journalisme numérique en creative commons

L’association Wikimédia France, chapitre français de la Wikimedia Foundation, mène tranquillement son bout de chemin depuis 2004, mettant en place des actions de diffusion de la culture libre. Bastien Guerry, chargé de mission depuis 2010, revient avec nous sur trois projets majeurs portés par l’association : le projet Phoebus en collaboration avec le Museum de Toulouse, la diffusion du fonds Eugène Trutat avec les Archives de Toulouse sur Wikimedia Commons et enfin, le dépôt de livres libres de droits sur Wikisource avec la Bibliothèque nationale de France et Gallica.

Un travail au long cours avec les institutions, les administrations et la communauté des contributeurs autour de la question de la diffusion des savoirs, des licences libres et du droit d’auteur.
Comment est né le projet avec museum Toulouse ?

Archaeodotonsaurus, passionné d’anthropologie et de photographie, utilisateur de Wikipédia, avait en tête un projet ambitieux de partage de photos scientifiques de qualité à partir des collection d’objets préhistoriques du museum de Toulouse. En avril 2009, il rencontre sur les pages de discussion de Wikipedia la présidente de l’association Wikimedia France, Adrienne Alix. A partir de cette rencontre naît l’idée du projet Phoebus et ils se rencontrent très rapidement en juin 2009. Je suis embauché en février 2010 et le projet s’accélère avec la mise en place d’un suivi au quotidien du projet qui est rapidement soutenu par la mairie, dont le museum dépend.

Tout notre travail était d’assurer une coordination efficace entre la volonté de la mairie, la disponibilité du museum et celle des volontaires qui pouvaient contribuer à prendre des photos pour ce projet

Bifaces de la vallée des rois, Thèbes, Egypte

Quel a été le rôle de Wikimédia France dans ce projet et qui étaient les autres acteurs ?

L’association Wikimedia France a proposé de mettre à disposition des volontaires pour prendre des photos des objets des collections préhistoriques, et le museum nous a ouvert l’accès à ses collections pour les prises de vue. D’un côté le museum débloquait du temps et de la bonne volonté et du côté de Wikimédia France, nous nous sommes chargés du transport des volontaires pour lequel nous avions un budget. En revanche, nous n’avions pas de budget pour le matériel photo, les volontaires étant déjà photographes. Le défi principal, voulu par le porteur du projet Archaeodontosaurus, était d’obtenir des photos de qualité scientifique en très haute définition.

L’originalité de la démarche tient au fait que ces photos n’existaient pas. Dans la plupart des partenariats avec Wikimédia, les musées possèdent déjà des banques d’images en ligne qu’ils cherchent à valoriser sur d’autres sites à forte audience comme Wikipedia et Wikimedia Commons. Dans le cas du projet toulousain, les photos sont donc inédites.

Vous soulignez l’importance des soutiens de la mairie de Toulouse dans ce projet, quelles ont été les différentes étapes ?

Le 2 octobre 2010 une convention cadre a été signée entre Wikimédia France (WMFR) et la mairie de Toulouse pour trois ans. Le projet avec le museum est un avenant de cette convention. La mairie s’engage à encourager ce genre d’actions auprès de ses services culturels et Wikimédia France à les aider à mettre ce contenu en ligne. Le projet qui a lancé tous les autres est celui du museum de Toulouse et dans la foulée nous avons démarré un projet plus classique avec les archives de la ville sur le fonds Eugène Trutat, un photographe toulousain.


Portrait d’Eugène Trutat

Concrètement nous avons eu une première réunion au cabinet du maire qui est la cheville ouvrière politique de ce projet. Le museum devait se sentir acteur du projet et l’association est essentielle pour signer les partenariats, assurer le suivi et la rédaction des papiers nécessaires. Nous avons fait une autre réunion au museum avec les gens du service culturel de la mairie pour s’assurer que nous étions tous d’accord sur les fondamentaux. Nous avons ensuite établit un planning des prises de vue pour la dizaine de volontaires photographes de l’association impliqués dans le projet. Le travail a débuté à l’été 2010.

Ce projet correspond à un objectif global de partage du savoir entre les wiki et les musées…

D’abord WMFR n’édite pas les projets directement sur Wikipedia mais nous mettons à disposition de la communauté des contenus libres que les contributeurs sont libres d’intégrer comme ils veulent. Dans le cadre des contenus, ceux qui nous intéressent particulièrement sont les contenus des musées, des archives et des bibliothèques (GLAM) (Galleries, Librairies, Archives and Museum).

Le premier partenariat culturel de l’association Wikimédia France était celui de la Bibliothèque nationale de France au début de l’année 2010 qui consistait pour la BNF à rendre disponible en libre accès 1400 livres présents sur Gallicapour le projet Wikisource.

Les wikisourciens intègrent ces livres au fur et à mesure en corrigeant les fautes que le scanner OCR fait nécessairement. A ce sujet, Google a mis en place un système astucieux pour faire ces corrections de manière distribuée grâce au captcha. Le système reCaptcha en particulier fait que l’internaute travaille indirectement pour Google ce qui leur permet de faire les corrections automatiquement aux livres qu’ils intègrent sur Google Books. Chez Gallica ce système n’existe pas et ils ne peuvent pas faire ce travail de correction. Sur Wikisource, c’est une centaine de contributeurs qui réalise ce travaille d’orfèvre consistant à corriger manuellement les erreurs ignorées par l’OCR.

Cette nouvelle démarche de la part des institutions implique de se poser la question du droit d’auteur et des licences libres. Comment êtes-vous intervenu dans ce processus ?

Nous faisons un travail de pédagogie pour expliquer ce que sont les licences libres dès que nous avons un lien avec des institutions qui souvent connaissent un peu les licences, mais demandent des précisions sur ce à quoi cela les engage.

Par exemple, avec les Archives de Toulouse pour le fonds Eugene Trutat, il y avait une crainte au sujet de la clause de réutilisation commerciale, ce que permet la licence cc-by-sa. Les fonds d’images de Wikimedia Commons sont justement diffusés sous cette même licence cc By-Sa ou sont dans le domaine public ce qui était le cas de photos d’Eugène Trutat, étant mort en 1910.

Leur question était, comment empêcher les réutilisations néfastes ? Pour lever cette crainte, notamment en ce qui concerne des réutilisations imprimées, nous avons trouvé un compromis en diminuant la qualité de l’image mise en ligne (72 dpi).

Mais c’est un faux problème car même si on publie une image sous licence cc-by-sa, on peut à tout moment estimer qu’une réutilisation est contraire au droit moral et empêcher sa réutilisation. Un exemple est donné dans une présentation du projet Phoebus par le museum de Toulouse, où ils montrent la photo d’un crâne mis en ligne sur Wikimedia Commons qui avait été utilisée par un journaliste pour illustrer une histoire de meurtre. La réutilisation est permise par la licence et, même s’ils citent la source, le museum de Toulouse peut faire jouer son droit moral et faire valoir que cette utilisation porte atteinte a l’intégrité de l’oeuvre.


Babouin cynocéphale

Quelle leçons tirez vous de ces partenariats entre associations, institutions, administrations et volontaires ?

La première leçon démontre qu’il est utile d’avoir une structure pérenne, ici l’association Wikimédia France, avec un permanent qui assure un suivi du projet, notamment sur le plan administratif.
La deuxième chose c’est d’avoir une cheville ouvrière, non pas politique mais au niveau des contributions et des compétences apportées, à savoir celui qui a lancé ce projet, dans le cas des photos préhistorique, Didier Descouens (ndlr : Archaeodontosaurus). Il s’y connait en photographie, insiste sur le fait de mettre en avant la qualité plutôt que la quantité et aussi sur les métadonnées, auxquelles nous sommes aussi très attentifs sur les projets Wikipedia et Wikimedia Commons, de même que les musées.
Enfin c’est aussi la rencontre entre plusieurs compétences qui s’ignoraient jusque là et qui sont communes : des passionnés de photographie de l’association rencontrent des photographes passionnés du muséum. Sur le projet Trutat des Archives de Toulouse, des passionnés de métadonnées rencontrent des gens de l’association qui se posent aussi des questions sur leur utilisation. Ce projet fait avancer l’association en apportant des contenus au projet et fait connaitre les activités du muséum et des archives ce qui peut donner envie à d’autres institutions de faire de même.

Sur l’intervention du politique dans ce type de projets, aurait-il pu se faire sans la mairie de Toulouse ?

Dans les grandes villes comme Toulouse, l’idée est de travailler de manière concertée avec les institutions. En même temps les ordres venant d’en haut ne doivent pas être trop coercitifs car les directeurs d’institutions n’aiment pas ça. Nous avons fait attention à ce que les institutions s’approprient le projet et donnent la cadence en terme de communication et de mise en ligne. La mairie devait être là pour encourager et s’assurer que ce soit matériellement faisable.

Maintenant, imaginons que les archives diffusent leurs photos sous licence libre sur leur site et en informent Wikimedia Commons, nous pourrions alors reprendre directement les contenus. C’est un peu le paradoxe de ces projets là. Dans l’absolu la machine des accords et des conventions serait inutile si tout le monde connaissait les licences et si tout le monde les utilisait. Dans la réalité c’est un travail de pédagogie et de mise en confiance réciproque. Signer une convention c’est dire qu’il y a des gens stables du côté de l’association et montrer qu’on peut assurer un suivi et un conseil. Après, dans notre convention cadre avec la mairie de Toulouse, nous nous sommes engagés à donner des statistiques régulières sur l’avancement du projet.


Toulouse, rue d’Astorg. Fonds Eugène Trutat (source : Wikimédia)

Quels sont les objectifs et projets à long terme pour Wikimedia France ?

Nous souhaitons faire d’autres partenariats de ce type à tous les niveaux de collectivités que ce soit des musées, des universités, des archives, etc

L’autre objectif pour nous est de s’assurer que ces partenariats correspondent à un désir de communauté des projets. Le défi est d’amener des projets qui ne soient pas une surcharge de travail pour les wikipédiens, et que ces projets impliquent la communauté le plus tôt possible et fassent un bon accueil au contenu qu’on apporte. Par exemple, on ne peut pas apporter d’un seul coup 100 000 images d’un musée. Dans le cas du Museum de Toulouse, les photographes se sont coordonnés à trois ou quatre et mettent eux mêmes les photos en ligne sur Wikimedia Commons où tout le monde est invité à vérifier, rajouter des catégories ou des meta-données.

Pour le projet Eugène Trutat, la gestion du fonds de 20 000 photos est répartie entre les archives, la bibliothèque et le museum. C’est dans ce genre de cas qu’il est intéressant de discuter avec la mairie qui peut apporter une aide de coordination. Ici, c’est essentiellement le travail d’une personne qui, grâce à un programme, met en ligne les photos par batch.

Nous avons décidé d’une date à laquelle on peut commencer à mettre en ligne les photos mais nous n’avons pas posé de date butoir. D’ou l’intérêt d’être en phase avec la communauté des contributeurs et de s’assurer qu’il y a assez de gens pour mettre les photos en ligne.

Sur la collecte de fonds de la Wikimedia Foundation d’un montant de 16 millions de dollars, une partie de la somme est-elle affectée à Wikimédia France ?

Le mouvement Wikimedia en général est composé de la Wikimedia Foundation (WMF) et de chapitres locaux. La levée de fonds principale est celle de la WMF qui a récolté 13 millions de dollars, la seconde est celle des chapitres pour un montant 6 millions de dollars dont 50% ont été reversés à la WMF. Par exemple, les bannières sur la partie francophone de l’encyclopédie dirigaient vers le site de l’association Wikimédia France (WMFR) pour effectuer le don.

Au niveau de l’organisation de la levée de fonds au sein des 27 chapitres nationaux, nous avions un groupe de chapitres solides en terme de structures qui ont signé un accord avec la fondation WMF stipulant qu’ils reverseront 50 % des dons titre de l’hebergement du serveur.L’autre groupe concernait des chapitres qui n’étaient pas en mesure de signer de tels accords. Par exemple le chapitre indonésien ne pouvait pas garantir le transfert de 50 % des fonds, donc un wikipedien indonesien qui voulait faire un don à partir de la page wikipedia indonésienne était redirigé vers la page américaine.

Du côté de Wikimedia France, au 31 décembre 2010, nous étions à 435.000 € via 11 000 dons. Sur toute l’année 2010, 475 000 € ont été collectés via l’interface de paiement en ligne en 12 000 opérations.


Crédits :

Les photographies des collections préhistoriques du museum de Toulouse publiées sur Wikimedia Commons sous licence
Creative Commons

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Les photographies du fonds Eugène Trutat publiées sur Wikimedia Commons sont dans le domaine public

Posté le 15 janvier 2011

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