La reconstruction du politique dans un monde prêt à basculer

Un article repris du Blog de Philippe Aigrain et publié sous contrat Creative Commons by

L’article et ses commentaires

Ce qui se passe ces temps-ci dans le système législatif et politique en matière de libertés, de droits et de justice sociale a de quoi effrayer.

Epouvantés de l’émergence de citoyens capables de s’exprimer, d’échanger, de partager et d’innover même selon des modalités non prévues, les pouvoirs vieillissants de l’argent déconnecté de l’économie, des médias audiovisuels et des Etats déconnectés du social tentent de prévenir une possible dépossession de leurs monopoles. Ils utilisent l’inertie de leur puissance accumulée pour construire un barrage contre l’humanité. Les inhibitions qui les retenaient en partie d’attenter aux droits fondamentaux sautent. En voici quelques symptômes :

  • Une grande démocratie peut lancer une opération mondiale pour faire taire un site légal et capturer son fondateur, et la plupart des autres gesticulent dans le même sens.
  • Qu’il s’agisse de mettre à exécution des monopoles de droits sur les connaissances et la culture commune, de contrôler les expressions publiques sur internet, d’invoquer la sécurité à tout crin pour créer des contrôles ou une pseudo-justice administrative préventive [1], l’Europe et ses Etats-membres rivalisent à qui corsettera le mieux internet au nom de tout ce qui passe à portée.
  • Les mêmes se taisent lorsque les procédures d’espionnage, de censure et de contrôle d’Internet s’accompagnent de massacres en Tunisie [2]. Ils manifestent une totale indifférence à l’égard d’une jeunesse qui ne rêve que d’échapper au piège conjoint du fondamentalisme, de la dictature et de la corruption en Algérie.
  • L’évidence d’une montée sidérante des inégalités, d’une injustice absolue des choix effectués pour sauver la finance, de la montée de désespoirs sociaux et individuels majeurs, d’une crise écologique non maîtrisée et dépassant largement le seul problème des émissions de gaz à effet de serre n’ont pas donné lieu à des réponses politiques ni même à des propositions à la hauteur des enjeux.

Que faire face à une telle situation ? Quelques intellectuels de plus de 85 ans (Morin, Touraine, ce dernier en italien) semblent avoir pris la mesure de ce qui se passe. Edgar Morin, soulignant la puissance libertaire des initiatives décentralisées permises par l’informatique et internet, embrasse dans une même analyse le partage (même non-autorisé) des œuvres numériques et la capacité d’expression dans la sphère publique même dans les pays autoritaires. Il s’indigne que les Etats ne fassent rien pour “maîtriser ou au moins contrôler ‘le marché’, c’est-à-dire la spéculation et le capitalisme financier”. Il développe l’optimisme du Principe espérance et de l’incertitude ouverte. Peut-on aller au-delà ?

Deux processus sont à l’œuvre qui motivent un optimisme plus étayé :

  • L’élaboration d’un projet de reconstruction sociale systémique articulant biens communs informationnels et environnementaux, exigence de justice sociale et éclectisme des outils d’action, combinant les intiatives décentralisées et l’action macro-économique ou politique. Cette élaboration s’effectue dans des contextes très différents, qu’on pourra découvrir dans un récent ouvrage de Juliet Schor ou dans les travaux de l’International Commons Conference.
  • La construction dans divers champs de politiques alternatives concrètes, dont la pleine réalisation demandera une action du politique, mais qui peuvent être expérimentées et débattues dès à présent. La question des modèles de financement des activités culturelles et expressives est un véritable laboratoire de ce type de développement, et c’est pourquoi il est vital que ceux qui mettent en place des dispositifs immédiatement expérimentables et ceux qui travaillent à des propositions demandant une mise en œuvre à l’échelle des sociétés dialoguent en permanence.

Une course de vitesse est engagée entre la construction de ces possibles et le trop certain débouché du business as usual [3].

[1Ou une justice rendue automatique par l’automaticité de sanctions minimales (LOPSI2) ou les phases antérieures de l’incrimination (HADOPI)

[2Oui je sais, Madame Ashton a fait quelques déclarations montrant qu’elle était au courant

[3expression dont Juliet Schor abuse un peu dans son ouvrage Plenitude, mais qui traduit assez bien l’inertie des politiques

Posté le 11 janvier 2011 par Michel Briand

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