"Tous à la fibre optique", interview de "FibTic"

"Tous à la Fibre Optique" (FibTic) est un regroupement de professionnels des télécommunications qui oeuvrent et conseillent pour l’aménagement en très haut débit des zones rurales et périurbaines. FibTic vise à démystifier la technologie en fibre optique et à en rendre son déploiement facile et économique, à la portée de tous.

Fin août nous avons reçu un des fondateurs de FibTic, le régional de l’étape, Hervé LE BRIS, de Pleumeur-Bodou.

Co-inventeur de la technologie ATM au CNET de Lannion, en 1980, désormais spécialisé dans les réseaux Ethernet étendus, Hervé a répondu à quelques unes de nos questions.

1) Bonjour, FibTic se soucie de la connexion en fibres optiques des habitants en dehors des zones denses. Peux tu expliquer votre objectif ?

Tout d’abord, remarquons que ce sont les habitants de ces zones, éloignés de 5 à 20 km de toutes commodités, qui ont en fait le plus besoin de haut débit : administration, culture (médiathèque en ligne), education, médecine, etc. De plus, éviter de prendre sa voiture pour une simple démarche est bon pour la planète.

Paradoxalement, en matière de très haut débit sur fibre optique, les grands opérateurs de services se bagarrent sur les centres villes, là ou l’ADSL à 10 - 15Mbit/s est présent d’où un taux d’adoption de la fibre très faible dans ces zones, de l’ordre de 5%.

Deuxième paradoxe : la capacité qu’a la fibre optique d’apporter du très haut débit à 15 voire 20 kilomètres, sans équipement fragile au milieu, n’est pas exploitée.

L’objectif de FibTic est de lever ces deux paradoxes.


2) Peux-tu montrer à travers quelques exemples, comme l’usage des chemins ruraux, la possibilité d’une réduction des coûts de connectivité ?

Atteindre des villages et hameaux par les moyens conventionnels, c’est à dire en réutilisant le réseau routier, réflexe bien naturel, conduit à des coûts tels (4000 à 6000 euros la prise) que ceux-ci ne seront desservis que dans deux ou trois décennies... à supposer qu’ils auront survécu à ce vecteur supplémentaire de désertification.

FibTic propose que les usagers, administrés que nous sommes, prennent en main avec le soutien de leurs collectivités locales, le déploiement par des moyens agricoles semi-légers dans les chemins ruraux et si nécessaire en plein champ ou par des moyens aériens utilisant le réseau électrique. A 500 ou 1000m/h environ contre 25m/h sur route goudronnée, le prix final de la prise chute drastiquement. De plus, la structure organisationnelle locale, composée de gens connaissant parfaitement le terrain, est légère et veille à limiter les coûts. A noter : lors de la pose, une base de données SIG est alimentée avec les coordonnées RTK (un GPS différentiel au décimètre près) de la position du câble.

En terminaison de réseaux, du côté des utilisateurs, FibTic a fait développer des kits à fibres optiques pré-connectorisées, auto-installables en limites séparatives des propriétés (voir les vidéos sur www.fibtic.fr) et pouvant couvrir de 8 à 24 maisons aux parcelles contiguës.

A l’intérieur des villages et hameaux, la contiguïté des quartiers coiuverts par les kits capillaires permet de réduire d’un facteur 5 à 10 le nombre de points, chambres ou descentes de poteaux, à desservir en fibre. En conduite ou sous la basse tension électrique, le réseau de desserte de village s’en trouve simplifié et donc moins coûteux.

3) Peux-tu nous présenter le schéma du réseau de collecte que vous proposez ?

En partant des foyers utilisateurs, le réseau commence par la desserte capillaire, composée du kit FibTic pré-connectorisé : celui-ci s’étend de la prise terminale optique (PTO), dans l’habitation, à la boîte d’éclatement située en limite espace privé - espace public et qui peut desservir de 8 à 24 maisons voisines.

Ensuite le réseau se compose de la desserte du village : en conduites, c’est très classique. En aérien, les câbles à fibres, diélectriques, sont placés sous la basse tension électrique : FibTic a sélectionné des produits adaptés et établi les process ad hoc. Process qui peuvent être mis en œuvre par les syndicats intercommunaux d’électricité, à coût minimal, a fortiori lors d’un remplacement des fils à nu par du torsadé.

Plus en amont dans le réseau, on retrouve le transport rural évoqué plus haut et qui emprunte au maximum possible les chemins ruraux ou l’aérien, sur 5 à 15 km possibles.

Ce transport rural finit par atterrir, en central, au bâtiment Noeud de Raccordement Optique (NRO) où se trouvent les premiers équipements actifs rencontrés. Notons que ce NRO n’a a priori aucune raison d’être un ancien NRA, car la position de ces derniers résulte de la faible portée du cuivre. Il devrait y avoir de cinq à dix fois moins de NRO que de NRA, réduisant encore les coûts.

En remontant encore vers le réseau mondial, ce NRO doit être raccordé à un réseau dorsal, soit privé soit public, le plus souvent émanation d’un conseil général.


4) Quel est le coût envisagé pour connecter jusqu’à un point de raccordement communal un groupement d’habitations de quelques centaines de foyers tels qu’on les connait dans nos communes en Bretagne ?

FibTic a développé des modèles de calcul de coût pouvant s’adapter à plusieurs situations rurales. Les coûts vont de 800 à 1200 € par prise pour des villages de 300 à 500 foyers situés entre 3 et 8 km du NRO. Ces coûts prennent en compte la rémunération juste des acteurs sollicités, en direct ou au travers de leurs syndicats (agricoles par ex.). Amortis sur 25 ans, ces coûts reviennent à 4 à 7 euros par mois.

Rappelons que la prise fibre des centres villes denses présente un coût moyen de 600€.

5) Il reste ensuite à raccorder ce noeud de collecte aux réseaux existants et à y adjoindre une offre de service,

  • comment vois tu les choses ?
  • comment les opérateurs réagissent-ils ?
  • est-il possible d’envisager des opérateurs locaux ?

Aujourd’hui, il est clair que les quatre ou cinq grands opérateurs de services ne sont pas préparés à cette approche, venant de la base. L’appel à projets ruraux du gouvernement est une opportunité pour tester leur réceptivité.

FibTic promeut un modèle où une structure juridique, ayant un statut d’entreprise, assure la collecte et les accès en fibres optiques : une entreprise qui dès lors achète à un opérateur pour professionnels un accès centralisé à Internet, au débit ad hoc. Cette entreprise, un client, représente un pouvoir d’achat non négligeable qui lui permet de faire jouer la concurrence. L’entreprise met ensuite à disposition le débit à ses abonnés.

Cette structure prend le statut d’opérateur de collecte et d’accès, en Ethernet natif, tant ce réseau ressemble à un réseau local d’entreprise... certes très étendu, un LAN rural. A ce titre, elle investit et opère les modems optique/Ethernet (ONU) chez les abonnés d’une part ainsi que l’équipement alter ego (OLT) au NRO, d’autre part, qui regroupe tous ces flux sur des liens Ethernet à un ou dix Gbit/s. Ce sont ces derniers liens qui se connectent directement au routeur Internet, situé au point de présence (PoP) ad hoc de l’opérateur Internet choisi.

Cette structure doit conserver un caractère local, très proche des réalités du terrain : y participent (apports en capital) non seulement les foyers abonnés mais aussi les syndicats (agricoles, d’électricité...) et les instances locales, afin de constituer une masse critique suffisante pour pouvoir emprunter pour construire ce réseau. Ce dernier, in fine, ne coûtera que de l’ordre de 4 à 7 euros par mois, chiffre à rapprocher des 9 euros par mois versés aujourd’hui à France-Telecom pour des paires de cuivre vieilles de 30 ans et limitées à des débits qui vont rapidement s’avérer trop faibles.

D’ores et déjà, FibTic prévoit de fédérer ces structures au niveau national. Elles seront alors une force de négociation non négligeable.

En matière de téléphonie et de télévision, notons que les "box" "triple-play" fournies par les grands opérateurs de services sont actuellement fermées quant à leur conception, spécifique de leur offre. A contrario, FibTic a reconstitué ce genre d’offre à partir d’équipements ouverts, trouvés sur le marché : chaque abonné, dès l’instant où il dispose d’un accès très haut débit à Internet, choisit son ou ses opérateurs de téléphonie, ses radios et ses multiplex TV, dont l’un contient a minima toutes les chaînes de la TNT (autrefois) hertzienne.

Pour terminer, remarquons que la possibilité de dériver une fibre optique va permettre d’installer à moindre coût des micro-stations 4G-LTE pour mobiles haut débit, en de maints endroits, d’autant plus attractifs qu’ils sont "isolés".

6) Avez-vous déjà de premières réalisations ou des projets avancés ?

En cette mi-septembre 2010, FibTic répond avec le conseil général des Yvelines à l’appel à projets ruraux du gouvernement, dont la clôture de remise est le 05 octobre. Le projet raccordera 300 foyers et 2 ZAC répartis sur quatre villages ruraux de l’ouest du département. Le projet utilise le dorsal "Yvelines Connectic", RIP déjà en place, pour accéder aux services.

L’autre projet, à horizon 2011, est d’appliquer les concepts FibTic au réseau du Kermeur, en Plougonven. Animé par Marc Dilasser depuis 2005, ce réseau actuellement WiFi est précurseur à plus d’un titre (voir : http://www.lekermeur.net/).

Dans un premier temps, l’idée est de remplacer la desserte WiFi, aux appareillages actifs rendus fragiles en milieux "hostiles", par une desserte passive optique FibTic mêlant fibre sous basse tension électrique et kits finaux de dessertes capillaires. Dans un deuxième temps, l’idée est de tirer par les process FibTic des fibres optiques jusqu’à Morlaix, soit via Plougonven soit via la "voie verte", ou les deux, À Morlaix, le prix mensuel du Mbit/s varie d’un facteur trois, entre trois opérateurs ; la négociation est en cours.

L’approche FibTic suscite un très fort intérêt manifesté au travers de son site web (www.fibtic.net et des rencontres dans les mairies et conseils généraux.

Posté le 8 septembre 2010 par Michel Briand

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