un taxte publié par le magazine Read Write web en français, texte sous licence CC-by
L’une des plus importantes conclusions que l’on peut tirer des travaux de Benkler, von Hippel, Weber (mon analyse est disponible ici) et de beaucoup d’autres, est que l’internet nous a rappelé que nous ne vivons pas dans une seule économie, mais dans deux, au moins. L’une est l’économie « commerciale » traditionnelle, une économie régulée par une règle simple : tout travail mérite salaire. L’autre économie revet bien des dénominations, l’économie des amateurs (a), l’économie du partage (b), l’économie de la collaboration ©, l’économie non commerciale (d) ou l’économie de pair à pair (e). Cette seconde forme d’économie (quel que soit le nom que vous lui donniez, je m’en tiendrais pour ma part à l’appeler « seconde économie ») est l’économie de Wikipedia, du logiciel libre et de l’open source, celle du travail des astronomes amateurs, etc. Elle posède une logique différente, plus complexe, que l’économie commerciale. Si vous tentez de traduire toutes les interactions qui y prennent place dans le cadre proposé par l’économie commerciale, vous êtes sûr de la tuer.
Nous avons tous constaté aujourd’hui la valeur incroyable que peut créer cette seconde économie, et je pense que la plupart serait d’accord pour dire que nous devons réfléchir d’arrache pied à la meilleure façon de l’encourager et de la faire fructifier : quels techniques sont requises pour lui donner naissance, comment peut on la soutenir, qu’est-ce qui la fait croitre. Je ne pense pas que quiconque sache exactement comment faire cela correctement. Ceux qui vivent dans les communauté de la seconde économie (comme Wikipedia) ont cependant de bonne intuitions sur ce sujet.
Mais le corollaire, particulièrement délicat, est de savoir comment ou s’il est utile de lier ces deux économies. Existe-t-il des passerelles entre l’économie commerciale et la seconde économie ? Y a-t-il un moyen de mettre en place et de gérer une économie hybride, une économie qui se situerait à la frontière de ces deux économies ?
Le défi que pose cette économie hybride est celui que Mozilla, RedHat, SecondLife, MySpace et d’autres tentent de relever. Comment continuer à faire appel à la main d’œuvre créative de la seconde économie, tout en tirant partie de la création de valeur propre à l’économie commerciale ? C’est un défi différent de celui qui consiste à savoir comment faire s’épanouir la seconde économie, mais objectivement, ces deux défis sont liés. Mais ce défit là n’est pour l’instant pas encore pleinement compris.
Alors que j’observe le développement de Creative Commons, je suis enthousiasmé par les expériences qui tentent de trouver un moyen de développer cette seconde économie, tout en établissant des liens vers l’économie commerciale. Je l’ai déjà écrit dans un billet à propos de Yehuda Berlinger, qui a mis les lois du réseau en versets. Dans ce billet, je l’incitai à adopter une licence Creative Commons. Il l’a fait, mais d’une façon particulièrement interessante, comme il le mentionne sur son site :
« Ces travaux sont protégés par une licence Creative Commons Attribution-Non commerciale. L’attribution signifie que vous devez mettre un lien en dur sur ce billet, partout où cela est possible. Une licence commerciale est également disponible auprès de l’auteur »
Cette idée fait partie de celles que nous expérimentons avec les Creative Commons : une licence non commerciale qui inclue un lien explicite vers un autre site qui propose une licence commerciale. C’est une façon de préserver la séparation de ces deux sphères de l’économie.
Mais le point le plus important ici est de reconnaitre l’effort mis à préserver cette séparation, fort différent de celui de beaucoup des partisans du « logiciel libre » et des « contenus libres » qui veulent que toutes les licences « libres » autorisent tout type d’usages, commerciaux ou non.
A mon humble avis, ils ignorent tout simplement une réalité cruciale concernant la différence entre ces deux économies. En pratique, ils font l’erreur inverse de celle comise par ceux venus du monde de l’économie commerciale : beaucoup d’ayants droits pensent que chaque utilisation de leur œuvre doit être soumise au copyright (il suffit de se référer aux multiples abus des détenteurs de copyright pour s’en convaincre), et leurs opposants mettent en avant l’idée de contenus « libres » en poussant leurs partisans à traiter tous contenus comme s’ils était hors d’atteinte des lois du copyright (en pratique, pas que techniquement). La seconde économie pense cela différemment : certains usages devraient être libres, d’autres soumis à autorisation.
C’est parce que je suis rempli d’un profond respect envers ceux qui font cette erreur au sein des partisans du libre (et que je suis convaincu que leur motivations sont pures) que je les enjoins à reconsidérer la simplification radicale du projet social qu’ils défendent. J’aime la dynamique de la seconde économie. Benkler lui a donné sa théorie. Je pense que nous devons tous travailler à lui apporter notre soutien, et cesser d’ignorer cette réalité.
La réponse la plus évidente (et la plus déconcertante) est le logiciel libre et l’open source. Je disais au début de ce billet que ceux-ci opéraient dans la seconde économie. Mais c’est le mouvement des contenus « libres » au sujet duquel je suis septique, et a sa volonté de pousser les concepts issus du logiciel libre dans le monde des contenus.
Comment pourrait-il en être autrement ?
A mon sens, la différence tient à la disparité dans la nature de ces deux choses (logiciel et contenus). Certaines productions culturelles peuvent se faire de façon collaborative dans un mode identique à celui adopté par le logiciel libre – Wikipedia. Mais prouver que cela s’applique à tous les contenus est autrement plus difficile. Reste a prouver qu’il existe véritablement une différence, mais il est important d’avoir cette discussion.