Le site de l’Assemblée nationale est sous licence Creative Commons (mais sans le savoir…) !

Un article repris du blog S.I.lex Au croisement du droit et des sciences de l’information. Carnet de veille et de réflexion d’un bibliothécaire publié sous licence Cretaive commons by

Hier, au gré de mes parcours sur la toile, je tombais sur cette information : à l’occasion du lancement de la version 3.0 des licences Creative Commons en Australie,le Parlement a décidé d’adopter la CC-BY-NC-ND (Attribution-Pas d’usage commercial-Pas de modification) pour son site internet. Ce sera même l’une des toutes premières applications en Australie de la nouvelle licence.

Le site internet d’un parlement national sous licence libre, ce n’est pas tout à fait une nouvelle anodine ! Et c’est un plaisir de lire la communication officielle publiée à cette occasion :

The Parliament of Australia is committed to open access to the resources it publishes to support a vibrant democracy. Recognising the important of ensuring access to its resources published on the website the parliament has approved publication under a Creative Commons 3.0 Attribution-NonCommercial-NoDerivs license instead of copyright protection (…) We are enormously excited at this step to open up parliamentary information.

Cette décision va avoir pour effet de rendre plus aisément réutilisables lestextes de loi eux-mêmes, mais aussi les rapports des commissions, ainsi que la transcription des débats.

Ce mouvement en faveur de l’Open Access est assez logique, puisque l’Australie se place à la pointe en matière de réutilisation des données publiques. Depuis l’année dernière, l’initiative Governement 2.0 taskforcea été lancée, qui vise à libérer les données publiques du pays et à favoriser leur réutilisation créative. Le pays des antipodes s’est ainsi doté d’un data.gov abritant plus d’une soixantaine de bases de donnéesplacées sous licence CC-BY (Attribution), la plus ouverte de toutes. Un grand concours national (Mashup Australia) a même été lancé pour récompenser les réutilisations les plus innovantes.

Début mai, le gouvernement fédéral a décidéd’aller encore plus loin dans l’Open Access, en choisissant de faire de la Creative Commons CC-BY la licence par défaut de toutes les informations publiques australiennes. La décision du Parlement s’inscrit donc bien dans une politique d’ensemble de libération des données, au service de l’innovation.

Un peu encore sous le coup de cette nouvelle, qui donne assez envie de devenir citoyen du pays des Kangourous, je me suis alors demandé sous quel type de licence pouvait bien être placé le site de l’Assemblée nationale. C’est sans me faire faire trop d’illusions que j’ai cliqué sur les conditions d’utilisation du site, car la France n’est pas de son côté particulièrement en avance en matière de réutilisation des données publiques. Si on la compare aux Etats-Unis, à l’Angleterre ou à l’Australie, elle serait même sérieusement en retard. On nous annonce bien l’ouverture d’un portail des informations publiques françaises, auquel travaille l’Agence pour le Patrimoine Immatériel de l’Etat (APIE), mais les premières licences-type qui sont proposées ne sont pas particulièrement libres, ni ouvertes…

C’est avec quelque appréhension que je me rendais donc sur le site de l’Assemblée nationaleet là, surprise ! Voyez plutôt :

Droit d’auteur

Les documents « publics » ou « officiels » ne sont couverts par aucun droit d’auteur (article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle). Ils peuvent donc être reproduits librement. C’est le cas pour les débats et les documents parlementaires. Les informations utilisées ne doivent l’être qu’à des fins personnelles, associatives ou professionnelles, toute utilisation ou reproduction à des fins commerciales ou publicitaires étant interdite.

La reproduction des documents au moyen d’un support papier ou sous forme électronique est autorisée, sous réserve de la gratuité de leur diffusion, du respect de l’intégrité des documents reproduits, de la mention du nom de l’auteur, de la source, et d’un lien renvoyant vers le document original en ligne sur le site.

Le site de l’Assemblée nationale est en fait placé sous des conditions quasiment identiques à celles de la CC-BY-NC-ND du Parlement Australien. Et je le prouve !

  • La reproduction des documents au moyen d’un support papier ou sous forme électronique est autorisée = liberté de base permise par toutes les licences Creative Commons ;
  • Sous réserve de la gratuité de leur diffusion = Condition NC : Pas d’usage commercial ;
  • Sous réserve (…) du respect de l’intégrité des documents reproduits = Condition ND : pas d’adaptation ;
  • Sous réserve (…) du respect de la mention du nom de l’auteur, de la source = Condition BY : attribution ou paternité ;
  • Et d’un lien renvoyant vers le document original en ligne sur le site = Condition également requise lorsqu’on utilise des contenus sous licence Creative Commons.

Conclusion : le site de l’Assemblée nationale est sous licence CC-BY-NC-ND, tout comme celui de son homologue australien, mais… sans le savoir !

La seule différence, c’est que notre site national utilise une licence « maison » qui produit exactement les mêmes effets, mais sans bénéficier de la visibilité et de la lisibilité qu’offre le recours aux licences Creative Commons. C’est fort dommage, car ces licences tendent peu à peu à s’imposer comme un des standards du web en matière de signalétique des droits en ligne. Elles sont de plus en plus utilisées et appréciées par les internautes, mais aussi par les grands acteurs du web 2.0, comme Flickr ou Wikipédia. Un certain nombre d’administrations ou de collectivités ont d’ailleurs déjà bien compris le bénéfice citoyen qu’elle pouvait retirer de leur usage (voyez par exemple ce qui se fait du côté de la ville de Brest par exemple).

Honnêtement, aviez-vous déjà remarqué que le site de l’Assemblée permettait la réutilisation de ses contenus de manière assez large ? Je parie que non, car il existe assez peu d’animaux étranges dans mon genre qui ont la mauvaise habitude de lire avec délectation les conditions d’utilisation des sites internet. Et il y a tout lieu de penser que beaucoup de citoyens qui l’ont fait n’ont peut-être pas très bien compris ce que signifiait exactement cette mention.

Pour ouvrir l’accès à l’information gouvernementale, il ne suffit pas de faire reculer les barrières juridiques. Il faut aussi porter dans un langage clair, simple et naturel les droits et obligations des citoyens. Pour l’instant, en la matière, on a rien trouvé de mieux que les licences Creative Commons (ou alors montrez-moi !).

Et vous savez quoi : c’est pareil au Sénat ! Le site obéit à peu près aux mêmes conditions d’utilisation, même s’il les exprime différemment :

Les travaux parlementaires ne sont couverts par aucun droit d’auteur (article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle).

Leur reproduction sous forme papier ou électronique est libre sous réserve :

– de la gratuité de la diffusion ;

– du respect de l’intégrité des documents (aucune modification ni altération) ;

– de la citation expresse du site www.senat.fr comme source, accompagnée d’un lien hypertexte le cas échéant, ainsi que de toutes les informations utiles s’y rapportant (nom des sénateurs, titre du rapport…).

CC-BY-NC-ND, je vous dis ! Les sénateurs font de la licence libre comme Monsieur Jourdain faisait de la prose ! Qui l’eût cru ?

Alors, Messieurs les députés, Messieurs les sénateurs, à quand vos sites Internet vraiment sous licence libre ? Il ne vous reste qu’un tout petit pas à faire – et pas un saut de kangourou ! – pour imiter vos homologues australiens et faire savoir à la Nation que vous lui rendez les données qui sont siennes.

PS : Quelques remarques complémentaires pour aller plus loin…

En fait, tout ne va pas si bien que cela dans ces mentions légales de sites parlementaires. Il y a même un gros problème…

Vous aurez peut-être noté comme moi une sorte de contradiction assez déplaisante. Le site de l’Assemblée nous dit que les documents publics ou officiels ne sont couverts par aucun droit d’auteur (en vertu d’une exception consacrée par notre Code de la Propriété Intellectuelle) ; il indique que les documents peuvent être librement reproduits, mais il s’empresse d’ajouter – sans en préciser la raison – que les informations qu’ils contiennent ne sont pas réutilisables à des fins commerciales ou publicitaires. Le site du Sénat fait exactement de même.

Il y a une vraie contradiction logique : les documents parlementaires sont à la fois libres et … pas libres ! Comment est-ce possible ?

En fait, ces mentions (avec tout le respect que je dois à la représentation nationale) sont bancales du point de vue de leurs fondements juridiques…

Certes, les documents parlementaires sont libres de droits du point de vue de la propriété intellectuelle (nul n’est « l’auteur » de la loi et tout comme la jurisprudence, ces textes restent toujours « de libre parcours »). Par contre, les informations contenues dans ces documents constituent des données publiques, dont la réutilisation peut être conditionnée en vertu dela loi du 17 juillet 1978, modifiée en 2005 pour transposer une directive européenne sur la réutilisation des informations du secteur public (voyezici pour en savoir plus).

Le site de l’Assemblée devrait donc préciser que c’est en vertu de ce texte que des restrictions (pas d’usage commercial, mention de source, respect de l’intégrité) ont été imposées, plutôt que de nous laisser face une sorte d’oxymore juridique fort déplaisant. Il est paradoxal que les sites des institutions qui font la loi… manquent de fondement légal !

D’une certaine manière, on pourrait espérer que des textes aussi fondamentaux que les documents parlementaires soient placés sous un régime aussi ouvert que possible et aussi proche que faire se peut du domaine public (comme c’est le cas aux Etats-Unis par exemple).

Pour cela, il faudrait plutôt se tourner, en Australie comme en France, vers la licence CC-BY et non vers la CC-BY-NC-ND.

Pour la France, il faudrait peut-être aussi aller voir du côté de l’exemple remarquable du Ministère de la Justice qui a choisit de s’inspirer de la philosophie des licences libres pour diffuser ses données sous une licence IP (Information publique) ouvrant très largement la réutilisation, tout en maintenant des obligations essentielles comme le respect de la source ou la non-dénaturation des données (voyez ici). En outre, l’un des objectifs de cette licence est de viser une compatibilité entre données publiques et licences Creative Commons etil semble bien que ce soit possible.

Comme une telle licence ouverte siérait bien à l’information parlementaire ! Vous ne trouvez pas ?

Posté le 19 juin 2010

©© a-brest, article sous licence creative common info

Nouveau commentaire
  • Juin 2010
    23:44

    Le site de l’Assemblée nationale est sous licence Creative Commons (mais sans le savoir…) !

    par yannig38

    Bonsoir,

    La communauté généalogique française est en bagarre contre un hold-up, de fait, sur les archives publiques fait par une société commerciale qui s’appuie sur ces textes et un avis de la CADA.

    Pourquoi cette hostilité ?
    Ce n’est pas la loi qui est combattue, au contraire, mais le dévoiement de son esprit et surtout les implications sur le secteur associatif.
    En effet le fait de laisser une entreprise récupérer les documents numériques déjà réalisés pour les exploiter commercialement via le travail dérivé qui en serait fait va interdire de fait aux associations de pouvoir éventuellement refaire un travail dérivé similaire et le diffuser gracieusement ou même à coût réduit car cette société ne se privera pas de crier à la distorsion de concurrence.
    Encore que sur le travail déjà numérisé elle pourront peu ou prou se défendre, par contre cette même société propose de faire le travail de numérisation en redonnant une copie de celle-ci aux dépôt concerné. Ce simple fait interdira à toute association de refaire ce travail.
    Cette entreprise veut profiter de grand emprunt.

    Il faut savoir que cette société a posé un ultimatum à tous les directeurs d’archives départementaux (information aisément vérifiable).

    Amitiés