Les partisans de la brevetabilité logicielle justifient celle-ci par la nécessité de protéger la partie logicielle qui est de plus en plus présente au sein des biens matériels innovants, et pour laquelle le régime du doit d’auteur n’offre pas selon eux de protection suffisante.
Un exemple couramment abordé par les membres des offices de brevets est celui d’une machine à laver nouvelle, en ce qu’elle lave mieux le linge, le programme de lavage innovant étant mis en oeuvre au moyen d’un ordinateur. Le logiciel exécuté par cet ordinateur serait donc, dans ce cadre, à l’origine de la contribution technique apportée par cette nouvelle machine, et devrait donc être couvert par les revendications du brevet.
Ce cas d’école sert de base conceptuelle pour postuler l’existence de logiciels « techniques », par opposition aux logiciels « en tant que tels », qui ne seraient, eux, pas brevetables, car ne produisant pas de contribution technique.
Cependant, le postulat de l’existence d’une discrimination possible entre logiciels « techniques » et « non techniques », basée sur l’examen de leurs effets, que nous appellerons la « doctrine de la technicité logicielle », ne peut tenir face à une analyse rigoureuse.
Dans le cas pré-cité de la machine à laver, l’effet technique est l’optimisation du lavage du linge par la machine. Cet effet est obtenu par l’application d’un procédé de lavage innovant, consistant en l’adjonction de lessive à tel ou tel moment du cycle de lavage, par la réalisation d’un meilleur brassage de l’eau et du linge, etc., toutes opérations effectuées par la machine dans le monde matériel. Le logiciel de contrôle de la machine, lui, ne fait que mettre en oeuvre ce procédé innovant de lavage, mais n’en est pas la source. C’est le procédé qui est innovant et produit l’effet technique souhaité, et non le logiciel.
Un logiciel, exécuté par un ordinateur, ne fait que manipuler des quantités symboliques selon un programme pré-établi, indépendamment de la manière dont ces quantités symboliques sont matérialisées à l’intérieur de l’ordinateur qui exécute le programme (électrons, photons, moments magnétiques, états quantiques, etc). L’ordinateur, pour interagir avec le monde physique, a besoin de périphériques, destinés à matérialiser les quantités symboliques manupilées par le programme en actions physiques sur le monde extérieur : activation d’un servo-commande, émission d’une information lumineuse déterminée sur un afficheur, etc. Le logiciel de pilotage de la machine à laver peut ainsi être exécuté sur un simulateur, et s’exécuter de façon identique à celle dont il le ferait au sein de la machine à laver, sans pour autant provoquer l’effet technique attendu. C’est donc que l’effet technique est indépendant du logiciel considéré, mais réside dans la mise en oeuvre effective du procédé.
Le législateur avait déjà analysé cette situation pour en tirer les conséquences qui s’imposent, et autoriser la revendication de procédés industriels. Le fabricant de machines à laver innovantes peut donc revendiquer son procédé de lavage innovant et la machine qui le réalise sans avoir besoin le moins du monde de brevets logiciels.
Remarquons pour conclure qu’un logiciel additionnant deux quantités de réactifs dans les cuves d’un réacteur chimique pourrait être considéré comme technique selon la doctrine de la technicité logicielle, mais ne le serait pas s’il s’agissait d’additionner les soldes de deux comptes bancaires d’un client, alors qu’il s’agit bien de la mise en oeuvre du même processus.
On ne peut pas, de même, considérer qu’un logiciel produit un effet technique lorsqu’il « permet d’effectuer des opérations plus rapidement » ou « améliore l’efficacité d’un ordinateur ». Remarquons tout d’abord que cette doctrine est encore plus radicale que celle de la technicité logicielle, en ce qu’elle permettrait de considérer comme « technique » tout logiciel offrant de meilleures performances de traitement que les logiciels existants, sans référence à un problème donné, ou plutôt en considérant que toute utilisation d’un ordinateur constitue en soi une application technique.
L’efficacité réelle d’un algorithme donné étant entièrement dépendante de l’architecture de l’ordinateur sur lequel il a été implémenté et s’exécute, les caractéristiques prétendument techniques d’un algorithme ne lui sont donc pas liées, mais sont basées sur l’adéquation entre le matériel sous-jacent et des considérations d’implémentation qui appartiennent au domaine du droit d’auteur, car spécifiques à chaque réalisation particulière de logiciel pour une architecture donnée. La considération d’efficacité accrue n’est donc pas opérante pour définir une frontière stable entre logiciels prétendument « techniques » et « non-techniques ».
L’impossible formalisme de la doctrine de la technicité logicielle
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