La place des logiciels libres dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, dans l’administration, en France, en Europe et dans le monde

Un article de Geneviève Romier (CNRS/UREC) et Jean-Luc Archimbaud (CNRS/UREC) publié sur le site de Plume, le site du CNRS est en copyright mais l’article est sous licence Creative Common By NC ND.

Il a été présenté aux journées JRES 2009 sous le titre "La place des logiciels libres dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, état des lieux à travers PLUME. Et que font les autres ?". Vous pouvez consultez : l’article Fichier PDF, les transparents Diaporama et la vidéo associée de la présentation Vidéo (malheureusement tronquée).

Résumé

Cet article compile un ensemble d’informations sur la place des logiciels libres dans notre communauté de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR), en partie à travers PLUME. Puis il examine ce qui se passe dans les autres administrations, dans les entreprises françaises, ensuite en Europe et dans le monde. Il termine par un retour sur notre communauté et sur l’évolution des modes de diffusion des développements logiciels de celle-ci, qui devient productrice de logiciels libres, à travers l’expérience de PLUME.

Le logiciel libre

Un logiciel est dit « libre » ou « open source » lorsque sa licence donne à l’utilisateur 4 libertés :

  • l’utiliser pour tout usage,
  • étudier son fonctionnement et pouvoir l’adapter (nécessite l’accès aux sources),
  • le re-distribuer,
  • l’améliorer et redistribuer ses améliorations (nécessite l’accès aux sources).

On notera qu’il n’est pas question ici de gratuité : libre ne veut pas dire gratuit !

Ce type de licence, formalisé au début des années 80, aux Etats-Unis, par Richard Stallman est considéré par certains comme la source d’une rupture dans le monde de l’édition logicielle semblable à la révolution industrielle. Le libre commence à peser dans l’économie du logiciel : le chiffre d’affaire du secteur en France était de 1,1 Milliards d’Euros en 2008, il devrait atteindre 1,5 milliards d’Euros en 2009 et pourrait dépasser les 3 milliards d’Euros en 2012 selon le cabinet Pierre Audoin Consultants.

Le libre dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche en France

La position officielle des établissements vis-à-vis du libre

Il n’y a pas, à notre connaissance, de position officielle ferme d’une université, d’une grande école ou d’un établissement de recherche sur le choix du libre, avec une stratégie, un plan de migration...
Pourtant, la notoriété des établissements facilite la mise en avant des accords qu’ils passent avec les grands acteurs du libre ou les éditeurs majeurs du secteur.

On ne peut ignorer par exemple que l’Université Pierre Mendès France Grenoble a adhéré à l’April (association pour promouvoir et défendre le logiciel libre) début 2009. Le communiqué précise : « En adhérant à l’April, l’université veut soutenir le logiciel libre symbole d’équité sociale et de distribution du savoir ». Mais depuis, il ne semble pas y avoir de suite sur le terrain ...

D’autres établissements investissent aussi bien dans le libre que dans le propriétaire.
C’est par exemple le cas de l’INRIA qui, d’un côté, soutient publiquement le logiciel libre en sponsorisant fortement l’Open World Forum les 1 et 2 octobre 2009. Sur son stand un document met en avant le CIRILL, nouveau Centre de Recherche et d’Innovation sur le Logiciel Libre, son travail sur les licences CeCiLL, sa participation au consortium Object web... Et, d’un autre côté, le 6 octobre, en présence de la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et de Steve Ballmer, son directeur et celui du laboratoire de Microsoft à Cambridge (R.U.) renouvellent leur programme de collaboration.

Il en est de même pour le CNRS, porteur du projet PLUME, également associé avec Microsoft et l’Ecole Polytechnique pour créer la chaire « Optimisation et Développement Durable ». « Inaugurée officiellement le 3 juin 2009, celle-ci vise à développer des techniques et des outils d’optimisation qui pourront être appliqués à des problèmes réels liés au développement durable » dit le communiqué sur le site des différents partenaires.

A l’opposé du libre, on voit aussi plusieurs universités ou grandes écoles mettre en place des partenariats avec certains éditeurs propriétaires (comme SAP, ORACLE, Microsoft...), très avantageux financièrement mais très contraignants et qui, de fait, participent à la promotion de ces produits. Ces éditeurs parient avec bon sens, sur le fait qu’un étudiant qui connait un outil cherchera à l’utiliser aussi dans vie professionnelle et deviendra donc un client.

La France est le seul pays, à notre connaissance, dans lequel un « groupe logiciel » au sein du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, mutualise les négociations avec des éditeurs. Ce groupe veille à ce que les accords qu’il conclut proposent les conditions les plus favorables possibles aux étudiants et aux établissements, ce qui est très efficace. Mais il n’a pas de position forte vis à vis de solutions libres.

Au-delà des annonces chocs dans la presse, il existe partout au sein de la communauté une démarche pragmatique d’utilisation conjointe du libre et du propriétaire au cas par cas. La plate-forme PLUME est un exemple de mutualisation de compétences pour accompagner cette démarche pragmatique.

Les projets et consortia

Une autre démarche pragmatique est la conduite de projets et la mise en place d’organisations. En France, plusieurs établissements de recherche et des entreprises de taille importante participent à des consortia autour des logiciels libres. Ces structures sont quasiment toujours internationales et intercontinentales.

On peut citer l’exemple d’OW2 né d’une initiative française. En 2002, l’INRIA, Bull et France-Télécom initient Objectweb suite à plusieurs projets RNTL2. Objectweb fusionne en 2006 avec Orientware (Chine) après 2 ans de travaux en commun pour donner naissance au consortium OW2. Environ 100 projets, orientés autour des intergiciels - « middleware » - et 5000 personnes participent actuellement à OW2 qui se présente à la fois comme une communauté open source et une organisation pilotée par la communauté. : « open source community and a community-driven organization ». Parmi les 15 membres « stratégiques », on note les initiateurs mais aussi Alcatel Lucent, Red Hat, Thales et parmi les membres « corporate », le Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités Locales. Récemment, à l’occasion d’un accord franco-brélisien, SERPRO, entreprise brésilienne, et Bull, qui coopéraient déjà dans le cadre de OW2, ont annoncé qu’ils travailleront ensemble autour des technologies de portail, des environnements de développement applicatif et sur le marché des logiciels libres pour l’éducation en ligne. Cet exemple souligne la visibilité et les opportunités offertes aux entreprises qui coopèrent dans le cadre des consortium initiés par des organismes de recherche.

Il existe bien d’autres consortia sur le même modèle : Qualipso qui regroupe 18 membres en Europe, Brésil et Chine et dont les thèmes sont les modèles économiques, les licences, les forges ; FOSSbazaar qui est une communauté de réflexion autour d’intérêts communs et aussi une vitrine pour les membres de la communauté. Il est intéressant à ce propos de lire la charte qui explique l’intérêt d’y participer...

Les membres de ces consortia participent souvent à plusieurs de ces structures et il arrive même qu’un consortium adhère à un autre. Ces structures sont des majors du secteur et leur influence conséquente.

Le groupe thématique logiciel libre du pôle System@tic

Le gouvernement français a mis en place des pôles de compétitivité qui rassemblent, sur un territoire donné, des entreprises, des centres de recherche et des organismes de formation, afin de développer des synergies et des coopérations au travers de projets coopératifs innovants. Le pôle System@tic Paris Région, créé en 2005, regroupe 5 domaines sectoriels, dont un consacré au logiciel libre : le Groupe Thématique Logiciel Libre dont le rôle est de fédérer les acteurs du logiciel libre en Ile-de-France, de promouvoir l’émergence d’une industrie du libre en contact étroitement liée avec le monde de l’enseignement et de la recherche, dans le but de favoriser le développement de logiciels libres innovants qui profitent des avancées scientifiques de l’Ile-de-France. Les sujets traités sont, par exemple, le développement coopératif et distribué, le cycle de vie très court, les grandes bases de code source, la compatibilité de licences. Le Pôle soutient actuellement 14 projets dont les partenaires sont industriels et académiques. Il faut noter que ce pôle bien qu’étant dénommé « mondial » ne concerne que l’écosystème de la région parisienne. Ancré dans la société, il est membre de Syntec informatique.

Les formations

Le logiciel libre est, par construction – puisqu’il donne accès aux sources et qu’il permet l’étude complète et en profondeur des logiciels – un excellent outil d’aide à la formation à tous les niveaux, depuis le programmeur, jusqu’à l’expert. Il existe de nombreuses formations autour des logiciels libres, professionnelles, diplômantes, à distance.... Une fiche PLUME est un bon point d’entrée vers plusieurs référentiels de formations.

Les entreprises du secteur ne négligent pas cet aspect puisqu’en mars 2009, le Syntec Informatique publie les Résultats de l’étude OPIIEC « Impact du logiciel libre en France » (décrite ci-après), avec le sous-titre « investir dans la formation pour optimiser les apports du logiciel libre ». Pour conserver l’avance de la France dans ce secteur, il propose des actions très précises telles que l’investissement en formations initiales et professionnalisantes avec, entre autres, la formation d’experts capables d’influencer les gros projets internationaux, d’informaticiens capables d’intégrer libre et propriétaire dans un même projet, la valorisation de l’expérience et la formation à l’écosystème du libre (droit, économie du libre, collaboration, gestion de projets...).Mais de nombreux professeurs en informatique d’universités adeptes du libre regrettent que les logiciels libres ne soient pas plus pris en compte dans l’enseignement des méthodes de développements et de gestion de projets informatiques. Ceux-ci remettent en cause les traditionnelles méthodes de développement et nécessitent d’autres démarches (ré-utiliser l’existant...).

Une analyse à travers le projet PLUME et sa plate-forme

Le projet PLUME vise à mutualiser les compétences en logiciels, principalement libres, et à promouvoir l’utilisation de ces logiciels dans la communauté de l’Enseignement Supérieur et la Recherche. La plate-forme, ouverte depuis novembre 2007, compte actuellement :

  • 221 fiches descriptives de logiciels validés,
  • 25 de logiciels à valider,
  • 8 de logiciels en test,
  • 82 de développements Enseignement Supérieur – Recherche, autrement dit développements issus des laboratoires
    120 ressources et 13 fiches en anglais avec 406 contributeurs,
  • 891 membres et plus de 40 000 visites par mois.

La quasi totalité de ces données traitent de logiciels libres. Le nombre de logiciels (> 350), de contributeurs volontaires ’non rémunérés’ (> 400) qui ont rédigé ou relus ces fiches, est déjà significatif et démontre le poids du libre dans l’informatique de cette communauté.
Cette plate-forme est aussi un point d’observation pour avoir une certaine photographie de la pénétration du libre par domaine scientifique, métier, activité et domaine informatique. Un coup d’œil sur la page où est indiqué le nombre de documents PLUME par mot-clé révèle les orientations.

A noter que les tendances décrites ci-dessous ne représentent que le « taux de participation à PLUME ».

Si certains groupes ne sont pas présents c’est peut-être qu’ils désapprouvent ce projet, ne sont pas intéressés ou qu’ils n’ont pas une démarche d’échange et de diffusion de leurs connaissances (contribuer à PLUME c’est donner une partie de son savoir). Mais néanmoins, PLUME reçoit des propositions de contributions tout à fait spontanées, vraiment très variées, émanant de personnes que l’équipe PLUME connait très rarement. Les contributions ne sont donc pas restreintes à un cercle d’initiés.

Concernant les domaines scientifiques, les outils pour les mathématiques (76 fiches), la biologie (47) et l’informatique sont très présents dans PLUME. Sciences de l’Homme et de la Société (27), chimie(15), mécanique (12) suivent. Mais la physique et les sciences de l’univers sont quasiment absents.

Les métiers et les activités les plus représentés sont les logiciels pour les développeurs, les administrateurs systèmes et réseaux ainsi que le calcul scientifique, puis, le travail coopératif et la documentation-IST. Mais fait surprenant, il y a proportionnellement très peu d’outils pour la formation (formation s’entend au sens enseignement et formation permanente) alors que l’enseignement est une activité majeure de la communauté. De même pour le management (au sens large) où peu d’outils sont référencés. Les logiciels propriétaires doivent être très majoritaires dans ces deux activités.

Globalement, le nombre très important de logiciels métiers (souvent très pointus) de la recherche proposés dans PLUME est très surprenant. Il y a donc beaucoup de libre dans les logiciels métiers de la recherche.

Tous les domaines informatiques sont représentés dans PLUME proportionnellement à leur utilisation dans l’informatique dans notre communauté. Bien évidemment les outils Internet, d’administration réseaux et systèmes sont souvent des logiciels libres. Sauf un domaine qui est sous-représenté : la gestion (au sens logiciel de gestion, système d’information) où très peu d’outils sont présents. Ceci peut éventuellement s’expliquer par les produits proposés par les structures nationales d’informatique de gestion (DSI du CNRS et AMUE) qui sont uniquement des logiciels propriétaires et aussi par l’existence du consortium ESUP portail.

Le nombre de fiches PLUME ne peut pas permettre de mesurer la pénétration de Linux comme poste de travail, ni l’utilisation de OpenOffice.org et de Firefox, qui sont souvent les trois produits transversaux libres de référence. Néanmoins, lorsqu’on regarde les statistiques d’accès des visiteurs sur PLUME, il y a 66 % de Windows, 18 % Linux et 12 % MacOS avec comme navigateur : 62 % de Firefox-mozilla et 25 % d’IE. Les chiffres de Framasoft (’l’équivalent de PLUME’ pour le grand public) sont 83 % de Windows, 11 % Linux, 5 % Mac avec 57 % de Firefox et 35 % d’IE.

Le secteur public en France

Examinons maintenant la situation dans les autres administrations. Il n’y a plus actuellement d’incitation à passer au libre dans l’administration.

Le secteur public dans notre pays, est soumis à des règlementations administratives a priori semblables à celles de l’enseignement supérieur et de la recherche. La première contrainte règlementaire est celle des marchés publics : on peut avoir l’impression que les règlementations empêchent tout choix de logiciels libres. Or il existe actuellement toute la documentation nécessaire pour intégrer le libre dans les réponses potentielles et on verra dans la suite de cet article que de nombreuses entités publiques savent bien adresser cette difficulté. On se réfèrera par exemple au très précieux Guide pratique d’usage des logiciels libres dans les administrations qui détaille comment rédiger des appels d’offre.

Autres règlementations : les référentiels RGI, RGAA, RGS. Le RGI et le RGAA sont en vigueur depuis quelques jours. Il n’y a pas dans ces documents d’incitation pour ou contre le libre.

Comment s’organisent les ministères et les grandes administrations ?

Les ministères, comme les universités, sont libres de leurs choix techniques et leurs choix de logiciels ne dérogent pas à la règle. On verra dans ce chapitre quels sont les ministères les plus avancés vers le libre et pour quelles raisons.

Pour réduire ses coûts informatiques dans un contexte budgétaire difficile et gagner en indépendance vis-à-vis des éditeurs, la gendarmerie mise sur ses ressources internes, une petite équipe d’informaticiens, et sur les logiciels libres. La migration des postes de travail a été organisée avec soin. Après inventaire des applications nécessaires, la gendarmerie avait déjà adopté OpenOffice.org comme suite bureautique et Thunderbird pour le client de messagerie ainsi que le navigateur Firefox. Elle a également placé sur un intranet web un certain nombre d’applications très dépendantes au système pour plus de modularité. Annoncé en janvier 2008, la migration de 70 000 postes Windows sous Linux Ubuntu s’achèvera en 2013. 7 M euros/an devrait être ainsi économisés, en réduisant le coût total de possession du poste de travail (TCO). Selon la gendarmerie, une migration vers Vista aurait été plus difficile. La migration se fait avec le soutien gratuit de Canonical Ltd. (sous forme d’une petite équipe technique). Dans un futur proche, un marché doit être passé pour ce soutien. Canonical et la gendarmerie se disent satisfaits. Tous les gendarmes devraient donc être équipés de postes Ubuntu à moyen terme. Ce projet devrait permettre d’accroitre l’efficacité du système d’information de la gendarmerie tout en économisant des sommes importantes en coûts de licences. La gendarmerie donne ainsi un exemple ambitieux et réussi de migration, sur la durée, avec des ressources internes.

Un besoin majeur du ministère de la défense est de disposer d’une messagerie sécurisée. Depuis 2008, une directive négociée pendant 18 mois entre les différentes entités (marine, armée de terre, gendarmerie,...et le ministère) recommande maintenant Thunderbird et Postfix dans le ministère (sinon, il faut justifier !). Il a choisi de prendre en compte les communautés et les méthodes du libre et d’y participer en contribuant à Thunderbird pour proposer des extensions spécifiques utiles à la défense, mais aussi à l’industrie privée. Les informaticiens du ministère sont donc devenus membres actifs de la communauté et cette participation a donné naissance à Trustedbird, fonctionnalités complémentaires à Thunderbird et nécessaires à la défense, projet soutenu par DGA/ministère de la défense et BT. Les compléments développés dans ce cadre sont donc proposés sous licence libre et versées à la communauté.

Le Ministère des Affaires Étrangères et Européennes a démarré en 2003 un projet de développement interne pour répondre à ses propres besoins web. Le produit passe en licence CeCiLL en 2005 pour régler des difficultés juridiques et faciliter la passation de marchés pour les projets métiers. Acube est actuellement déposé dans la forge de l’Adullact. La communauté des utilisateurs, entreprises contributrices et partenaires est officialisée sous forme d’une association en 2008. On remarquera que la démarche est complètement différente des précédentes puisque tous les développements sont réalisés par des entreprises privées dans le cadre de marchés.

De son côté, la Caisse des Dépôts et Consignations , après étude approfondie, a souhaité à la fois, réduire ses coûts bureautique et assurer la pérennité des documents créés en utilisant un format normalisé. Le format ISO Open Document a été choisi et une opération de migration vers OpenOffice.org organisée avec l’aide d’une SSLL. Toutes les applications développées devront utiliser le format Open Document pour réduire la dépendance des logiciels métiers aux applications tierces. Pour les échanges de documents ne nécessitant pas de modifications, c’est le format PDF qui est utilisé.

Ces différents exemples montrent que les raisons des administrations pour choisir le libre sont diverses, même si le coût de licences apparaît souvent et que les moyens utilisés pour les migrations sont également divers.

Les administrations territoriales et l’ADULLACT

Les administrations territoriales sont nombreuses en France, leurs profils sont différents mais leurs besoins métier sont souvent identiques. La gestion des cimetières est un exemple de besoin commun des 36 000 communes françaises.

Partant du principe que l’argent public ne doit payer qu’une seul fois, l’association ADULLACT créée en 2002, s’emploie à développer un porte-feuille de logiciels métier pour les besoins des collectivités publiques. La méthode est simple et efficace : regrouper les besoins, lancer un appel d’offre de développement libre et mettre à disposition les développements sur une forge bien visible. L’empreinte de l’association est importante puisqu’en septembre 2009 elle comptait plus de 7500 structures territoriales adhérentes pour une population totale de 48 millions de personnes. Plus de 4500 développeurs travaillent aux 437 projets sur la forge et les téléchargements approchent les 700 000. L’association est très active : travail de fond, représentation active à l’international...

Il est bien évident que les collectivités utilisent également des logiciels libres pour des besoins transverses et la presse ne manque pas de faire écho des opérations importantes.

Le monde des entreprises françaises

Comment savoir ce qui se passe au sein des entreprises françaises ? Nous avons choisi d’appuyer nos propos sur les différentes enquêtes publiées par l’INSEE et les organisations professionnelles et publiées au cours de conférences par les grands acteurs du secteurs.

Que dit l’INSEE ?

L’INSEE a récemment publié « E-administration, télétravail, logiciels libres : quelques usages de l’internet dans les entreprises ». Dans ce document, les auteurs signalent un léger développement des systèmes d’exploitations libres. « Ces systèmes restent très minoritaires mais sont en légère progression (14 % des entreprises d’au moins 10 salariés qui ont un ordinateur en janvier 2008 contre 12 % en 2007). On retrouve ici les clivages habituels : ce sont les entreprises de 10 à 19 salariés qui utilisent le moins ces outils (10 %) particulièrement celles de la construction et du transport ; celles de 20 à 249 salariés (16 %) adoptent peu à peu les systèmes d’exploitation libres (près d’un quart des entreprises de 20 à 249 salariés des services aux entreprises en janvier 2008) ; tandis que la moitié des entreprises d’au moins 2 000 salariés disposent d’un système open source ». Cette enquête révèle peu d’information hormis un point intéressant sur la répartition par taille d’entreprises, information que ne donnent pas les rapports des cabinets de consultants.

Qu’en disent les organisations professionnelles et paritaires en France ? : l’OPIIEC

En 2008 l’OPIIEC, Observatoire Paritaire des Métiers de l’Informatique, de l’Ingénierie, des Études et du Conseil commande une étude sur le logiciel libre en France au cabinet Pierre Audoin Consultants. Cette étude a été réalisée en interrogeant les utilisateurs.
Pour ce cabinet, l’industrie du logiciel est en pleine mutation, en partie grâce/à cause du logiciel libre qui ouvre des marchés, relance l’innovation, la collaboration. Cependant, il procure aux décideurs de nouvelles difficultés : comment choisir, quel coût total ? Le plus important dans le choix est finalement le respect des standards. Ce marché est orienté vers les services tout au long du processus de vie du logiciel : depuis l’identification des solutions pouvant répondre aux besoins exprimés et leur qualification, jusqu’à la contribution/maintenance par la société de service dans le cadre de la communauté du logiciel choisi.

Au sein de l’OCDE, la France est le pays le plus avancé en usage des logiciels libres. Cela représente 3,6% (1105 millions d’euros) de la demande en logiciels et services. Et d’après les experts, ce marché va croître fortement (32,7% de croissance annuelle moyenne) sur les 4 prochaines années (2009-2012), pour atteindre près de 10% de la dépense en logiciels et services. La France dispose de nombreux atouts : des compétences en logiciel libre : cursus adaptés, formation dispensées dans les écoles et universités, entreprises spécialisées et compétences internes aux entreprises client final. Le marché du libre en croissance a aussi un impact fort sur celui du modèle propriétaire et on voit plus de concurrence, une baisse du prix des licences dans certains cas. Le tissu économique français est aussi constitué pour une bonne part d’entreprises dont la valeur ajoutée repose sur l’informatique comme l’aérospatiale, les industries de l’énergie...

Pour l’instant, la marge réalisée par les SSLL (Sociétés de Services en Logiciels Libres) ou SSII est faible, les entreprises sont donc contraintes à faire « du volume », la concurrence entre elles est très forte, les SSII s’insèrent dans ce secteur et on voit apparaître des expertises. Malgré tout, ces entreprises coopèrent souvent pour mutualiser ces expertises (voir encore le cas de Topcased en fin d’article).
Pierre Audoin Consultants signale cependant une possible avance des entreprises anglo-saxones dans le domaine de l’édition libre en raison de leurs usages, propices au libre, de l’étendue de leur marché et du soutien de leur capital-risque. Le cabinet pense aussi que le logiciel propriétaire, talonné par le libre, est nécessaire pour maintenir la course à l’innovation et qu’il est plus innovant dans la plupart des domaines. Les entreprises travaillent souvent sur des projets mêlant libre et propriétaire (projets dits « blended »). Enfin le rapport signale que les entreprises françaises, très en avance il y a 10 ans sur ce marché perdent actuellement cette avance. Il préconise d’investir sur la formation, nous en avons parlé plus haut.

Les SSLL

Les SSLL ou Sociétés de Services en Logiciels Libres, sont représentées en France au même titre que les autres entreprises du domaine par le Syntec Informatique - syndicat majeur en matière de sociétés informatiques - et plus spécifiquement par la FniLL, Fédération Nationale de l’Industrie du Logiciel Libre, qui regroupe environ 100 entreprises du Logiciel Libre soit plus de 20 % de la profession. Les SSLL sont les acteurs principaux du marché devant les communautés et éditeurs libres. Bien que concurrencées par les SSII généralistes, elles restent en meilleure place sur ce marché qui est en cours de concentration avec des rachats. Les SSLL, spécialisées dans les projets libres, disposent à la fois d’experts du domaine et souvent d’entrées dans les communautés. Certaines sont également sollicitées pour apporter une aide au choix de logiciel pour les administrations ou les entreprises. A partir de cette aide au choix, en 2004, la méthode QSOS voit le jour à l’initiative de quelques personnes de la société ATOS Origin, QSOS est publiée sous licence Creative Commons. Elle permet d’appuyer sur des bases systématiques l’évaluation et le choix d’un logiciel pour un cahier des charges donné, en mutualisant une grande partie des études nécessaires. En effet, il n’est pas simple de choisir un logiciel libre pour répondre à un besoin donné. Il ne suffit pas de s’assurer que ce logiciel remplit les fonctionnalités demandées mais il faut aussi vérifier sa qualité, que sa licence est bien compatible avec le contexte d’utilisation, que la communauté ou l’entreprise éditrice sont pérennes... QSOS donne une méthode, une grille d’appréciation et un ensemble de fiches d’évaluation renseignées par les participants au projet. Malheureusement, le site web de QSOS semble inactif depuis début 2009.

Les entreprises utilisatrices, des grands comptes aux PME et TPE

Plus de la moitié des entreprises en France disent utiliser des logiciels libres ! Plus exactement, plus de la moitié des salariés interrogés et travaillant au sein des DSI ou des services informatiques disent utiliser des logiciels libres. Il ne faudrait pas en déduire trop rapidement que ces entreprises n’utilisent que du libre, ni que ce soit un choix voulu – voire même connu - par leur direction. En effet, comme bien souligné par exemple dans une enquête européenne, "Study on the : Economic impact of open source software on innovation and the competitiveness of the Information and Communication Technologies (ICT) sector in the EU", une part importante des utilisateurs disent ne pas utiliser de logiciel libre mais aussi qu’ils utilisent Linux ou Apache...

Le marché français est dopé par les administrations et en particulier le domaine de la défense. Mais le secteur privé montre une demande croissante au même rythme que dans les autres pays développés. Le secteur de la finance est actuellement utilisateur pour l’infrastructure mais déjà la Caisse d’Epargne ou Groupama utilisent des intranet ou GED libres. Dans le secteur des télécommunications, l’utilisation est faible, concentrée sur les outils pour l’infrastructure. Le secteur industriel est le second en chiffre d’affaire après le secteur administratif plutôt encore pour l’infrastructure, les portails, les CMS, la messagerie. On peut citer l’exemple de PSA qui a migré 20 000 postes de travail sous Linux. Les PME/PMI sont moins utilisatrices que les grands comptes, elles disposent généralement de peu de ressources internes pour choisir, installer, administrer les outils et préfèrent acheter des solutions propriétaires pour lesquelles elles disposent du support de l’éditeur. Il existe une exception notable à cette généralité, un secteur porteur, celui des PME du e-commerce. Dans le secteur des services, également moins porté sur le libre, on peut noter voyages-sncf.com qui utilise un serveur d’applications libre.

Il est intéressant de connaître les motivations de ces entreprises qui choisissent le libre.

Beaucoup d’entreprises utilisatrices ont une démarche pragmatique en choisissant les solutions les plus pertinentes, qu’elles soient libres ou propriétaires. La solution appelée « good enough » est souvent privilégiée : inutile d’acheter un produit très riche mais dont on n’utilisera que quelques fonctionnalités de base quand un produit open source, même moins complet, convient. Les domaines d’utilisation dans lesquels le libre est crédible et généralement performant vis-à-vis du propriétaire sont les systèmes d’exploitation (Linux), les outils de gestion de contenu (CMS, wikis...), les logiciels pour les serveurs Internet (Apache,...) et les outils bureautiques (navigateurs internet tels que Firefox, clients de messagerie comme Thunderbid, suites bureautiques comme OpenOffice.org...). Le libre a fait et fait encore baisser les prix des licences propriétaires en offrant de très bons challengers aux outils habituels des entreprises. On remarquera que ces produits ont un usage plutôt transverse dans l’entreprise et qu’il existe assez peu d’outils « métier » libres même si l’enquête Actuate Open Source Survey 2009 – ciblée secteur public, industrie et finance- signale 44% des utilisations du libre en France pour ces applications, mais l’étude y intègre la gestion de contenu (CMS).

Le besoin de standardisation est aussi un bon argument pour choisir le libre, les logiciels libres implémentant les standards souvent bien avant les logiciels propriétaires. Cette standardisation peut être recherchée par les utilisateurs soit comme garantie d’interopérabilité pour faciliter les échanges avec leurs partenaires, fournisseurs ou clients, soit encore pour répondre à leur besoin d’indépendance vis-à-vis des éditeurs. Que faire en effet si le format de stockage des informations du système de l’entreprise est « propriétaire » et que l’éditeur disparaît ? Comment faire si l’éditeur arrête le produit ?

Une autre raison d’utiliser des logiciels libres peut être liée à la gestion très compliquée des licences lorsque les utilisateurs sont nombreux et les systèmes distribués. Qui est capable de savoir à coup sûr s’il faut une licence client pour un terminal de vente relié à un serveur ou combien il faut en prévoir pour des systèmes virtualisés sur un serveur multi-processeur ou multi-coeur ? L’exposé du système de « licensing » par un commercial de l’éditeur peut à lui seul être la promesse de complications inutiles. Il n’est pas anodin de noter que même ITIL s’est penché sur la question de la gestion des actifs logiciels et que l’opération dite de « réconciliation » qui consiste à faire coïncider au plus juste le nombre de licences achetées avec le nombre de licences installées pour chaque version de chaque produit et chaque usage nécessite des compétences indéniables bien au-delà de la simple patience. Enfin, comment faire encore quand un sous-traitant ou un partenaire doit accéder au système d’information de l’entreprise ? Qui va supporter le sur-coût lié aux licences nécessaires ? Le libre est ainsi une opportunité pour des entreprises travaillant ensemble sur un projet (cas de Topcased une nouvelle fois, en fin d’article).

L’acheteur actuel dans le domaine de l’informatique étudie de plus en plus souvent le coût total de possession, le coût de sortie en plus du coût d’entrée. Si ces mêmes acheteurs ont bien compris que le libre a un coût en support et en formation, ils savent aussi maintenant comment le comparer avec celui du propriétaire.

Enfin, l’adaptabilité est un argument également pour certains pour lesquels l’accès aux sources et la possibilité de les modifier est un gage de flexibilité et d’adéquation avec leur besoin.

On voit donc que les arguments sont nombreux et diversifiés pour passer au libre. On retrouve ces différents arguments quelle que soit la structure, entreprise ou entité administrative et quel que soit le pays concerné dans le monde.

Les événements autour du libre

Bien évidement, les entreprises du libre s’appliquent à promouvoir le modèle économique sur lequel elles s’appuient pour construire leur « business » et elles travaillent ensemble pour proposer des événements spécifiques et des concours dotés de prix. Elles s’entourent de soutiens politiques quand c’est possible. Tous les événements plus ou moins techniques, plus ou moins professionnels, sont relayés abondamment par la presse spécialisée et sont souvent le lieu d’annonces choc.

La FniLL, par exemple, assure la promotion de la profession en organisant « Paris Capitale du Libre » qui décerne des Lutèce d’Or aux meilleurs projets dans plusieurs catégories. Cet événement, né en 2006 à l’initiative de son président était pour sa dernière édition en 2008, soutenu par la Mairie de Paris, le Ministère de l’Economie et des Finances, le Sénat et de nombreuses entreprises. En 2010, Paris Capitale du Libre deviendra le World Open Source Forum. On notera que le nouveau nom prête un peu à confusion avec l’événement concurrent qu’est l’Open World Forum.

De format un peu différent, l’Open Word Forum est organisé conjointement par des consortiums, associations et partenaires institutionnels. Il propose des conférences orientées retours d’expériences, présentations de projets issus de toutes les régions du monde. L’événement, financé par des sponsors est gratuit et ouvert à tous. C’est aussi une occasion de participer à une roadmap 2020 proposée par les organisateurs. Espace collaboratif de réflexion sur les logiciels libres, cet espace est hébergé par System@tic et Cap Digital, le pôle de compétitivité des contenus numériques.

On peut citer encore, plus traditionnel, le salon « Solutions Linux/Open Source » organisé par Tarsus France, un spécialiste de l’organisation de salons.

Les associations, les citoyens

Le secteur associatif est très actif en France. Framasoft propose depuis des années un excellent site grand public produit de façon collaborative par le grand public. L’APRIL a publié un livre blanc sur le secteur économique du libre en France, l’AFUL donne beaucoup d’informations sur son site web et de nombreuses associations locales – GUL ou GULL – sont à l’initiative de manifestations grand public, conférences ou « install parties ». Les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre sont probablement les plus connues d’entre elles. L’accès est libre et gratuit et l’organisation bénévole soutenue par quelques sponsors académiques et publics et généralement la chambre de commerce du lieu d’organisation.

Et l’Europe ?

L’Europe, de façon générale, contribue beaucoup plus au marché qu’elle n’en profite et pourtant l’enquête Actuate Open Source Survey 2009 ciblée sur les secteurs finance, industrie et secteur public donne les chiffres suivants : 67% des personnes interrogées en France utilisent l’Open Source, pour 60 % en Allemagne et 42 % au Royaume Uni et 41 % en Amérique du Nord. On peut donc en déduire que l’Europe produit énormément de logiciels libres ! Voyons d’abord comment les institutions européennes participent.

L’Europe en tant qu’institution

OSOR, « Open Source Observatory and Repository » est financé à travers le programme IDABC de la Commission européenne et soutenu par les gouvernements européens, au niveau national, régional ou local. Elle propose une plate-forme d’information sous forme d’un site web, des guides pour l’utilisation des logiciels libres dans les administrations, une forge sous forme d’une fédération de forges et d’un service personnalisé d’hébergement de forge. La plate-forme héberge également des espaces pour des communautés d’intérêt et des descriptions de projets. OSOR est également auteur d’une licence libre européenne (EUPL). Cette licence a pour caractéristique essentielle d’être traduite dans les 22 langues de la communauté et juridiquement valide dans chacun des pays de la communauté. OSOR encourage et promeut le développement mutualisé de logiciels libres et la réutilisation de ceux-ci au sein des différentes administrations. Les objectifs principaux sont de réduire les coûts de réplication des logiciels du secteur public quand ils existent sous une forme similaire ailleurs, de réduire le coût des solutions de e-gouvernement, de répandre les bonnes pratiques au sein des administrations.
L’IDABC et l’OSOR participent activement à de nombreux événements autour du libre (en France par exemple, le OpenWorld Forum, les RMLL...) et proposent souvent des sessions dédiées aux administrations au sein de ces conférences.

Les états et les administrations

La situation est différente selon les pays européens et nous vous présentons ici trois cas représentatifs : les Pays-Bas où le gouvernement a une démarche incitative vers le libre, une ville pionnière qui sert d’exemple en Allemagne et les débuts d’un pays peu concerné par le libre jusqu’à présent : le Royaume Uni.

Aux Pays-Bas, le programme gouvernemental NoIV « Netherlands in Open Connection » a pour objectif de promouvoir les standards ouverts et les logiciels libres dans le secteur public avec les mots-clés : ouverture, transparence, sécurité, durabilité, compétitivité des entreprises, innovation et baisse des coûts. La réglementation oblige l’état à choisir le libre quand deux solutions propriétaire et libre offrent la même qualité. Les standards ouverts doivent faciliter les échanges. Depuis 5 ans, de nombreux secteurs ont migré comme le système téléphonique par exemple.

La ville de Munich, en Allemagne, a entamé en 2001 une démarche de refonte de son système d’information. Après étude approfondie en coûts complets des différentes solutions, elle a choisi l’indépendance vis-à-vis des éditeurs pour son système d’information. La démarche ressemble beaucoup à celle de la gendarmerie en France : outils bureautique d’abord, puis, applications métier impossibles ou trop chères à migrer modifiées pour être accessibles par une interface web ou en terminal serveur ou encore sur une machine virtuelle, puis enfin, migration du système d’exploitation. La différence dans la démarche est sur l’aide apportée par des sociétés de service autour de ce projet. Pour Munich l’objectif n’était pas l’économie, mais l’indépendance à long terme, la ville préférant financer un système adapté plutôt que des licences. L’économie viendra aussi mais à moyen terme. Depuis 2008 Munich sert de modèle en Allemagne et de nombreux organismes viennent y prendre des leçons d’indépendance et de migration.

Les responsables de ces deux projets ont fait état lors d’une table ronde à l’Open World Forum en octobre à Paris des nombreuses difficultés à surmonter : difficultés humaines liée à la peur du changement par exemple et le coût de sortie très important de certaines applications.

Le Royaume Uni est un des états les moins avancés en Europe pour l’usage des logiciels libres. Le « national digital ressource bank » est le premier projet autour du « libre » initié par l’état en Grande Bretagne dans son plan d’actions. Basé sur le plate-forme Agrega de e-learning (développé par le Ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce espagnol et placé sous licence EUPL), le projet est au bénéfice des établissements d’enseignement. Les ressources sont proposées au format SCORM et sous « copyright cleared ». Les membres ne paient qu’une quote-part des frais de fonctionnement de l’infrastructure. Ce projet est confié à la société Sirius et allie logiciels libres, standards ouverts et contenus libres.

Les entreprises

Il est difficile de trouver des informations récentes sur l’usage du libre dans les entreprises en Europe. Actuate Open Source Survey nous indique que 60 % des entreprises allemandes disent utiliser un logiciel Open source et les deux raisons principales de ce choix sont le coût et l’accès au code alors qu’au Royaume Uni, dans le secteur financier et le secteur public, ce sont 42% d’utilisateurs. La présentation « Economic Impact of FLOSS » de Rishab Aiyer Ghosh aux Nations Unies donne des informations issues de plusieurs études et on peut retenir que, en moyenne 40%, des entreprises européennes utilisent des logiciels libres. Cette moyenne cache des situations très disparates puisque les PME d’Allemagne sont plus utilisatrices que les grandes entreprises du Royaume Uni. La plupart des utilisations ne sont pas critiques mais 45% le sont pour les entreprises. Les utilisations les plus fréquentes concernent les serveurs web et les systèmes d’exploitation et la raison majeure est le coût.

Et sur les autres continents ?

Attachons nous d’abord à étudier le rôle des organisations internationales. L’UNESCO a mis en place un portail pour les logiciels libres et propose des documents, un répertoire de logiciels, un répertoire d’associations et de nombreux documents et études. On note en particulier « Breaking Barriers : The Potential of Free and Open Source Software for Sustainable Human Development - A Compilation of Case Studies from Across the World » qui analyse 14 cas de réussite répartis dans les différentes régions du globe. L’analyse montre que la gratuité des logiciels est souvent, surtout dans les pays pauvres, le premier critère de choix. Cependant, aucune concession n’est faite quand à la qualité des outils utilisés. La disponibilité du code comme source d’enseignement et la redistribution des modifications vers d’autres utilisateurs sont également très appréciées dans ces situations. A noter également, et c’est un point très important, que les logiciels propriétaires ne sont souvent disponibles qu’en anglais ou dans les langues pratiquées dans les pays industrialisés alors que les logiciels open source peuvent être traduits dans toutes les langues de tous les pays y compris les dialectes (les mécanismes techniques et les procédures d’internationalisation et de localisation sont très souvent proposés par les logiciels libres. Par exemple, OpenOffice.org gère les langues qui s’écrivent de droite à gauche ou verticalement) pour peu que des ressources soient disponibles pour la traduction. Ces projets ont contribué au renforcement économique des régions concernées en permettant à la fois la formation des utilisateurs mais aussi des entreprises locales. Le logiciel libre est un outil de développement pour les populations et pays concernés par cette étude.

Cependant, comme un grand nombre d’autres organismes, l’UNESCO ne fait pas que promouvoir les logiciels libres. En 2009, l’UNESCO et Microsoft annoncent la création d’un Groupe d’étude sur l’enseignement supérieur et les TIC lors de la Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur (CMES) de l’UNESCO. Le manque de moyens financiers alloués à l’enseignement supérieur par les états et la crise financière actuelle semblent être la raison essentielle de cet accord. Microsoft proposera dans ce cadre « un ensemble de ressources adaptées pour l’amélioration de l’enseignement supérieur à court terme qui comprendra des programmes, des formations et un accès abordable aux logiciels de collaboration et de développement. »

Google, grand utilisateur de logiciels libres, participe à sa façon, non pas en reversant à la communauté ses propres développements, mais en finançant certains développements. Avec les « Google Summer of Code » , Google finance chaque année depuis 2005, des projets pour contribuer à des logiciels libres existants ou en créer d’autres. Chaque projet accepté est développé par un étudiant encadré par un représentant du logiciel. Quand la contribution est réussie, Google rétribue l’étudiant. Depuis 2005, 2500 duos étudiant-mentor de 98 pays y ont participé.

Impossible de pas étudier ce qui se passe aux Etats Unis. Le logiciel libre y est né et de nombreuses fondations y ont été créées. Les intervenants à Paris Capitale du libre 2007 indiquaient qu’il y est plus facile qu’en Europe d’obtenir des financements grâce aux capitaux à risque, que les investisseurs connaissent le libre et ses modèles économiques et qu’il y a souvent des responsables « Open Source » dans les entreprises. Cependant, l’enquête Actuate indique que les pays d’Amérique du Nord sont à la traine pour l’adoption des logiciels libres dans l’industrie, dans les secteurs ciblés par cette étude (secteur public, finance, télécom). Seulement 40 % des personnes interrogées utilisent un logiciel open source. Mais elle signale une évolution positive et l’arrivée de l’administration Obama pourrait changer la donne. En février 2008, la presse faisait écho de l’entrée des logiciels libres au département de la défense américain DoD, les objectifs attendus étant le coût modeste, la flexibilité et la possibilité de modifications et l’absence de dépendance aux éditeurs. Fin octobre 2009, le passage à Drupal du Web de la Maison Blanche confirme que l’équipe Obama utilisera les logiciels libres. Cela risque de faire « boule de neige » sur les autres acteurs du pays.

L’étude de l’UNESCO nous a permis de voir l’impact du libre dans les pays émergents où il peut aider à réduire la fracture numérique et de nombreux pays asiatiques en ont bien compris l’intérêt. Mais ce tour du monde serait vraiment incomplet si nous ne présentions pas le cas type du Brésil.

Le gouvernement du Brésil considère le logiciel comme un droit social au même titre que l’eau ou le logement, un bien public, produit par la société et prévu pour la société. Il a donc mis en place en 2007 un espace virtuel accessible à tous, le « Brezilian public software portal ». Cet outil est destiné à évoluer vers un portail de marché qui favorise l’émergence de groupes d’intérêts. Les logiciels, développés par des fonds publics, pour tous, sont définis comme « public software » et déposés sous licence GPL. Le portail rassemble offre et demande, chacun devant y trouver son compte. Il favorise les opportunités professionnelles pour ceux qui participent, les source des revenus, les échanges d’expériences.

L’écosystème ainsi créé fait aussi l’objet de recherches pour les aspects sociaux, les retombées économiques, l’adoption des logiciels proposés... Les conclusions sont plutôt positives et des exemples précis sont étudiés de logiciels développés à l’initiative de l’état pour son usage propre qui sont maintenant utilisés dans différents contextes. Des entreprises privées ont construit une offre autour et participent maintenant aux développements. Une retombée politique est le renforcement du mouvement libre dans le monde. Un point moins positif est la faible participation comparée au 50 000 utilisateurs du portail. La raison principale semble être le manque de compétences et des initiatives pour « l’inclusion digitale » semblent nécessaires. Le Brésil offre avec ce concept politique piloté de bout en bout et étudié par des chercheurs sur tous ses aspects un modèle original pour le développement d’un pays. Le ministre du Plan, Corinto Meffe et un chercheur ont présenté le concept lors de l’Open World Forum en octobre à Paris. Ils participent au chapitre Brésil de la roadmap2020.

La communauté Enseignement Supérieur - Recherche comme producteur de logiciel libre

Le libre, comme Internet, a ses origines dans le monde de la recherche. Dans les débuts de l’informatique, le logiciel était gratuit, et les chercheurs, très gros utilisateurs d’informatique à l’époque (les PC et donc l’informatique grand public n’existait pas), pouvaient étudier le code source, l’améliorer pour leurs recherches, faire des échanges... Avec l’arrivée des codes fermés, des sociétés comme Microsoft qui vivent uniquement de la vente de licences propriétaires, la recherche, en particulier en informatique s’est vite retrouvée handicapée et frustrée : impossible de savoir avec précision ce que font ces programmes livrés sous forme binaire (incompatible avec la démarche scientifique où on doit vérifier les hypothèses, les modèles, les algorithmes...), de faire évoluer les codes... Richard Stallman, considéré comme le père du logiciel libre, était un chercheur du MIT qui « en avait marre » de cette situation.

Donc la recherche a toujours été très utilisatrice de logiciels libres, de même que l’enseignement supérieur, peut-être pour des raisons plus économiques et pratiques, inutile de gérer des licences pour tous les étudiants par exemple. Cette communauté a aussi beaucoup contribué aux logiciels libres.

Mais avec la pression très forte à la valorisation des résultats de recherche, valorisation au sens « argent sonnant et trébuchant », tout a été essayé pour vendre les développements logiciels des laboratoires : accords, start-up.... Sans prendre en compte que ces développements sont rarement utilisables en l’état et qu’on ne s’improvise pas éditeur de logiciel : il faut gérer n versions de logiciel avec n licences pour n clients différents. Ce métier demande des compétences et des pratiques bien éloignées de la recherche. Si on effectuait un bilan financier de ce qu’a coûté l’activité valorisation des logiciels ces dernières années (en ressources humaines...) et de ce que ca a rapporté, il ne serait certainement pas brillant. En effet, très peu de logiciels issus de la recherche sont actuellement diffusés avec une licence propriétaire qui rapporte de l’argent à un établissement d’enseignement supérieur et de recherche.

Depuis quelques mois, l’intérêt de diffuser en libre progresse. Côté développeurs, de nombreux chercheurs disent : « nos publications sont publiques, pourquoi nos codes ne le seraient-ils pas ? Nous savons développer du code innovant mais pour le vendre il faut le rendre utilisable par tous, avec une bonne ergonomie... ce n’est plus notre travail ». Du côté des services de valorisation, on prend conscience du très gros volume de développements très divers effectués dans les laboratoires, qui ne peuvent pas rapporter des royalties, mais qui se perdent, ne sont même pas répertoriés, alors que c’est un patrimoine important. Donc, autant les diffuser librement. Diffuser les connaissances est aussi un des objectifs des organismes de recherche, peut-être avant la valorisation financière.

Ainsi des laboratoires ont demandé au projet PLUME, qui au départ ne diffusait que des fiches de logiciels utilisés, de diffuser des descriptions de développements issus de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur : cela a donné le projet connexe à PLUME : RELIER . Fin octobre il y avait déjà 82 descriptions de développements internes dans PLUME (appelées fiches Dév ESR). Et très récemment, la Direction de la Politique Industrielle du CNRS a accordé un an d’ingénieur pour référencer les développements des laboratoires sur PLUME.

D’après les fiches Dév ESR dans PLUME il est prématuré de tirer des tendances sur le développements par domaine scientifique... Ce dont on peut s’apercevoir, c’est que la politique du laboratoire ou de l’université est primordiale dans cette diffusion : soit les logiciels ne l’intéressent pas, soit elle considère que c’est important et encourage le référencement dans PLUME. Donc les laboratoires qui commencent à publier des descriptifs dans PLUME essaient ensuite d’avoir un référencement exhaustif.

Pour avoir une photographie de la situation actuelle des développements diffusés en libre dans la communauté ESR, on peut consulter les supports et les vidéos des présentations des journées PLUME « Pourquoi et comment diffuser un développement logiciel de laboratoire ou d’université en libre ? » où plusieurs chercheurs ont décrit leur retour d’expérience sur la diffusion de leurs code en libre, où les services de valorisation ont expliqué les procédures actuelles et où des recommandations (forge, licence...) ont été faite.

La diffusion en libre concerne tout type de développement, comme des développements d’envergure, avec des industriels et où le choix libre a été fait délibérément pour faciliter des collaborations très diverses, l’amélioration du code... que ne permettrait d’autres modes de diffusion. On peut citer, le cas du logiciel Topcased, atelier de développement d’applications et de systèmes critiques . Participent à ce développement 30 partenaires : des industriels comme Airbus, ATOS Origin, CS, Thalès, des laboratoires comme LAAS, IRIT, des écoles comme l’ENSEEIHT. Ce développement a été présenté dans les journées ci-dessus. On peut extraire de cette présentation quelques idées.

« La diffusion en libre nous a permis de pérenniser les développements (en embarqué on ne peut pas dépendre d’un éditeur qui peut disparaître), faire travailler sur un même code des partenaires divers et concurrents (dans les partenaires, il y a des industriels concurrents qu’il serait impossible de faire travailler ensemble sous une licence propriétaire), avoir une visibilité mondiale, avoir des utilisateurs très divers ce qui permet de mieux tester le code et améliorer les fonctionnalités, mieux répondre aux appels d’offre : Europe, ANR... ».

Topcased n’est qu’un exemple, beaucoup d’autres développements tout à fait différents par leur taille, leur objet, leurs utilisateurs se félicitent de la diffusion en libre.

Que peut il se passer dans les années qui viennent ? On peut penser, espérer ?, qu’à moyen terme :

  • Tout développement de recherche sera par défaut diffusé en libre. Cela n’est pas exclusif avec la commercialisation de certains, partenariats industriel....
  • Tout développement sera référencé pour que les autres chercheurs ne ré-inventent pas la roue...
  • Les développements de la recherche seront considérés comme un patrimoine scientifique important.
  • Le développement sera pris en compte dans l’évaluation des chercheurs (et des ingénieurs)

Ce chapitre parle principalement des logiciels de recherche. On peut extrapoler pour les autres développements de support à la recherche et de services réalisés par les ingénieurs des les services informatiques. On peut reprendre les 4 points ci-dessus. Il faudrait qu’ils soient diffusés en libre par défaut, les référencer (pour que chacun ne ré-invente pas la roue), les considérer comme importants et les prendre en compte dans la carrière. Certains sont aussi présents dans la plateforme PLUME sous forme de fiches Dév ESR ou de logiciel validé, à valider ou en test.

Incitation

  • Si vous pensez que notre communauté ESR doit plus et mieux utiliser les logiciels libres : faites partager votre expérience sur un logiciel libre que vous appréciez en rédigeant une fiche PLUME de logiciel validé : cela le fera connaître et pourra contribuer à sa diffusion dans notre communauté.
  • Si vous avez développé un logiciel, que vous pensez intéresser d’autres : rédigez une fiche PLUME dév ESR.

La démarche est la même :

Posté le 20 janvier 2010

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