Collectivités locales et web social : 4 stratégies potentielles

Un article repris du blog netpolitique, un blog sous licence Cretaive Commons

Voilà nous y sommes. En 2009, la prophétie originelle d’Internet (Manifeste des évidences) est entrain de se réaliser, le web devient social.

Tous les acteurs "historiques" de l’Internet (médias, entreprises, institutions...), qui produisaient jusque là du service en ligne, de l’information et de la documentation en rapport avec leur activité principale semblent avoir compris qu’il ne s’agit pas uniquement d’une nouvelle vague, d’une nouvelle mode mais d’un véritable tournant d’Internet. Ils ont compris qu’il leur fallait participer à ce mouvement pour au minimum garder le contact avec leurs publics. Il veulent s’appuyer sur le succès des pure player du web social (Facebook, twitter...) pour pratiquer ces nouveaux usages.

Dans le magma du web social, dans ce qui peut également être décrit comme le panorama des services et des médias sociaux, quelle est la place potentielle pour les acteurs "historiques" ? Par exemple, comment une collectivité locale peut et/ou doit entrer dans ces nouvelles pratiquent du web ?

C’est à cette question difficile ( "Pourquoi et comment créer un réseau social en ligne pour mon territoire") que s’est attelé, Loic Haÿ, dans une présentation délivrée fin septembre 2009 à Rennes dans le cadre des Rencontres Nationales communication et technologies nouvelles.

voir le diaporama Pourquoi et comment créer un réseau social en ligne pour mon territoire ?

Après un point très utile sur les définitions, il dégage plusieurs objectifs potentiels pour une collectivité de se lancer dans l’aventure du web social :

  • Afficher sa compréhension de la dimension sociale du web, notamment à l’échelle locale
  • Faire connaitre et permettre l’enrichissement collectif d’une information (hyper)locale
  • Co-élaborer et co-organiser des événements et des actions réelles avec des groupes identifiés
  • Offrir un lieu d’échange plus efficace et plus collaboratif aux relations habitants-collectivité
  • Co-construire certaines politiques publiques avec les usagers

A la lecture de cette présentation, il semble se dégager une première typologie de 4 positionnements stratégiques potentiels des collectivités vis à vis du web social :

  • Une stratégie de présence en ligne
  • Une stratégie de partenariat(s)
  • Une stratégie d’intégration
  • Une stratégie "fédérative" et servicielle

Stratégie de présence en ligne

Il s’agit déjà de comprendre qu’un site Internet de collectivité n’est pas seul sur le web. Que les publics potentiels du site n’attendent pas avec impatience la prochaine publication de la collectivité. Ils vivent leur vie d’internaute. C’est à dire qu’ils pratiquent massivement le web social via les différentes plate-formes et services à leur disposition. Dans ce cadre, il s’agit pour la collectivité d’aller à la rencontre de ses publics en étendant sa présence en ligne sur ces plate-formes et services. A l’ère du web social, faire venir les internautes sur son site n’est plus un objectif.L’objectif est de retenir leur attention sur le message ou le service que la collectivité souhaite leur transmettre. Dans l’économie de l’attention, il est nécessaire d’aller à la rencontre de ses publics là où ils se trouvent : sur le web social.

Loic Haÿ rappelle plusieurs initiatives comme le twitter de la ville de Rennes, l’application Facebook des sites Internet des mairies d’arrondissement parisiennes. On peut aussi citer le groupe flickr d’Issy les moulineaux, les chaines DailyMotion et YouTube du site Culture de la Ville de Lyon et bien d’autres...

Une collectivité locale, sauf à vouloir démontrer son incompréhension d’Internet, n’a plus aucune raison aujourd’hui de ne pas investir ces services sociaux (gratuits pour la plupart) pour étendre sa présence en ligne. Bien entendu, elle devra prendre en compte les règles du jeu et les usages de ces nouveaux territoires numériques. Ainsi, elle devra essayer de participer à la vie social du service et ne pas se contenter de simplement pousser son info un peu plus loin que son site Internet ne lui permet. Si elle consent à ce léger investissement, elle pourra également (comme le souligne Loic Haÿ) exercer une mini veille sur la vie numérique hors des murs de son site.

Stratégie de partenariat

Il s’agit dans ce cas pour la collectivité de choisir une plate-forme sociale (souvent) existante et de conclure avec elle un partenariat afin qu’elle soit mise en avant comme le service "recommandé" ou "légitimé" par la collectivité. Ces expérimentations permettent de tester le potentiel social du territoire. Les services de la collectivité peuvent être un peu plus impliqués dans la démarche qui constitue de fait un premier exercice d’acculturation.

Dans ce cadre, on peut citer le partenariat entre la Ville de Rennes et la Ruche ou encore celui conclut entre de nombreuses villes et la société Etyssa.

Techniquement, cette stratégie peut se traduire par la mise en oeuvre de widgets (modules externes) intégrés sur le site de la collectivité. En pratique, le partenariat prend surtout la forme d’un simple échange de lien. La collectivité n’a donc aucune maitrise technique directe des actions et des interactions qui se déroulent entre ces concitoyens sur la plate-forme sociale. De plus, si la démarche de partenariat va au delà de la simple expérimentation (jalonnée dans le temps), il est également possible de s’interroger sur le contexte juridique du partenariat. A priori ce type d’échange doit faire l’objet d’une contractualisation qui passe soit par un appel d’offres soit par une subvention financière ou en nature si la plate-forme est associative.

Stratégie d’intégration

Il s’agirait ici d’intégrer la plate-forme sociale directement dans le site et dans le système d’information de la collectivité. Le site Internet se verrait alors enrichi d’un nouveau service et le système d’information d’une nouvelle ouverture avec l’extérieur. Cette stratégie ne va pas sans poser un certain nombre de questions (cf Loic Haÿ 24/25) :

  • La collectivité ne s’enferme-t-elle pas (une nouvelle fois) derrière les -* La collectivité ne créée-t-elle pas un nouveau service social en silo ?
  • La collectivité a-t-elle les moyens de gérer et d’animer ce type de plate-forme ?
  • La collectivité est-elle légitime pour porter ce type de service ?

C’est peut-être à cause de ces questions que les exemples de ce type de stratégie sont encore rares, voire inexistants. Il est vrai que cette stratégie demande un effort important dans sa phase de conception mais on peut apporter quelques premières réponses.

Concernant l’oubli de la présence en ligne et la constitution d’un nouveau "silo social", il est possible de faire en sorte que le dispositif ait une gestion intelligente et ouverte de l’identité des utilisateurs. La définition du web social mise en avant par Loic Haÿ ("Catégorie de sites web avec des profils, un commentaire public du profil semi-persistant et un réseau social publiquement ...montré en rapport au profil" Danah Boyd) montrent bien que la gestion du profil de l’utilisateur est une notion fondamentale. Il faut que ce profil soit interconnecté entre plusieurs plates-formes sociales pour éviter son enfermement et un rayonnement limité de son activité sociale.

Le dispositif devra donc s’appuyer sur une gestion de l’identification et de l’authentification ouverte et interopérable. On pourra ici faire appel à des solutions fondées par exemple sur OpenID, Facebook Connect, Google Friend Connect (pourquoi pas ?) et éventuellement les solutions dérivées de la norme Liberty Alliance. Celles-ci permettront à l’utilisateur de recourir aux identifiants qu’il possède peut-être déjà sur d’autres services en ligne et à la plate-forme d’élargir ses interactions avec et vers d’autres dispositifs.

La collectivité peut-elle ou veut-elle prendre en charge la gestion et l’animation de ce nouveau service ? En fait, elle n’est peut-être obligée de prendre à sa charge la totalité de la gestion. Il est possible d’imaginer, dans le cadre d’un appel d’offres, la mise en concurrence de plusieurs plate-formes existantes qui se verraient demander de répondre aux contraintes d’intégration dans le système d’information de la collectivité, tout en continuant d’assurer une grande part de l’animation et de la gestion du dispositif. Tout le monde serait gagnant. La solution sélectionnée gagnerait en visibilité et en légitimité et la collectivité gagnerait en maitrise des usages et pourrait garantir l’utilisation des données personnelles des utilisateurs dont elle resterait garante. Ce système donnant-donnant permettrait à la collectivité de sélectionner un service sans dépenser un sou.

Reste la vaste question de la légitimité de la collectivité concernant le portage de ce service. Si la collectivité est toujours garante du lien social, elle est obligé de prendre en compte la nouvelle dimension numérique du vivre ensemble. Si le nouveau paradigme est conversationnel et participatif, elle ne peut pas rester en dehors de ces nouveaux échanges. Pour prendre part à ces interactions numériques, elle doit les intégrer comme une de ces missions. Si il s’agit d’une de ces missions, une brique de son système d’information doit y être consacré.

Elle doit créer cette nouvelle fenêtre de relations sociales entre ses concitoyens et elle-même. Elle doit acculturer et faire évoluer ses services (administratifs et techniques) pour qu’ils prennent en compte cette nouvelle dimension. Vous l’aurez compris, j’estime qu’une collectivité utilisant les modalités d’action citées ci-dessus est légitime dans ce domaine.

Une stratégie "fédérative et servicielle"

Après la stratégie précédente, il resterait encore un scénario qui va encore plus loin ?

La stratégie "fédérative et servicielle" ne va pas vraiment plus loin concernant la prise en compte du web social et participatif. Il s’agirait plutôt de faire se rejoindre deux grands projets numériques des collectivités. Le projet d’ouverture vers le web social et participatif et le projet d’administration électronique ou de démarches numériques pour les usagers.

En effet, une autre fenêtre entre les collectivités et les citoyens est entrain de s’ouvrir. Il s’agit des démarches administratives en ligne, de l’administration électronique. Ce domaine, après avoir produit beaucoup de télé-services indépendants les uns des autres, voit apparaître la nécessité d’unifier les relations entre administrations et usagers. Cette unification passe par la mise en oeuvre d’un compte usager. Au niveau national, MonServicePublic.fr montre la voie. Les collectivités seront amenées à plus ou moins courtes échéances à concevoir une stratégie de compte, de profil (on y revient) usager pour gérer plus efficacement leurs échanges et leurs transactions avec leurs usagers.

La stratégie "fédérative et servicielle" viserait à fédérer les différents projets de développement numérique qui s’appuient sur la notion de profil et de compte utilisateur au profit de la mise en oeuvre d’un bouquet de services d’e-conversation, d’e-participation et d’e-administration.

Et si le projet d’intégration du web social dans la démarche numérique des collectivités était un formidable levier pour faire entrer les collectivités, leur site et leurs services en ligne dans l’ère de la relation personnalisée aussi bien sociale, citoyenne qu’administrative...??

PS : Je tiens à préciser pour éviter tout malentendu que dans cette configuration l’utilisateur n’aurait pas forcément à utiliser un profil unique et centralisé. Les technologies de gestion de l’identité permettent à Monsieur Zorro d’organiser un apéro et de faire en sorte que ce Monsieur Zorro soit bien identifié comme Louis Dupont pour réaliser sa démarche administrative en ligne. La gestion de son ou ses identité(s) reste maitrisée par l’utilisateur.

[MAJ 04/11] : pour vous familiariser avec les aspects techniques de cette gestion partagée de l’identité (aussi appelée "embarquement hybride"), lire la traduction d’une annonce officielle de Google sur ce sujet sur Goopilation.com.

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Posté le 4 novembre 2009

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