Google Books : ce qu’il faut faire.

un édito, contribution a débat repris du Blog "Affordances"

Un article repris d’affordance, le blog d’un maître de conférences en sciences de l’information (olivier.ertzscheid )
Réflexions, analyses, signalements.

Bon bien sûr c’est un avis qui n’engage que moi, mais comme j’en suis à ma 6ème interview téléphonique en 6 jours sur le sujet ... peut-être que l’inventaire à la prévert ci-dessous permettra d’y voir un peu plus clair ... Voilà donc la les solutions (enfin les miennes) au "problème" Google Books.

1. REPRENDRE L’INITIATIVE SUR LE PLAN JURIDIQUE. Et pour ce faire, à court-terme (3 mois) :

2. S’armer de contrats types. Faire appel à des avocats. Plus précisément, que le Ministère de la culture missionne des avocats spécialistes du droit des NTIC, de la propriété intellectuelle et du droit patrimonial pour rédiger un contrat type pouvant être proposé a minima par n’importe quelle bibliothèque française souhaitant entrer en négociation avec Google.

3. Produire un cahier des charges type mais adapté aux spécificités de chaque structure. Consulter les responsables de bibliothèques (une dizaine par grand type de structure : BU, BM, BDP ...) et leur demander d’harmoniser leurs positions. Non pas en les réunissant dans un énième colloque, mais en leur demandant d’établir un cahier des charges-type pour leurs attentes et besoins en termes de numérisation du patrimoine culturel.

4. Croiser les deux points précédents et vérifier que chaque point du cahier des charges est couvert par un article du contrat-type.

5. REPRENDRE L’INITIATIVE SUR LE PLAN POLITIQUE Et pour ce faire, à moyen terme :

6. Remettre à plat le régime du droit d’auteur et la convention de Berne avec pour objectif principal de ramener à une période "raisonnable" la durée dudit droit.

7. Créer d’urgence une loi permettant d’instaurer par défaut une procédure d’opt-out sur l’ensemble des oeuvres de la zone grise (ou oeuvres orphelines). Cela permettra (notamment) d’amorcer la pompe (dans une perspective vaguement keynesienne) et surtout, d’éviter les situations ubuesques déjà constatables de telle oeuvre orpheline non disponible sur Books.google.fr mais par contre avec de larges extraits consultables sur Books.google.com ...

8. EXPERIMENTER. EXPERIMENTER. EXPERIMENTER. Que le Ministère de la culture passe un coup de fil à Sony et aux autres marchands de liseuses, qu’il négocie une commande groupée d’au moins 2000 de ces appareils (le prix unitaire est d’environ 250 euros ... cela ne devrait pas gréver outre mesure le budget dudit ministère ...) et qu’il les mette à disposition de chaque bibliothèque qui en fera la demande en échange d’un retour d’expérience à 6 mois et/ou à un an. Et que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche fasse de même à destination des BU, voire même (soyons fous ...) des enseignants qui pourraient être les premiers prescripteurs de ces nouveaux dispositifs de lecture. Que les ministères négocient avec les éditeurs la possibilité pour lesdites structures de charger ces tablettes avec des oeuvres encore sous droits mais non sous DRM. Pourquoi ? Pour disséminer. Pour éparpiller façon puzzle. Pour faire sauter le verrou. Parce que tant que la problématique du livre numérique et de ses usages restera l’apanage de quelques cénacles (parisiens) à l’inutilité de plus en plus patente, tant qu’elle restera l’apanage de quelques bobos happy-few à tendance geek, on ne prendra pas la réelle mesure des changements et des attentes possibles en termes d’usages. L’expérimentation est la seule clé qui permettra d’ouvrir en grand la porte des usages. A condition que l’expérimentation soit multiple ; à condition qu’elle soit plurielle ; à condition qu’elle se déploie de manière parfaitement anarchique sur l’ensemble du territoire couvert par les rayon d’action des bibliothèques. Et pour ce faire :

9. Arrêter de penser "national" (ou jacobin si l’on préfère). Non il n’y a pas que la BnF en France. Non il n’y a pas qu’à Paris que l’on est capable de monter des protocoles d’expérimentation pertinents. Non. "Une" expérimentation nationale telle que celle menée par la BnF (avec les ouvrages sous droits) ne permettra de tirer AUCUNE conclusion généralisable aux besoins REELS des publics.

10. REMETTRE LES EDITEURS A LEUR PLACE ET POUR CE FAIRE :

11. Renverser la pression. Sortir de la dynamique actuelle dans laquelle un petit groupe d’éditeurs phagocyte l’enveloppe corporelle des ministres de la culture successifs (ou des chanceliers allemands) pour s’exprimer en leur nom. Pour renverser la pression, une seule chose à faire : imposer auxdits éditeurs l’application des 10 commandements de l’éditeur d’Ebooks. Et s’ils refusent ?

12. Dénoncer publiquement l’escroquerie commerciale autant qu’intellectuelle pratiquée par certains diffuseurs (je leur retire le titre d’éditeurs) qui fait qu’aujourd’hui, des bibliothèques achètent (au même prix ou plus cher) des fichiers numériques exemplarisés. Traduisez : là où on pensait que l’achat du dernier Alexandre Jardin en version numérique allait permettre de répondre à la demande (insatisfaite au regard du nombre d’exemplaires papiers disponibles dans la bibliothèque), on vous répond : "ah ben non, vous avez acheté le fichier pdf mais vous n’en avez acheté qu’un exemplaire. Vous ne pouvez pas - par exemple - le prêter à plusieurs lecteurs à la fois. Ou alors c’est plus cher."

13. ENGAGER LA BATAILLE DE LA FORMATION. Arrêter l’hypocrisie. Si on veut que les bibliothèques prennent le virage du numérique, si on ne veut pas qu’elles se transforment en centres d’impression rapides façon fast-food, elles ont besoin de recruter non pas des contractuels mais des permanents. Elles ont besoin de recruter des personnes pour lesquelles le catalogage et la bibliothéconomie canonique ne constitueront pas un alpha et un oméga indépassables. Traduisez en novlangue : "modifier la structure managériale des bibliothèques autant que le type de management qui y est en vigueur". Former. Former. Former. Utiliser les structures relais existantes (Urfists, Cléo ...) et les multiplier.

Et puis aussi tant qu’on y est :

1. Arrêter de créer des commissions en leur donnant des lettres de cadrage bidon, ou alors en omettant carrément de leur donner une lettre de cadrage (si si ils ont vraiment fait ça ...)

2. Arrêter de nommer des éditeurs à la tête desdites commissions (ou à tout le moins essayer d’y nommer des gens qui feront un peu semblant d’être concernés par les problèmes qu’ils ont à traiter, sans avoir besoin pour cela de lire la lettre de cadrage du ministère ...)

3. Arrêter de réfléchir, de colloquer, de soliloquer, de journée
d’étudier ... Nous avons en main tous les éléments. Essayons de les appliquer.

4. Arrêter de penser qu’on a le temps, que la modification des comportements culturels bat au même rythme que la production de rapports ministériels sur les habitudes culturelles. Personne (pas même Google d’ailleurs) ne maîtrise quel sera le déclic qui fera que le secteur du livre se retrouvera dans le même état que celui de la musique. Mais l’on sait bien (et Google également) que ce déclic peut intervenir n’importe quand, là où on l’attendra peut-être le moins. Et l’on sait également que ce déclic aura nécessairement lieu. Alors cessons d’être hypocrites ou de convoquer d’illustres penseurs (médiatiques ou non) pour leur demander de rassurer la populace sur le devenir du livre papier. On se contrefiche du devenir du livre papier précisément parce son devenir est assuré.

5. Inventer les métiers de la prescription. On a besoin de gens qui savent vendre des livres. On a besoin de gens qui savent organiser les livres. On a aujourd’hui besoin de gens qui savent parler et faire parler des livres et des contenus culturels. Ce pourraient être les bibliothécaires et les libraires. Mais l’écart entre les pratiques et les attentes est tel, la formation est si dramatiquement en décalage, l’inertie du système et des mentalités si forte et l’incurie des pouvoirs publics si avérée, qu’il faut peut-être contourner l’ensemble et travailler à la périphérie. Former des prescripteurs qui ne seront que cela. Des "animateurs de communautés". Des "responsables de médiation culturelle", des "spécialistes de l’ingénierie du conseil", ce ne sont pas les intitulés ronflants qui manquent. Seulement les compétences. Dramatiquement.

Posté le 16 octobre 2009

©© a-brest, article sous licence creative common info