Pourquoi nos organisations collaborent-elles si peu…

Un article repris du blog
"Faire autrement, voir autrement"
L’usine à idées de Philippe Dancause

Une conjonction d’événements cette semaine m’a amené à réfléchir à l’incapacité quasi chronique des organisations à réellement favoriser la collaboration. En fait, on pense souvent collaborer, mais est-ce vraiment le cas ?

Pour explorer la question, je me suis référé à un excellent billet de l’équipe d’Anecdote, une entreprise Australienne oeuvrant dans le domaine de la gestion des connaissances et de l’activation de la collaboration (Dans le même univers que Grisvert en fait). J’avais pour projet depuis décembre d’en traduire l’introduction et mon questionnement des derniers jours m’en donne l’occasion.

En voici donc les premiers paragraphes :

Est-ce de la collaboration lorsque vous recevez, chaque année, un formulaire d’évaluation et qu’on vous demande d’évaluer les membres de votre équipe ? Absolument pas ; ceci est un acte de coordination. Chacun travaille de son côté afin d’atteindre l’objectif global que constitue l’évaluation organisationnelle de la performance. Seul un minimum de confiance est nécessaire (confiance dans le système) pour que le travail s’accomplisse.

Alors, est-ce de la collaboration lorsque vous vous asseyez votre équipe pour mener à bien le processus d’évaluation ? Pas tout à fait. Ici on coopère avec nos collègues pour réaliser une tâche que chacun sait devoir être réalisée. La coopération exige un niveau moyen de confiance (confiance dans la compétence et la bonne foi de l’autre), la valeur de ce qui est réalisé n’a pas tendance à revenir directement aux participants impliqués et quelqu’un d’autre vous impose le processus.

Qu’est-ce que la collaboration alors ? On est dans un contexte de collaboration lorsqu’un groupe de personne se réunit, poussé par un intérêt commun, pour explorer de façon constructive de nouvelles possibilités et créer quelque chose qu’elles n’auraient pas pu créer seul. Imaginez que vous êtes absolument passionné par le rôle que l’évaluation de la performance peut avoir sur l’efficacité d’une organisation. Vous faites équipe avec deux collègues pour repenser la façon don ces évaluations devraient être réalisées pour produire un maximum d’impact. Une confiance mutuelle est présente de façon implicite et chacun partage ses bonnes idées afin d’arriver au meilleur résultat possible. Vous et vos collègues partagez le succès et la reconnaissance découlant de ce travail particulièrement innovant et utile.

Cette définition et l’exemple qui l’accompagne résument, à mon avis, très bien la nuance entre coordination, coopération et collaboration. Il est par ailleurs frappant, à la lecture, de réaliser à quel point il est rare, dans la vie quotidienne d’une organisation, de voir réellement à l’oeuvre des actes de collaboration. Pour quelle raison est-ce le cas ? La collaboration ne devrait-elle pas être plus répandue ? N’est-elle pas la seule réelle façon d’innover, de relever des défis nouveaux, de provoquer la mobilisation ?

Je constate que plusieurs facteurs doivent être présents afin que cette “habitude” se développe dans une organisation :

  • Sans avoir à définir formellement la notion de collaboration, des exemples concrets doivent exister dans l’organisation, ne serait-ce que pour fournir une référence et démontrer que cette approche a permis de générer des résultats.
  • La direction (à commencer par la tête), doit donner “le droit” de collaborer. Je n’ai jamais (ou si rarement) vu de collaboration se produire dans un contexte organisationnel où il était mal vu de franchir les frontières, où on apprécie plus le respect des processus que l’initiative. Si la haute direction ne favorise pas la prise d’initiatives, le changement des façons de faire, le fait de prendre du temps pour faire émerger les idées, c’est foutu. Personne n’osera. Ces contextes peu porteurs sont facilement reconnaissables (posez-vous la question suivante : est-ce que les dirigeants “consomment plus d’énergie qu’ils en génèrent autour d’eux ? Si la réponse est oui, je peux vous assurer que vous trouverez un piètre terreau à la collaboration”).
  • * Dans les organisations où la collaboration est forte, les gestionnaires acceptent que “tout ce qui compte ne se compte pas“. Qu’au-delà des processus et des indicateurs (qui sont tout à fait important par ailleurs), d’autres facteurs doivent exister afin de développer la vivacité organisationnelle. L’initiative, l’engagement, le dialogue, la sensibilité à ce qui émerge de nouveau, la confiance en l’autre et le droit dire ce qui doit être dit sont des attitudes et des agissements qui se mesurent difficilement, mais doivent être présent si l’on souhaite collaborer.
  • La présence de généralistes, qui savent travailler avec des spécialistes, connecter les idées, synthétiser les modèles ou encore penser “hors de la boîte” est, à mon sens, un élément favorisant l’émergence de la collaboration. Ceux-ci la provoquent et la soutiennent. Les généralistes sont toutefois relativement rares dans la plupart des organisations. On ne sait pas où les placer ou encore comment les utiliser. J’en retrouve souvent dans les bureaux de projets, dans des directions “du développement”, etc. Cet élément est l’un des plus importants à explorer et à développer chez la plupart des organisations. J’en connais très peu qui savent cultiver et retenir leurs généralistes. Elles les évacuent naturellement, ne sachant ni les reconnaître, ni les utiliser, ni les valoriser. Ces généralistes malheureux deviennent, pour leur part, souvent consultants…
  • Pour terminer, je retrouve très souvent dans les organisations qui savent collaborer des communautés de pratiques (ou communautés de praticiens en bon français). Ces communautés d’entraide permettent à leurs participants d’explorer, sans être limités par les silos organisationnels, des idées et des façons de faire afin de leur permettre de mieux relever leurs défis respectifs. Ces communautés carburent à l’engagement, à l’intérêt, à la confiance, à l’échange. Toutes des attitudes qui, si vous le remarquez bien, font partie des choses “qui comptent”.

Alors, pour conclure, posons-nous la question. Nos organisations doivent-elles aller au-delà de la maîtrise des processus et du leadership traditionnelle pour innover et créer de nouvelles réalités ? Je pense que oui.

Est-ce que ces savoir-faire sont présents naturellement dans nos modèles de gestion au Québec (ou ailleurs) ? Je ne le pense pas.

Pourquoi donc ce sujet n’est-il pas plus présent dans la littérature ou encore dans les médias d’affaires ? À mon avis, parce que ces pratiques reposent peu sur des recettes, des processus “contrôlables” ou encore des outils (technologiques ou non). C’est malheureux, mais il n’y pas de réponses simples et des problèmes complexes (ou de solutions rapides à des problèmes profonds).

Ceci ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, bien au contraire ! Au travail donc, mais de façon lucide et intelligente !

Posté le 13 avril 2009

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