CC0 : une nouvelle licence Creative Commons pour “marquer” le domaine public en ligne

L’organisation Creative Commons a officiellement annoncé le 11 mars dernier le lancement d’une nouvelle licence, dite CC0 (pour Creative Commons Zéro). (On en parle ici, voir là pour aller directement au texte de la licence, ici pour une description du projet sous forme de FAQ et là pour le communiqué officiel de lancement de CC International).

Un article repris du blog S.I.lex Au croisement du droit et des sciences de l’information. Carnet de veille et de réflexion d’un bibliothécaire publié sous licence Cretaive commons by

Les licences Creative Commons permettent déjà aux auteurs de sortir de la logique classique du Copyright et de libérer de manière graduée leurs oeuvres sur Internet, en autorisant certains types d’usages comme la copie, la représentation, la modification à but lucratif ou non.

J’avais déjà eu l’occasion d’essayer de montrer comment les bibliothèques pouvaient tirer parti de ces licences, notamment pour favoriser la dissémination et la réutilisation des contenus que nous portons en ligne au sein d’un cadre juridique clair et compréhensible pour l’usager.

La nouvelle licence CC0 permet d’aller encore plus loin et d’abandonner tous les droits qu’un créateur peut revendiquer sur une oeuvre. En apposant cette licence un titulaire de droits certifie soit qu’une œuvre n’est plus couverte par aucun droit (appartenance au domaine public), soit qu’il n’entend revendiquer aucun des droits que pourrait lui reconnaître la loi sur l’œuvre.

Cette licence se présente comme un perfectionnement ou un prolongement de la PDDC (Public Domaine Dedication and Certification) qui existait déjà, mais n’avait de validité juridique réelle que dans l’aire anglosaxonne. Les CC0 ont à présent une valeur universelle et peuvent être adoptées en France.

A mon avis, cette nouvelle revêt une grande importance pour les bibliothèques lancées dans des opérations de numérisation. C’est un élément qui pourrait jouer un rôle dans le débat lancé par Biblobession, la Feuille et BlogNot le mois dernier à propos du sort du domaine public une fois numérisé (“Le domaine public est-il encore public une fois numérisé ?”).

En effet, si l’acte de numériser une oeuvre du domaine public ne fait pas renaître de droits ipso facto (la numérisation n’est qu’une copie technique, elle ne crée pas une nouvelle oeuvre car il lui manque le critère de l’originalité), il existe de nombreuses façons pour une bibliothèque de revendiquer des droits par d’autres biais et contrôler ainsi les usages des documents numériques.

Il est possible par exemple de s’appuyer sur le droit des bases de données dès lors que l’on dispose d’une bibliothèque un tant soit peu structurée et les oeuvres numérisées peuvent être assimilée à des données publiques, pour lesquelles la loi du 17 juillet 1978 reconnaît au profit des établissements qui les produisent un droit de contrôle (et même un droit à la commercialisation).

D’autres établissements français ne s’embarassent même pas d’autant de précaution et apposent purement et simplement un copyright ©, sur les oeuvres numérisées, comme si le simple fait de les avoir reproduits leur permettaient de s’appropier leur contenu… et c’est même une pratique assez répandue …

Dans ces conditions, on peut se demander si la numérisation n’est pas une sorte de piège pour le domaine public, car si la forme numérique facilite l’accès aux oeuvres et leur réutilisation, elle autorise aussi de nouvelles formes d’appropriation. Quand bien même les droits d’auteur sont éteints, d’autres droits peuvent renaître et verrouiller les usages …

Et ces pratiques posent question vis-à-vis de la mission des bibliothèques. Force est de constater que c’est du côté des projets “privés” (Projet Gutenberg, Open Content Alliance ou Wikisource) que l’on rencontre les pratiques les plus ouvertes. Mis à part la Bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis qui ne revendique aucun droit sur les matériaux issus du domaine public qu’elle porte en ligne, la très grande majorité des bibliothèques rajoutent des couches de droits, là où la liberté de réutilisation devrait prévaloir.

Et les bibliothèques qui vont jusqu’à apposer un copyright sur les oeuvres numérisées (”tous droits réservés” donc …) vont même plus loin que Google en la matière, puisque la licence de Google Book Search n’interdit que les réutilisations à but commercial, les extractions automatisées et systématiques et de supprimer le filigranne “Numérisé par Google” présent sur chaque page (cette licence apparaît dans les fichiers PDF lorsqu’on télécharge un livre sur GBS).

La Commission européenne s’était d’ailleurs émue récemment des pratiques du secteur culturel en Europe (car les musées par exemple ont tendance également à poser de sévères restrictions à la réutilisation du domaine public). Dans une communication du intitulée “Le Patrimoine culturel de l’Europe à portée de clic“, elle prend la peine d’apporter cette précision :

“Il faut souligner qu’il est essentiel que les œuvres qui sont dans le domaine public restent accessibles après un changement de format. En d’autres termes, les œuvres qui sont dans le domaine public devraient y rester une fois numérisées et être rendues accessibles par l’internet.”

La nouvelle Licence Creative Commons 0 peut permettre d’atteindre cet objectif. Une bibliothèque peut l’utiliser par exemple pour indiquer sans ambiguïté qu’elle ne souhaite pas revendiquer de droits en se plaçant sur le terrain du droit des bases de données ou sur celui de la réutilisation des données publiques.

En “marquant” une œuvre avec un CC0, elle peut aussi certifier qu’une œuvre appartient bien au domaine public et peut être réutilisée librement. Et comme les Creative Commons ne sont pas seulement des licences mais aussi des métadonnées, les moteurs de recherche pourront les utiliser et signaler simplement les oeuvres appartenant au domaine public (comme il existe déjà actuellement des moteurs qui repèrent les oeuvres sous CC).

On aboutirait ainsi à une sorte de “cartographie” du domaine public en ligne, indispensable pour que les œuvres anciennes viennent alimenter la création d’aujourd’hui et de demain. Ce type d’usage ces CC0 a d’ailleurs déjà été évoqué dans le cadre du projet européen Communia, financé par la Commission européenne pour réfléchir sur le Digital Public Domain.

Les licences CC0 sont donc désormais prêtes à l’adoption, y compris en France.

Si vous avez quelques documents numériques sous la main …

Posté le 5 avril 2009

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