Vague de filtrage sur l’Internet mondial

Repris de l’article publié par Homonuméricus
site sous Contrat creative Commons

Quel point commun réunit la Roumanie, le Danemark, l’Allemagne, l’Australie, la Grande-Bretagne ? Tous ces pays s’apprêtent à filtrer l’accès du public à Internet au niveau des fournisseurs d’accès dans le but d’empêcher l’accès à des contenus illégaux. Ce faisant, ils rejoindront d’autres pays qui, comme la Chine, la Syrie, l’Arabie Saoudite ou la Tunisie, le font depuis longtemps.

En Australie : c’est le Ministre de la Communication qui, malgré les oppositions, travaille à mettre en place un système de filtrage général sur la base d’une liste noire de sites web interdits, dont le contenu resterait secret.

Au Danemark, c’est par le biais d’une décision de justice qu’un des premiers fournisseurs d’accès du pays a dû interdire l’accès de ses clients à Pirate Bay, célèbre portail suédois recensant et pointant vers un grand nombre de contenus diffusés sur Internet en infraction avec le droit d’auteur.

Lire surEcrans : Girardeau, Astrid. “Danemark : Le principal fournisseur d’accès filtre les pirates.” Ecrans, Janvier 20, 2009.

Non loin de là, en Allemagne, la Ministre de la famille Ursula von der Leyen cherche à lutter contre la pédo-pornographie en mettant en place un système de filtrage lui aussi basé sur une liste noire secrète établie par la police fédérale.

Lire sur Spiegel : “Kinderpornografie : Familienministerin setzt Internet-Filter durch .” Spiegel, Janvier 15, 2009.

On pourrait continuer ce tour du monde du filtrage Internet, en évoquant la Finlande par exemple, ou la Roumanie. Un excellent article paru dans The Register fait le point sur la situation dans ces différents pays. Il évoque aussi les projets du Ministre de la Culture britannique visant à catégoriser les sites web comme on le fait actuellement pour les films de cinéma.

Lire sur The Register : Ozimek, John. “Government pipedreams on internet ratings doomed to failr.” The Registe, Décembre 30, 2008.

Comme beaucoup d’autres débats relatifs à Internet, la question du filtrage des sites Web est une vieille question. En 2006 déjà, la France s’était illustrée par un procès célèbre contre l’entreprise Yahoo ! dont un site de vente aux enchères permettait aux internautes d’acheter et de vendre des souvenirs nazis. La question s’était alors posée, au niveau du site incriminé, de la mise en place d’un filtrage excluant les visiteurs français sur la base de leur adresse IP. La plupart des experts étaient sceptiques. Aujourd’hui, la problématique est différente puisque c’est de filtrage au niveau du fournisseur d’accès qu’il s’agit. Ainsi il y a quelques mois, la Secrétaire d’Etat à la Famille Nadine Morano proposait la mise en place d’une « police internationale de la Toile » et de mesures de filtrage visant à interdire l’accès à une liste de sites pédopornographiques.

Lire sur Homo Numericus : piotrr. “Menaces sur les usages de l’Internet.” Homo Numericus, Septembre 2, 2008.

Les critiques portées à l’encontre de la mise en place de telles mesures de filtrage sont très nombreuses. Elles reposent pourtant la plupart du temps sur un argument qui n’est pas imparable : l’argument technique qui avance la difficulté de la mise en place des outils de filtrage, les nombreuses erreurs en « faux positif » que provoquent ces outils et enfin les possibilités de contournement pour tout internaute un peu avisé.

Voir sur Opennet : Ronald Deibert, John Palfrey, Rafal Rohozinski, Jonathan Zittrain, eds., Access Denied : The Practice and Policy of Global Internet Filtering, (Cambridge : MIT Press) 2008.

Ces arguments ne portent pourtant pas auprès des gouvernements. Dans leur esprit en effet, le poids de la gestion technique du filtrage peut bien reposer sur les fournisseurs d’accès, la censure sur Internet n’est pas de la vraie censure parce qu’Internet n’est pas un vrai média, et enfin peu importe que le filtrage soit partiellement inefficace pourvu qu’un signal soit envoyé en direction du grand public. Par ailleurs, l’exemple chinois prouve bien que la mise en place de mesures de filtrage ne constitue pas nécessairement un frein au développement des usages d’Internet.

Du coup, on peut légitimement se demander s’il n’est pas temps que ceux qui souhaitent empêcher la mise en place de telles mesures adoptent une autre stratégie en portant le débat sur un autre terrain, celui des principes par exemple. Peut-être pourrait-on inciter les citoyens des différents pays, surtout de ceux qui ont une longue tradition démocratique, à se demander s’ils souhaitent vraiment la mise en place de systèmes de filtrage a priori sur quelque moyen de communication que ce soit.

Posté le 24 janvier 2009

©© a-brest, article sous licence creative commons cc by-sa