Taken Out of context : pratiques adolescentes sur les réseaux sociaux

Repris de l’article publié par Homonuméricus
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Danah Boyd est une brillante chercheuse. Récemment recrutée au laboratoire de recherche de Microsoft en Nouvelle Angleterre, elle vient de soutenir sa thèse à l’Université de Berkeley. Ce travail vient conclure plus de 2 ans d’enquêtes ethnographiques auprès d’adolescents américains. Il s’agissait pour Danah Boyd de comprendre la manière dont ces adolescents se sont emparés des réseaux sociaux comme Facebook et Myspace pour développer une forme de sociabilité qui leur est propre. Son analyse repose sur l’utilisation du concept d’"espace public en réseau" qui décrit tout à la fois l’espace qui se construit au travers des technologies en réseau, et la communauté imaginée qui émerge de l’intersection entre les individus, les pratiques et les technologies. Pour Danah Boyd, ces espaces d’un type particulier sont caractérisés par trois propriétés : la présence de publics invisibles, l’effondrement des contextes et l’effacement de la frontière entre public et privé. En les utilisant de manière intensive, les adolescents américains font ce que font les jeunes depuis toujours : ils socialisent, ils apprennent à vivre en société, ils construisent leur identité et préparent leur entrée dans le monde des adultes. Mais ils le font de manière inédite, en utilisant et en apprenant à utiliser des outils de communication nouveaux.

Danah Boyd met bien en lumière le décalage entre la perception qu’ont les adultes de ces réseaux sociaux, pour l’essentiel faite de ce que les médias en disent, à savoir des lieux dangereux et incontrôlables, et les pratiques qu’y déploient les adolescents, plutôt empreintes de bon sens au final. Elle montre comment ces derniers interagissent avec le dispositif technique, qui informe leurs modes de sociabilité, autant qu’il est informé par eux. Finalement, c’est la notion même de vie privée qui apparaît transformée et faire l’objet du plus grand malentendu entre adolescents et adultes : alors que ces derniers la comprennent essentiellement comme l’interdiction de l’accès aux informations les concernant, les adolescents la conçoivent plutôt comme un contrôle sur cet accès : à qui donner accès à quelle information ? et ce contrôle est difficile à acquérir ; il fait l’objet d’un apprentissage.

Plus intéressant encore, est le constat fait par la chercheuse, que la multiplication des discours alarmistes sur les dangers réels ou supposés des réseaux sociaux aboutit à l’effet strictement inverses à ceux qui sont souhaités. Ainsi, angoissés par ces messages à répétition, les parents sont tentés de vouloir surveiller les activités de leurs enfants sur ces réseaux, de les décourager ou pire, de les empêcher, toutes choses qui aboutissent à une seule chose : encourager ces adolescents à dissimuler leurs pratiques. Danah Boyd insiste beaucoup là-dessus et se faisant, elle porte un message politique fort : la tentation de l’hyper-contrôle constitue une anti-éducation qui renforce le clivage entre les générations, conduit les adolescents à refuser tout contact avec les adultes, et leur apprend à mentir. Le constat que fait Danah Boyd n’est pas très réjouissant : les relations entre adultes et adolescents en Amérique, mais cela peut être dit, sans doute, de la plupart des sociétés occidentales, ne sont pas bonnes. Les conflits qui se déroulent autour des réseaux sociaux n’en sont que le symptôme, le mégaphone, dit-elle, et non la cause, comme on le répète souvent.

La lecture d’une thèse n’est habituellement pas exactement une partie de plaisir ; l’exercice impose des canons stylistiques pas vraiment littéraires à des productions pas toujours très pertinentes. Ce n’est pas le cas de la thèse de Danah Boyd, passionnante de bout en bout. Elle exploite à merveille, en particulier, toutes les ressources de l’ethnographie qui s’attache à restituter le sens que les acteurs accordent à leurs propres pratiques. Alors que les études sociologiques habituelles réduisent trop souvent ces pratiques à des agrégats statistiques, ou les observent de l’exterieur, on sent que Danah Boyd a réussi à avoir cette complicté avec ses interviewés, lui permettant de mieux comprendre les motivations et la logique de l’investissment adolescent sur les réseaux sociaux. C’est peut-être aussi sa limite d’ailleurs, puisqu’assez peu de place est accordée, dans son enquête, à l’analyse du positionnement de ces autres acteurs que sont les parents ou même, les entreprises qui fournissent ces services de réseaux sociaux.

Il faut lire de toute urgence ce travail, accessible, comme il se doit, gratuitement sur Internet et diffusé sous licence Creative Commons.

Posté le 23 janvier 2009

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