Un article repris du Blog de Philippe Aigrain et publié sous contrat Creative Commons by-sa
La commission européenne a adressé à la France ses commentaires sur le projet de loi Création et Internet. Il s’agit d’une analyse très détaillée, considérant l’ensemble du texte du point de vue de sa compatibilité avec le cadre juridique européen et international. Elle porte en particulier les questions liées aux droits fondamentaux et aux régimes de responsabilité qui ont permis le développement de l’internet et de la toile. Je soulignerais volontiers le parallélisme avec de nombreux arguments que La Quadrature du Net avait avancé pour justifier son opposition au texte, mais ce ne serait pas faire justice à la qualité de l’analyse proposée par la Commission puisqu’elle soulève également des obstacles qui nous avaient échappés.
Une analyse synthétique des commentaires de la Commission paraîtra bientôt sur le site de La Quadrature du Net. Ils sont bien sûr formulés poliment et avec le souci de laisser ouverte la possibilité pour le gouvernement français de justifier et amender ses propositions. Mais l’un des points soulevés par la Commission, et le contexte dans lequel elle le fait, garantissent au projet Création et Internet une pénible agonie. L’entêtement autoritaire parviendra peut-être à le faire voter. Mais, si c’est le cas, il sera adopté dans un état tel qu’il rejoindra la longue liste des lois, décrets, chartes et politiques qui n’ont jamais eu d’autre résultat que de retarder encore l’organisation positive de la liberté d’échanges des œuvres numériques et la mutualisation de part de leur financement.
Voyons de quoi il s’agit. Depuis son origine, j’affirme que l’aspect le plus attentatoire aux droits fondamentaux du projet réside dans le cœur de la riposte graduée : les avertissements et menaces adressées aux internautes au nom de la “pédagogie”. Voyons ce que la Commission en dit :
Dès lors que le projet notifié établit une responsabilité objective du titulaire de l’accès à internet pour manquement à l’obligation de sécurisation de son accès, qui pourrait avoir pour conséquence une atteinte au droit d’auteur, sous peine de déconnexion du réseau, le fait que les recommandations envoyées aux abonnés de manière systématique ne soient pas sujettes à recours pourrait mettre en danger le droit fondamental à un procès équitable.
et plus loin :
Afin de renforcer la sécurité juridique du dispositif, il serait important que la notification à l’égard de l’abonné, aux termes de l’article L. 331-24 du projet notifié comporte mention également de l’objet de l’infraction supposée (titres téléchargés, date, etc.) et que le premier message adressé à l’internaute soupçonné de s’être livré au piratage puisse lui-même faire l’objet d’un recours, à l’instar du deuxième et du troisième message.
On ne saurait le dire plus clairement : possibilité de recours contradictoire et explicitation des accusations portées dès l’origine du processus sont la seule garantie d’une procédure équitable pour l’ensemble de ce processus. Voilà qui replace l’amendement Bono/Cohn-Bendit/Roithova dans ce qui a toujours été son rôle : le rappel de droits fondamentaux qui valent que l’on retienne l’amendement ou pas. Où ces droits sont-ils affirmés ? La Commission le rappelle, ces droits sont noir sur blanc dans la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :
Du point de vue des droits fondamentaux tels que reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte européenne des droits fondamentaux, le projet notifié soulève des questions relatives au droit à un procès équitable (article 6 de la CEDH, articles 48 et 49 de la Charte) dans le cadre des mesures pédagogiques envisagées [...]
On aurait pu ajouter les articles 8 et 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dont nous fêterons le 60ème anniversaire dans une semaine. Le gouvernement compte-t-il obtenir la suppression de ces dispositions ?
Le plus douloureux pour les défenseurs du projet va être que les portes ouvertes pour échapper à cette critique ouvrent sur divers abîmes. Pour les découvrir, il vous faudra patienter : puisqu’ils ne veulent rien entendre, laissons-les patauger un peu.