Les réformes de la recherche en France et les luttes qu’elles ont entraînées, comme modèle des réformes de la recherche en Europe

Intervention dans le cadre du séminaire « Place de la Recherche fondamentale et appliquée dans le développement durable » organisé dans le cadre du Forum Social Européen [1].

Pour illustrer la place de la recherche fondamentale et appliquée dans le développement durable, comme le propose le titre de notre séminaire, je vais partir de la situation de la recherche en France, des réformes néolibérales en cours et des luttes des personnels qu’elles ont entraînées.

La France a un système de recherche publique original par rapport aux autres pays en Europe, avec des organismes publics nationaux comme le CNRS, avec un statut de fonctionnaire de l’Etat des chercheurs, des enseignants chercheurs, des personnels techniques et administratifs. Mais, la France se situe aussi dans le cadre de la politique néolibérale de l’Europe, en particulier, les « objectifs de la stratégie de Lisbonne » de 2000, consistant essentiellement à mettre l’enseignement supérieur et la recherche au service des intérêts économiques du patronat européen.

Il s’agit de répondre, à court terme, aux besoins d’ « innovation » des entreprises en instrumentalisant la recherche publique. C’est en fait la copie du modèle « anglo-saxon » : - autonomie des établissements avec une mise en concurrence généralisée entre eux ; - concentration arbitraire des structures en « pôles d’excellence » ; - désengagement financier de l’Etat et ouverture aux financements privés ; - accentuation de la précarisation des personnels. Toutes ces réformes visent en fait à la casse du service publique de la recherche et de l’enseignement supérieur, pour l’ouvrir au marché et à la concurrence.

Les modifications du système de recherche en France ont commencé dès 2003 quand le gouvernement a fortement diminuer les crédits aux organismes publiques de recherche et supprimer de nombreux postes de chercheurs et d’enseignants chercheurs, d’où une forte augmentation de la précarité pour les jeunes (par des contrats à durée déterminé, CDD, de 2 à 3 ans).

Ensuite, le gouvernement a fait voté 2 lois : une loi réformant la recherche en 2005, une autre loi réformant les universités en 2007. Avec ces 2 lois, le gouvernement a mis en place des nouvelles « agences », composées entièrement de personnalités désignées par lui, donc sans aucun élu des personnels, chargées de piloter les axes de recherche par des contrats à court terme (2-3 ans) sur des priorités scientifiques définies aussi par le gouvernement. Ces priorités scientifiques sont essentiellement celles annoncées par l’Europe avec le 7ème Programme cadre (PCRDT).

Cette stratégie de Lisbonne, visant, je le rappelle, à doter l’Union européenne de « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde pour 2010 », implique une réorganisation de la recherche publique autour de ces objectifs à court terme, dont la définition vient essentiellement des besoins des entreprises.

La recherche appliquée est nécessaire pour le développement économique amis on constate que, dans le même temps où la recherche publique est attaquée, les grands groupes multinationaux abandonnent leurs propres centre de recherche internes au profit d’une politique de sous-traitance des organismes publiques.

Mais surtout, le développement de cette recherche à court terme sur contrats se fait au détriment de la recherche fondamentale, laquelle suppose un minimum d’indépendance des chercheurs quant aux choix de leurs recherches.

En France, pour le patronat et pour le gouvernement à son service, l’existence d’organismes de recherche publiques et nationaux, comme le CNRS, et d’un statut de salarié de l’Etat pour les personnels, sont des obstacles à la mise en œuvre de cette politique européenne néolibérale.

C’est pourquoi, après les lois recherche t universités, le gouvernement s’est attaqué, cette année 2008, à l’existence même de ces grands organismes nationaux de recherche, en particulier le CNRS, en découpant ces organismes en plusieurs « Instituts » thématiques, directement sous le contrôle d’experts nommés par le gouvernement. Ainsi, il n’y aurait plus aucune autonomie du CNRS pour définir ses choix scientifiques, plus de cohérence nationale dans sa politique scientifique, plus de recherches pluridisciplinaires, et enfin, plus de démocratie avec la fin de toute représentation élue des personnels.

Mais cela n’a pas été si simple à faire pour le gouvernement. Il a du faire face à une très forte mobilisation aussi bien des chercheurs, des enseignants chercheurs et des personnels techniques, des étudiants, mais aussi du soutien de la population, pour le maintient d’organismes nationaux publiques de recherche, indépendant des pouvoirs politiques et économiques, comme le CNRS.

En juin 2008, le Conseil d’Administration du CNRS qui devait voter cette réforme a été bloqué par les personnels et leurs organisations syndicales.

Même si le succès de cette lutte est limité et que le gouvernement va sans doute continuer à vouloir casser le CNRS, il montre que la lutte paye, avec le rôle essentiel des syndicats.

L’autre objectif du gouvernement en France est de remettre en cause le statut de fonctionnaire, salarié de l’Etat à temps plein, des chercheurs, enseignants chercheurs au profit de postes plus précaires. Or, ce statut de salarié de l’Etat permet de garantir aux personnels de la recherche et des universités leur indépendance tant vis à vis des pressions économiques que politiques. Les contrats à court terme vont, au contraire, restreindre très fortement cette liberté et cette indépendance. On peut s’attendre à de fortes pressions pour que les chercheurs soient obliger de ne faire des recherches que sur les thèmes imposés par les besoins du patronat.

De plus, le gouvernement veut mettre en place un système de rémunération individualisée des chercheurs, avec des compléments de salaires pouvant aller de plus 30 à plus 100 %, versés aux « plus méritants », sélectionnés par un comité d’experts nommés par le gouvernement. Ce système va favoriser la mise ne concurrence de tous les personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, avec la montée de l’individualisme et la fin des solidarités, pourtant essentielles au travail collectif dans les équipes de recherche.

Cette situation en France se retrouve aussi dans les autres pays en Europe, et, en conclusion, il nous semble nécessaire qu’il y ait plus de contacts entre les organisations syndicales européennes de la recherche et de l’enseignement supérieur, afin de confronter nos expériences de luttes et donner des perspectives communes. Mais il faut aussi intervenir ensemble au niveau des institutions de l’Union européenne, via la Confédération Européenne des Syndicats (CES), afin de faire connaître l’opposition des représentants des personnels à cette stratégie néolibérale de Lisbonne, pour faire ensemble des propositions pour le dévoleppement d’un véritable service publique de la recherche te de l’enseignement supérieur partout en europe.

Plus que jamais le rôle des organisations syndicales est primordial dans ce combat.

L’adresse originale de cet article est http://fsm-sciences.org/spip.php?article227

[1Sustainable development, role of basic and applied research

Place de la Recherche fondamentale et appliquée dans le développement durable

jeudi 18 septembre 2008, 18 à 21H,

Organisateurs :

Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques (FMTS)

Fondation Sciences Citoyennes

Intervenants :

JP Lainé (SNESup FSU) - introduction au nom de la FMTS et du SNESUP - science et société

Vdovine (STAS Russie) - science et développement économique – (absent mais envoi lettre)

J Kister (FERC, SNTRS CGT et FMTS) - les réformes en France ; les luttes ; le cas du CNRS

J Guespin (Espace Marx – Transform) - ouvrir le débat aux citoyens, et organiser la démocratisation

F Piasecki (Fondation Sciences Citoyennes) - le futur Forum Science et Démocratie lors du FSM de Belem (Janvier 2009)

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