Un article repris du blog Clochixet publié sous licence GNU GFDL
Je suis de plus en plus excédé par le caractère quasi obligatoire aujourd’hui dans nos milieux webranchouillardeux d’avoir un compte gmail, d’utiliser Google reader pour lire ses feeds, Google doc pour partager ses documents, Gtalk pour papoter... [1]. Donc, pour ne pas avoir à le répéter et à m’en expliquer moult fois, je le clame ici : non je n’utilise aucun des services des adogoosoftoo, ni messagerie ni plate-forme collaborative, et je me refuse à le faire, que ce soit à titre privé ou professionnel. Point. (ce qui ne m’empêche pas d’avoir une vie numérique épanouie, je vous remercie).
Les raisons en sont multiples et leur exposé demanderait un long billet. Comme cela n’intéresse personne et que je n’ai pas le temps ce soir, voici un simple rapide résumé de quelques pistes.
Quel prix accordez-vous à votre vie privée ?
Lorsque je communique par mail ou par messagerie instantanée, je considère qu’il s’agit de conversations privées [2]. Peu importe le contenu de cette conversation, elle ne regarde que mes interlocuteurs et moi. Je dénie le droit à quiconque d’y mettre son nez. Or, Google analyse tous les messages afin d’afficher des publicités contextuelles. Cette analyse est certes le fait d’un robot, mais son résultat contient des informations sur le sens du contenu du message, informations qui peuvent être conservées, consultées par des opérateurs humains, etc. [3]
Tous ces services prétendument gratuits ne le sont bien sûr pas. Google ou Microsoft ne sont pas des philanthropes guidés uniquement par le désir d’aider leurs semblables. En échange des services qu’ils vous rendent, ils vous font signer des licences qui leur donnent le droit de lire vos mails, analyser vos comportements, vos recherches, dresser la cartographie de vos relations, bref, essayer de vous connaître mieux que quiconque. Le but avoué, pour l’instant, est de vous refourguer leur came ou celle de leurs partenaires. De même que la mission de la télévision est de vendre aux publicitaires du temps de cerveau disponible, selon la désormais célèbre maxime d’un ex dirigeant d’entreprise, celle des mastodontes du web est de tout savoir de vous pour vous inciter à consommer. Bref, en échange de quelques gigas de stockage pour vos données et d’interfaces sexy, vous autorisez ces compagnies à violer votre intimité. A chacun de voir la valeur qu’il accorde à son intimité et à la protection de sa vie privée. Pour ma part, elle est bien supérieure aux petites bénéfices annexes que je pourrais tirer de l’utilisation de gmail et consort.
Nous vivons malheureusement dans des dictatures douces où l’état s’arroge le droit de violer notre vie privée, par exemple en mettant en place d’innombrables formes de surveillance. Tous nos échanges, électroniques ou non, sont donc potentiellement surveillés. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de protéger notre intimité lorsque nous le pouvons. Par exemple en refusant d’accorder à des entités privées les privilèges que s’arroge l’état.
Tomber de formats fermés en nuages verrouillés ?
Pendant des années, nos données ont été prisonnières des formats de fichier fermés de Microsoft. Nous avions besoin des leurs logiciels pour pouvoir relire les documents que nous avions créés. Aujourd’hui, sous la pression entre autres des logiciels libres, les formats ouverts s’imposent, nous redonnant le contrôle total des documents que nous créons. Est-ce le moment d’abandonner à nouveau la main de nos données en allant les stocker dans des nuages, sans grandes garanties sur la qualité du service, son accessibilité (les conditions d’utilisations sont souvent pleines de clauses permettant la coupure du service selon la simple volonté du fournisseur), les possibilités qu’il offre de récupérer un jour toutes ses données ? Ce point mérite qu’on s’y attarde, et j’essaierai d’y revenir à l’occasion, mais en attendant je vous conseille si ça vous intéresse la lecture de ces deux articles : "Open Source and Cloud Computing" de Tim O’Reilly et "A l’ère de l’« informatique en nuages »" d’Hervé Le Crosnier dans le Diplo de ce mois-ci, toujours en kiosque.
Confieriez-vous toutes vos données au gouvernement chinois ?
Autre point qui me pose problème, le pays dont dépendent juridiquement la plupart des grands fournisseurs de service est l’un de ceux dont les gouvernements successifs sont parmi les plus liberticides. Il est de bon ton en ce moment de dénoncer les atteintes aux libertés commises par le gouvernement chinois, mais celui des USA n’a rien à lui envier. Sous divers prétextes fallacieux, des lois d’exception, comme le Patriot Act, sont devenues la norme dans ce pays. Et outre les atteintes sans arrêt plus grandes aux libertés, les USA ont démontré depuis des années leur volonté d’étendre leur contrôle bien au delà de leurs frontières, ce qui les rendent bien plus à craindre que bon nombres d’autres pays généralement dénoncés pour leur mesures liberticides.
Alors, stockeriez-vous vos données sur des serveurs dépendant du gouvernement chinois ? Pour ma part, je refuse de déposer les miennes sur des machines dépendant de la législation étasunienne. La france ne vaut certes guère mieux, mais je m’en contente pour l’instant en attendant de trouver une opportunité de confiance pour migrer ma vie numérique vers des serveurs hébergés sous des cieux moins craignos.
C’est bien beau de critiquer, mais qu’est-ce que tu proposes ?
Refuser d’utiliser gmail et consort ne signifie pas retourner à l’âge de pierre. On peut sans problème profiter pleinement du réseau sans tomber entre les griffes des différents Moloch. C’est bien sûr un peu plus compliqué, moins pratique, cela demande des efforts, comme la plupart des démarches émancipatrices. Cela demande d’étudier le fonctionnement du réseau, d’apprendre à le faire fonctionner, de construire ses propres espaces, hébergement, serveurs de messagerie, de stockage, lieu d’élaborations collective... Mais tous les outils sont disponibles librement, il n’y a qu’à les prendre et les utiliser. Et la démarche est de plus en plus simple grâce à l’existence de nombreuses initiatives qui vont dans ces sens et de communautés qui pratiquent l’entraide, l’échange d’expérience, le partage de bande passante et de services. Bref, il s’agit de devenir acteurs de nos vies numériques et non de simples consommateurs de services pré-mâchés.