Menaces sur les usages de l’Internet

Un accès illimité, libre et sans contrôle au Réseau. Cette expérience de l’Internet que vivent des millions d’usagers est peut-être sur le point de disparaître. Elle est en tout cas fortement menacée.

Repris de l’article publié par Homonuméricus
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Elle l’est d’abord par de nouvelles politiques commerciales qu’un certain nombre de fournisseurs d’accès promettent de mettre en oeuvre bientôt. Selon ABC news qui publie un reportage sur la question, de très importantes acteurs du secteur aux Etats-Unis, tel Comcast, promettent d’en revenir à une facturation liée à la quantité de données échangées par le titulaire d’un abonnement. Pour les fournisseurs d’accès, la mesure vise à empêcher la captation de bande passante par une infime minorité de très gros consommateurs au détriment de l’immense majorité des abonnés. Pour d’autres, l’argument n’est qu’un prétexte ; il s’agit surtout d’augmenter la rentabilité de l’activité. Les mêmes critiquent surtout des mesures qui risquent de porter un coup d’arrêt au développement de l’offre de vidéo à la demande sur le point d’éclore. De la même manière, les services qui ont fleuri à partir de l’idée d’une connexion permanente patiront nécessairement de ce qui apparaît au fond comme une régression.

L’autre régression qui se profile à l’horizon, est celle du filtrage des contenus. Les signaux se multiplient qui indiquent que ce qui apparaissait jusqu’à présent comme un tabou risque bien de tomber dans les prochaines années. Evoquons le plus caricatural : les récentes déclarations de Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur et de Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la famille qui plaident toutes deux pour un filtrage des sites pédophiles. Il n’aura échappé à personne que ce qui compte dans ce genre de déclaration est moins les sites pédophiles - qui ne sont qu’un prétexte, que la notion de filtrage elle-même, susceptible d’être appliquée à bien d’autres choses plus intéressantes, comme les contenus piratés ou, éventuellement, les sites impertinents.

Or, sur ce point, on peut s’inquiéter que les termes du débat soient sur le point d’évoluer depuis le procès Yahoo ! qui avait posé pour la première fois dans le débat public cette question du filtrage. Ainsi, depuis, un très bel exemple est venu confirmer dans les faits les prémisses un peu théoriques que ce procès avançait déjà en 2001. il s’agit bien sûr de la Chine dont la politique en matière de contrôle de la liberté d’expression fut placée sous le feu des projecteurs à l’occasion des Jeux Olympiques. Occasion de découvrir qu’il est désormais tout à fait possible de construire unInternet à la fois performant et filtré alors même que les usages d’Internet et des nouvelles technologies s’y développent considérablement. Le tout avec l’assentiment manifeste d’une bonne part de la population. Même si le contexte est très différent, les défenseurs des libertés civiques feraient bien d’y réfléchir à deux fois : le développement d’Internet n’est pas automatiquement corrélé avec celui de la liberté d’expression. De point de vue technique et des usages, des pays comme la Chine ou la Tunisie montrent qu’il est possible sur le plan technique et même des usages, de découpler les deux.

Un Internet mesuré, filtré, et sans doute, à l’avenir, conditionnel, avec l’adoption programmée de la riposte graduée en France et peut-être en Europe, voilà ce que l’avenir semble nous promettre. C’est très certainement un aveu d’échec pour ceux qui rêvent d’un Internet libre, partagé et universel. On pourrait ainsi s’interroger sur l’efficacité de stratégies exclusivement défensives, tentant de mobiliser une opinion publique généralement indifférente lors des remises en cause successives avancées par les acteurs étatiques et industriels.

Dans le même temps, d’autres proposent une autre démarche. Plutôt que de défendre des droits progressivement grignotés, ils tentent de revendiquer la reconnaissance positive de droits fondamentaux pour les internautes. Cet « Internet bill of rights » fait l’objet de tout un travail de définition et de communication par un petit groupe d’acteurs, publics et privés. Une récente enquête, menée au sein des milieux s’intéressant aux questions de gouvernance de l’Internet, montre que l’idée fait sens pour beaucoup d’entre eux. Très intéressante sur le fond cette démarche s’accompagne de difficultés importante : elle signifie un renforcement de l’opposition latente entre ancien et nouveau monde et une fragmentation de la citoyenneté selon les espaces où elle peut s’exercer.

Posté le 6 septembre 2008

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